Alors que la plupart des entreprises traditionnelles utilisent leurs trésorerie et bénéfices pour distribuer des dividendes ou racheter leurs propres actions, les entreprises technologiques et en particulier les GAFA maintiennent un niveau élevé d’investissement dans l’innovation.
Le débat sur le démantèlement des grandes entreprises technologiques (GAFA) fait rage aux Etats-Unis, et cela alors que les prochaines présidentielles arrivent à grand pas. Ce débat a permis de mettre en avant l’inadéquation de la loi américaine actuelle à l’heure du numérique – historiquement orientée vers le pouvoir d’achat du consommateur. De plus, la puissance de ces entreprises, permise par leur monopole, ne fait désormais plus aucun doute ; et les conséquences de certains de leurs manquements sont devenus dramatiques sur le plan démocratique (dans la gestion de la diffusion de fake news notamment). Néanmoins, si les motivations pour un démantèlement sont nombreuses, le débat occulte aussi l’apport à long terme de ces entreprises, et en particulier sur l’innovation : la loi antitrust pourrait être un risque pour l’innovation.
Aux Etats-Unis, les GAFA sont parmi les entreprises les plus avancées sur les technologies de rupture comme les drones (Amazon a promis de lancer dans les prochains mois son nouveau drone autonome et électrique qui pourra livrer les colis en seulement une demie heure), le véhicule autonome (Apple Car qui vient d’ailleurs de faire l’acquisition d’une start up britannique qui apprend aux machines à répliquer le comportement des humains) ou les Cryptomonnaies (avec le projet Libra de Facebook).
D’autres chiffres mettent en avant l’intensité des investissements en innovation de ces entreprises. Amazon a par exemple dépensé plus de 22 Md$ en R&D en 2018 : c’est le niveau le plus élevé dans le monde. Ce montant est à comparer avec les dépenses R&D du groupe français Sanofi (6,5 Md$), premier groupe français en matière de dépenses R&D. Les GAFA représentent ainsi plus de 25 % des dépenses en R&D du top 20 américain. Plus généralement, aux Etats-Unis, les sociétés financées par le Venture Capital participent à plus de 80 % des dépenses R&D du pays. Pendant ce temps, les entreprises cotées au S&P battent de nouveaux records de rachat d’actions, au détriment de l’investissement.
En Europe, le constat est le même, les entreprises traditionnelles investissent moins que par le passé et succombent aux sirènes des rachats d’actions ou des versements de dividendes. A titre d’exemple, la part de dividendes dans la valeur ajouté est passée en trente ans de 3,2 % à 8,5 % ; de plus, entre 2009 et 2014, les dividendes ont augmenté de plus de 50 % en volume. L’effort d’innovation se fait donc en dehors des grandes entreprises traditionnelles. En Europe, si encore aucune entreprise technologique n’a atteint une situation de monopole proche de celle des GAFA, les entreprises technologiques portent aujourd’hui une part significative des efforts d’innovation. Plusieurs licornes européennes sont par exemple à la pointe sur l’Intelligence Artificielle (Dataiku) ou les Fintech (Revolut, Klarna, iZettle, Adyen).
Le paradoxe de l’antitrust des GAFA : la même cause (situation de monopole) conduit à deux effets opposés
Le paradoxe des GAFA est le suivant. D’un côté, leur situation de monopole stimule l’innovation, les gains de productivité et l’avance technologique. Cette thèse est d’ailleurs étayée par Peter Thiel dans son livre From Zero To One. Certains investisseurs américains en venture capital s’inquiètent aussi d’un démantèlement puisque celui-ci pourrait réduire le nombre d’acquisitions de start-ups financées par les fonds de venture capital (et donc in fine réduire les performances de ces fonds). De l’autre, cette situation de monopole accorde à ces entreprises une position de toute puissance, en particulier dans le contrôle de données et des informations, ce qui a tendance à subvertir le modèle démocratique. Le choix ne semble donc pas si évident pour les américains. Ceci d’autant plus que la guerre technologique entre les Etats-Unis et la Chine fait rage. Le leadership de la Silicon Valley n’est pas un acquis !
Une alternative au démantèlement est possible. Elle s’appuie sur le constat que ces entreprises se sont auto-régulées pendant des années. Aussi, avant de passer à un démantèlement dont les conséquences pourraient être dommageables à l’économie américaine et dont le mode opératoire n’est pas évident (par exemple le choix des activités à démanteler dans un contexte où ce sont les effets de réseau qui comptent), le gouvernement américain pourrait choisir de mettre en place une régulation spécifique. De la même manière que l’Europe tente d’ajuster sa Politique de la Concurrence aux enjeux du Numérique. Des experts comme K. Sabeel Rahman proposent par exemple une réglementation proche de celle existant pour les services publics, en particuliers les opérateurs d’infrastructures. Ce type de réglementation accepte le principe d’un monopole en contrepartie d’un accès libre et sans discrimination. Prendre ce chemin n’est pas de tout repos : les lobbies de ces entreprises sont très présents au sein du Congrès américain (plus de 50m$ dépensés en un an par les GAFA) et à ce stade, aucun projet de loi que ce soit au niveau des Etats – et a fortiori au niveau fédéral, n’est préparé.
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