L’employeneurship consiste à réfléchir et à agir comme un entrepreneur, tout en bénéficiant de la sécurité d’un contrat de travail. Un modèle qui s’avère particulièrement bien adapté à l’activité de TMC, entreprise de conseil en technologie qui emploie des consultants qui sont aussi des ingénieurs.
Le néologisme « employeneur » a été inventé par le groupe TMC, d’origine néerlandaise. C’est une entreprise de détachement d’ingénieurs et spécialistes en hautes technologies. Un effectif de 1200 personnes dans 10 pays et plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Quand il a été contacté par le groupe, Emmanuel Mottrie y est allé par politesse, parce qu’il avait davantage l’intention de créer sa propre société de conseil. Il a découvert des gens qui partageaient totalement son point de vue sur ce que devait être le conseil en technologie, et ses valeurs en termes d’organisation du travail. Il est depuis 4 ans leur CEO.
Un modèle épanouissant et sécurisant
C’est un modèle qui repose sur une double philosophie. Le principe est d’ajouter aux qualifications techniques (hard skills) des compétences entrepreneuriales (power skills) qui n’ont pas été enseignées aux ingénieurs dans leur cursus. Cette compétence supplémentaire, est à la fois fondamentale et différenciante dans la relation au client qui peut ainsi devenir plus fluide, plus créative aussi. L’autre volet de cette philosophie consiste à revaloriser l’ingénieur qui est quelque peu sous-évalué sur le plan social et économique dans notre société. TMC est une plateforme qui offre à l’ingénieur un environnement valorisant.
Les 5 piliers d’une organisation quasi unique
N°1 – Partage du profit et transparence…
Chaque employeneur sait exactement combien il coûte et combien l’entreprise va facturer sa prestation au client. Il est donc rémunéré en fixe d’une part, et TMC va partager avec lui une partie du profit que sa mission a généré. Une transparence qu’ils sont a priori les seuls à pratiquer dans ce secteur. Un principe courageux tant on sait que la question des salaires est délicate, et souvent le dernier point à être résolu dans les organisations qui se veulent horizontales et transparentes.
Une véritable valeur ajoutée en terme de « great place to work » et une pratique qui a été placée en tête des valeurs essentielles à l’occasion d’une enquête interne à TMC.
N°2 – Youniversity training et coaching
Toute candidature chez TMC commence par un test en ligne où le potentiel entrepreneurial du candidat va être évalué. Pour être « admissible », il est nécessaire d’atteindre la moyenne des résultats obtenus par les membres de l’entreprise. Une fois intégré, l’employeneur va bénéficier d’un suivi, de coaching, de training pour l’accompagner dans sa progression entrepreneuriale. C’est lui qui gère le budget consacré comme il l’entend, avec des coachs professionnels externes à l’entreprise qu’il se choisit. Chacun a son propre coach, une forme d’individualisation dans un processus commun.
N°3 – Les pizza sessions
TMC est organisée en centres d’expertises, des entités très autonomes, où les collègues se retrouvent régulièrement. « Nous les appelons impact session ou pizza session » mais la qualité des échanges qui y ont lieu en fait de véritables « knowledge technologie tanks ».
Les employeneurs partagent leurs savoir-faire, parlent de ce qu’ils voient sur le marché, en profitent pour se développer personnellement et en font profiter leurs clients…
N°4 – le CDI
Bénéficier de l’indépendance de l’entrepreneur sans en subir le stress et l’incertitude, un statut qui se passe d’arguments pour être convaincant.
N°5 – The entrepreneurial lab
C’est la possibilité pour les employeneurs de travailler sur des idées personnelles : un service à proposer aux clients, une nouvelle technologie ou une start-up à lancer… Car devenir entrepreneur après avoir été employeneur est largement encouragé. Emmanuel Mottrie a vu, avec plaisir, une dizaine de sociétés se créer depuis qu’il est en poste.
Tout est dans le nom : The Member Company
L’employeneurship est inspiré d’un modèle universitaire, celui de la TU Delft (université de technologie). L’établissement a créé un doctorat sur ce principe de l’ownership : liberté, autonomie et responsabilité. Ils gèrent eux-mêmes leur budget et leurs formations, et ce en toute transparence.
La relation employé-employeur est d’un autre siècle. Et ce n’est pas au XIX° que pense Emmanuel Mottrie… « Si on traite quelqu’un comme un enfant, il va se comporter comme un enfant… Si on le traite comme un employé, il va se comporter comme tel ». Les ingénieurs sont intelligents et évidemment très capables dans leur discipline, mais ils savent faire des choses bien au-delà de leur savoir technique. En créant ce statut d’employeneurs, TMC stimule ses collaborateurs et profite pleinement de leur potentiel, en même temps qu’ils s’épanouissent. Gagnant-gagnant.
Une équipe RH, pour quoi faire ?
Avec son organisation particulièrement horizontale, TMC n’en ressent pas le besoin. Le défaut d’une politique RH, c’est qu’elle va avoir tendance à créer un modèle pour un employé moyen. Or, « l’employé moyen n’existe pas ! »
En responsabilisant les gens, on les rend capable de gérer leur carrière eux-mêmes. Le succès de l’entreprise, c’est le cumul de ces carrières individuelles, les synergies créées. La transparence et le partage rendent la vie des managers beaucoup plus facile ; tout le monde va dans la même direction. Une impression qu’il n’y a que des cercles vertueux.
Un exemple : la transparence sur les rémunérations. Puisqu’ils la connaissent, s’ils l’estiment trop basse ils vont aller la négocier eux-mêmes à la hausse, et le cas échéant aller eux-mêmes chercher de nouveaux clients… Le rêve, non ?
Réunionite, présentéisme, yearly’s… A éviter !
« Nous avons deux maladies dans notre société que nous devons combattre : la réunionite et le présentéisme. »
Les présentations… Souvent une perte de temps. Il est plus facile d’aller assister à une présentation qui ne nous sera pas utile, plutôt que de décrocher son téléphone pour appeler un client, recruter un candidat… Tout ce qui ne relève pas de la contribution aux activités coeur de la société est à minimiser selon Emmanuel Mottrie. Il a des souvenir de réunions avec des Powerpoint de 35 slides et des chiffres dans tous les sens… Chez TMC, c’est 5 slides maximum, et sauf problématiques particulières à résoudre, c’est réglé en 30 minutes.
Même jugement sévère sur le principe des évaluations annuelles, des objectifs fixés à atteindre… Un employé qui est très loin de ses objectifs après 8 mois risque de baisser les bras, un autre qui est juste pensera surtout à améliorer ses KPI (Key Performance Indicator) plutôt qu’à la réelle utilité de son travail. Chez TMC, les employeneurs déterminent eux-mêmes leurs objectifs, et ce qu’ils veulent gagner dans l’année qui vient.
If you share the values, you don’t need the rules.
Combien d’entreprises ont perdu leur horizontalité et leur transparence en grandissant ? Sombrant graduellement dans la hiérarchisation et le cloisonnement. Emmanuel Mottrie l’a lui-même vécu dans les sociétés pour lesquelles il travaillait.
TMC compte poursuivre son expansion : 600 il y a 4 ans, ils sont aujourd’hui 1200 et visent 2500 dans 5 ans, 5000 dans dix ans.. Pas d’inquiétude sur la pérennité du modèle et sa capacité à se maintenir. Pour une raison simple : il est fait d’individus autonomes, et leur nombre croissant n’est donc pas un problème. C’est un modèle, pas une règle.
« Je déteste les règles. Les règles créent des frustrations », de la verticalité, et on se retrouve à avoir « besoin d’un management pour gérer le management ».
Le principe d’employeneurship est basé sur le partage des valeurs. Les valeurs peuvent évoluer, c’est le fait qu’elles soient partagées qui importe, et cela permet une organisation… organique, qui saura s’adapter à son expansion comme à son environnement, aux évolutions des techniques et des marchés.
Darwin n’est pas loin. Un modèle éprouvé depuis des milliards d’années.
Cette interview, réalisée par Luc Bretones, organisateur de l’événement “The NextGen Enterprise Summit” avec Holaspirit, Maif et Manpower, et président de l’Institut G9+, est extraite d’un livre en préparation sur les dirigeants de 30 pays ayant mis en oeuvre de nouvelles formes de gouvernance, re-engagé leurs forces vives autour d’une raison d’être fédératrice ou encore expérimenté une innovation managériale majeure.
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