Au commencement était la simplicité ! Dans la droite lignée de la philosophie exprimée du président Pompidou : « foutez donc la paix aux Français ! », un ministre novateur eut, en 2008, la brillante idée de créer les « Auto-Entrepreneurs ». Une idée simple dans un monde complexe et complexifié à souhait par des myriades d’experts, de hauts fonctionnaires et autres conseillers au cerveau en ébullition permanente. Ceux-là mêmes à qui s’adressait alors le président Pompidou et qui résistent inexorablement. Un concept simple pour que les petits entrepreneurs et surtout les Français qui souhaitaient le devenir, ou tout simplement s’y essayer, et se trouvant auparavant découragés par le parcours du combattant de la création d’entreprise jetaient souvent l’éponge avant même d’avoir fait le 1er pas.
Et toujours simplement, l’accouchement, peut-être à la hussarde, d’une loi simple, pour une fois, pragmatique, enfin, et surtout compréhensible par le commun des mortels. Sans être atteint de phobie, ils sont généralement plus intéressés par développer leur activité, leur idée, leur projet que de franchir le Rubicon tumultueux et opaque des contraintes administratives. Tous les impôts et toutes les charges réduites à la simple proportion de l’application d’un taux unique sur le chiffre d’affaires. Pas d’intégrale de Riemann, ni de courbes tendancielles d’indices aux combinatoires élaborées, la multiplication (l’une des quatre opérations que l’on apprend tous à l’école au plus jeune âge, et que l’on retient) d’un taux avec le meilleur indice que maîtrise tout entrepreneur, son chiffre d’affaires. Un clic pour s’inscrire, et le succès est immédiatement au rendez-vous. Par dizaines, puis par centaines de milliers les Français découvrent les joies d’entreprendre. Et c’était tant mieux !
Puis, une fois le choc initial passé, vint la résistance des légions obscures et autres Cassandres
Un tel succès, c’est évident, c’était trop simple.
Encouragé par les bons vieux lobbies bienveillants, surtout à l’égard de toute belle réussite des autres, le législateur s’est senti obligé de créer quelques contraintes. Au début ce n’était que par petites touches impressionnistes, à peine visibles, puis de plus en plus prononcées. Fort heureusement, dans le sillage des « pigeons », les « poussins », à peine sortis de leur coquille, se sont défendus bec et ongles pour simplement continuer à exister. Mais ils ont dû y laisser quand même quelques plumes, immédiatement concrétisées par quelques nouvelles contraintes. Inévitablement suivies par de nouvelles, découvertes par les auto-entrepreneurs souvent par hasard, comme celle consistant à les obliger à ouvrir un compte de banque professionnel distinct. Rien de compliqué en soi me direz-vous. Certes mais néanmoins coûteux…et plus contraignant : en gérer 2 plutôt qu’un quand on ne fait pas un chiffre d’affaires énorme, ce n’est que 2 fois plus difficile. Et puis rien en soi n’est jamais compliqué quand on le conçoit. C’est son application sur le terrain et sa combinaison avec toutes les autres contraintes qui rend le quotidien complexe.
Au passage, ils ont changé de nom, huit ans après la création. Certainement un âge de raison. On doit désormais les appeler « Micro-entrepreneurs ». Changement de vocable pour faire passer la pilule ! Mais aussi un peu réducteur. Pourquoi les rabaisser à plus petit que petit. Micro, microscopique : un rien arrogant non ? Ce n’est pas la même chose que d’être « auto », son propre patron, mais entrepreneur avant tout. D’ailleurs ils continuent à s’appeler auto-entrepreneur et je pense qu’ils ont raison.
Ils ont avant tout l’objectif et le projet d’entreprendre, chacun à leur niveau, à leur rythme, n’en déplaise aux autres
Pour moi il n’y a pas de petit et de grand entrepreneurs. Les grands entrepreneurs d’aujourd’hui ont débuté un jour et ont été des petits entrepreneurs. Or les auto-entrepreneurs, sont effectivement trop petits et surtout isolés pour venir prendre des conseils. Mais tout le monde en côtoie aussi tous les jours. Ils sont une multitude très disparate, coiffeurs, graphistes, blogueurs, esthéticiennes, jardiniers, chauffeurs Uber, coursiers, techniciens d’entretien, gardiens, aides ménagères, etc… Comme sont disparates les autres entrepreneurs. Ils ne rentrent pas dans des cases.
Puis insidieusement s’organisa le royaume de Kafka :
• 1729 lignes de codes APE (familles et sous-familles comprises) décrivant toutes les activités possibles
• Des statuts mixtes : salariés et AE, retraité et AE, chômeur et AE, AE seul (Ah un simple)
• Trois taux différents selon les 3 types de macro activités, enfin 4 si l’on opte pour le versement libératoire,
• Des options de délais pour déclarer : « laquelle est la plus adaptée à mon cas ? », certaines choses par là mais pas d’autres par ici,
• Des seuils différents selon les activités : « ai-je coché la bonne case ? »,
• Des « trous dans la raquette » décrits nulle part : « suis-je bien couvert ? » « que vais-je toucher à la retraite ? »… : mais « on ne nous dit pas tout ! »,
• Des problématiques différentes selon que vous vous faites payer en chèques emploi service comme mode de règlement seul ou sous forme de fiche de paie
Mais aussi, une dernière pour la fin. A la base, comme toujours, une idée simple : pour favoriser l’émergence d’encore plus d’auto-entrepreneurs qui entreprendront dans la simplicité, il n’y a qu’à augmenter les seuils de plafonds au-delà duquel ils doivent rentrer dans la vraie vie cauchemardesque des grands entrepreneurs. Soyons grand seigneur : on double. Excellent !
Mais on oublie juste que dans le nouvel intervalle du maquis des seuils, il existe un autre seuil, celui de l’assujettissement à la TVA. Or on a une administration rigoureuse et tatillonne (c’est son métier) qui prévoit toute la batterie d’application de la chose dès la loi votée. Je ne vous relate qu’un exemple : l’auto-entrepreneur devient assujetti à la TVA à compter du 1er jour du mois durant lequel il dépasse son seuil. Il n’a plus qu’à refaire ses factures de début du mois et demander 20% de plus à ses clients, s’assoir sur ces 20% ou… De toutes les façons la plupart du temps il n’est même pas au courant. Alors savoir comment il va faire… Et ce n’est pas fini. Le prélèvement à la source déjà si simple quand on est salarié arrive vite : plus que quelques semaines pour une toute nouvelle simplification.
J’allais oublier. Bien sûr tenir 2 comptes de banques surtout un compte pro sur lequel on vous prend des frais énormes au regard de votre niveau d’activité s’il est faible, c’est déjà compliqué. Mais fort heureusement le projet de loi PACTE en discussion a tout prévu, une nouvelle mesure simple : ne l’ouvrir que si on fait un chiffre d’affaires > 5ooo euros pendant 2 ans d’affilé. Tiens un nouveau seuil. Décidemment ils aiment ça. Et pour pouvoir le fermer si l’activité baisse temporairement ? Le balancier ne revient jamais à son point d’origine au royaume de Kafka. Ce serait trop simple !
Pascal Ferron, Directeur général du groupe FIMECO Walter France
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