Le monde occidental fait l’expérience d’un dérèglement sans précédent, dérèglement climatique, politique, économique et capitaliste. Face à une telle dissonance, la sécurité intérieure s’est imposée comme l’un des thèmes majeurs du débat public depuis une vingtaine d’années. En quelques mois, notamment sous la pression des actes terroristes, cette question a pris une place prépondérante, au point d’imprimer ses exigences et son propre calendrier, notamment politique.
Nos démocraties, en proie à une profonde crise d’autorité, semblent être en effet entrées dans une ère nouvelle, une ère « tragique » selon les termes du sociologue Michel Maffesoli, résultat de la conjugaison de plusieurs facteurs, la montée des tribalismes, le développement de l’intolérance politique et la poussée de la violence physique.
Elles sont confrontées à des conflits d’un type nouveau, polymorphes, diffus, d’une puissance insoupçonnable, aux contours fluctuants et indéfinis, notamment géographiques, où il devient de plus en plus difficile d’identifier l’ennemi et son territoire, selon un système de pensée traditionnel.
Il en résulte une inflation inédite des espaces d’insécurité, qu’il s’agisse des menaces terroristes, des cyber attaques démultipliées, de la crise morale et sociale aigüe incarnée dans notre pays par les gilets jaunes et les dérives de violence qui l’accompagnent, des défis migratoires amenant la question de l’intégration, des enjeux et conflits plus ou moins avérés d’intelligence économique.
Si ces conflits peuvent porter atteinte à l’intégrité physique, ils prennent de plus en plus pour cible les points névralgiques de nos économies, mettant ainsi en lumière leurs innombrables espaces de vulnérabilité. Du débat public, la question de la sécurité a glissé subrepticement sur le terrain privé, notamment celui des entreprises devenues un lieu vulnérable.
En effet, pour être en mesure de créer puis partager de la valeur, l’entreprise doit bénéficier d’un contexte favorable de confiance et de grande stabilité, qui sous-tend une sécurité tant intérieure qu’extérieure. Des principes qui nous semblent essentiels et acquis sont désormais préemptés par l’insécurité, notamment la sécurité des flux, matériels et immatériels, la liberté d’aller et venir.
Les raisons d’un tel glissement de l’insécurité vers les entreprises sont nombreuses : une dépendance accrue aux réseaux électriques et donc digitaux qui les rend particulièrement vulnérables aux cyber attaques ; la nécessité de garantir un « savoir vivre ensemble » afin de permettre à l’entreprise de déployer ses forces vives, mise à mal par l’irruption du phénomène religieux.
Face à ces menaces, certains groupes sont historiquement mieux préparés, parce que leur cœur de métier les a toujours exposé structurellement à des risques exogènes de sécurité, notamment des risques géopolitiques, comme l’industrie pétrolière ou les BTP, ou encore, en raison de leur nature stratégique, les rendant structurellement sensibles. L’insécurité n’épargne désormais aucune entreprise, quelle que soit sa taille ou le secteur dans laquelle elle se déploie.
Du point de vue de l’entreprise, de ses dirigeants et du conseil d’administration, ces menaces sont comprises comme autant de risques nouveaux qu’ils leur reviennent d’insérer dans la cartographie des risques. Cela suppose, non seulement une connaissance et une analyse affinée afin de détecter ses espaces de vulnérabilité, mais aussi la mise en place de réponses adaptées.
Or, cette prise en compte des espaces de vulnérabilités est d’autant plus complexe que ces entreprises doivent, dans le même temps, relever le défi de la transition énergétique et digitale, dans un contexte d’hyper concurrence devenue planétaire.
D’autant plus que cette insécurité a un coût. Compris comme des risques non financiers, ces manifestations d’insécurité deviennent en effet, tôt ou tard, des risques financiers de grande envergure.
Pour le seul volet des actes terroristes, leur impact sur le Produit intérieur brut des pays de l’Union Européenne, de 2004 à 2016, a été de 185 milliards d’euros.
Quant aux cyber attaques, l’année 2018 a été marquée par une augmentation de 32% dans le monde. Ces actes de délinquance cybernétique ont coûté 600 milliards de dollars en 2017, contre 445 milliards en 2014, les incidents cyber devenant les premiers risques d’entreprise en France (vol de données, extorsion de fonds …).
Dès lors, une multitude de questions cardinales émerge.
Nos démocraties, attachées à des principes fondateurs âprement défendus par la Cour Européenne de Droits de l’Homme tels que le droit à un procès équitable et l’interdiction de discrimination, sont-elles préparées pour faire face à ces conflits non conventionnels ? Alexandre Soljenitsyne dénonçait dès 1978 dans son célèbre discours prononcé à Harvard les difficultés de nos démocraties à assumer l’éradication du terrorisme.
Les réponses à ces actes d’insécurité sont-elles uniquement régaliennes ou revient-il à l’entreprise de prendre sa part ?
La question est majeure et réactive celle de la ligne de démarcation entre ce qui relève du pouvoir régalien et ce qui relève de l’espace privé auquel appartient l’entreprise.
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