L’entreprise est-elle le lieu de la guerre de tous contre tous et de chacun contre chacun ? La question mérite d’être posée, et nombreux sont ceux qui ont déjà donné leurs réponses.
Les « nombreux » auxquels je fais référence ici ne portent pas vraiment l’entreprise dans leur cœur ; ils constituent « la gauche de la gauche » et leur grille de lecture est inspirée de Marx. Si ceux-ci ne sont pas majoritaires, ils restent influents idéologiquement : pas forcément électoralement, mais médiatiquement et dans la rue.
« Patrons de PME réduits aux miettes »
Pour eux, l’entreprise est le lieu de la lutte des classes, opposant capitalistes et prolétaires. « Les individus ne constituent une classe que pour autant qu’ils ont à soutenir une lutte commune contre une autre classe ; pour le reste, ils s’affrontent en ennemis dans la concurrence », écrit Marx dans l’Idéologie allemande. En tant que force de travail, ils sont facilement interchangeables et, par conséquent, ils sont en concurrence les uns avec les autres. Sans ce lien psychologique appelé « conscience de classe », les travailleurs ne forment qu’une masse malléable et restent incapables d’accéder à la domination politique. Les partis d’extrême gauche œuvrent à l’élaboration de cette conscience de classe sans laquelle aucun changement ne verra durablement le jour.
Voilà comme l’extrême gauche présente la violence inhérente au capitalisme. Cependant, elle montre du doigt également la violence entre entreprises, à savoir entre les grands groupes et les TPE-PME. Le sociologue Bernard Friot, dont le travail de recherche consiste depuis des années à poser les fondements théoriques d’une alternative au capitalisme, fustige ainsi la condition « des travailleurs bridés dans leurs initiatives par la nécessité de produire de la valeur pour l’actionnaire […] des jeunes sous-utilisés massivement parce que victimes du marché du travail […] des retraités réduits au bénévolat […] des travailleurs indépendants ou des patrons de PME réduits aux miettes que leur laissent les groupes capitalistes. »
Réalités très différentes
La lutte des classes n’oppose donc pas seulement patrons et salariés, mais les patrons entre eux. Patron… Un mot qui regroupe des réalités très différentes, comme le note le sociologue Michel Offerlé, professeur à l’Ecole Normale Supérieure et auteur récemment d’une étude inédite sur le monde patronal ; un mot qui embrasse le dirigeant d’entreprise du CAC 40 comme l’artisan de province. Réalités très différentes… en particulier quand leurs relations se figent dans la domination et l’exploitation. Par le biais de la sous-traitance, nous assistons trop souvent en effet à la violence du grand sur le petit, du fort sur le faible. Ce penchant a été parfaitement résumé il y a quelques années par le médiateur de la sous-traitance lors d’une interview sans langue de bois au journal Les Echos : « la situation est très grave, les acheteurs des grands groupes pillent les petites et moyennes industries (PMI). Ils récupèrent à leur profit la plus grande partie de la marge et empêchent ainsi les entreprises intermédiaires de se développer ».
Cercle vertueux
A l’instar des militants d’extrême gauche, nous pourrions conclure que le capitalisme est bien sans foi ni loi. Mais ce serait aller un peu vite en besogne. « Ce que je gagne, je l’ôte à l’autre », voilà la philosophie du patron qui fait usage de cette violence. Un jeu à somme nulle qui n’autorise pas la réussite conjointe. Ce phénomène est toutefois à relativiser : le capitalisme dit « rhénan » fonctionne à l’opposé. Ce modèle repose sur des relations de partenariat entre clients, fournisseurs et employés et se caractérise par un ancrage territorial fort et par la priorité donnée au long terme. « Ce que nous gagnons, nous le gagnons ensemble ». C’est une tout autre mentalité dont il s’agit, marquée par la conscience d’appartenir à un écosystème et l’ambition de participer à un cercle vertueux. Comment ces pratiques peuvent-elles prendre fin ? L’arsenal législatif existe, mais demeure inutilisé. Reste la médiation… Mais comment opérer en amont un changement radical de la relation client – fournisseur ?
Redynamiser le tissu entrepreneurial de notre pays
Réfléchir et agir pour infléchir la politique achat des grands groupes, adopter une vraie logique partenariale, voilà l’ambition d’un nouvel acteur : le Lab Pareto. Cette association a pris le nom de l’économiste italien qui a mis au jour la loi empirique dite « des grands équilibres », communément appelée loi des 80/20. La loi Pareto stipule que 80 % des résultats (positifs ou négatifs) sont obtenus par seulement 20 % de l’effort. L’idée que le Lab Pareto cherche à promouvoir est d’une rare simplicité : appeler chaque acheteur à réaliser au moins 20 % de ses achats (dans chaque famille d’achat) auprès de PME. En lançant cette initiative, chaque groupe contribuerait ainsi à créer de nombreux emplois et à redynamiser le tissu entrepreneurial de notre pays. Certains identifieront l’engagement des grands groupes comme une simple opération de social washing. Mais en rester là serait réducteur. C’est pour eux l’occasion de montrer, au-delà des seuls discours, leur attachement à la RSE. Et également de sécuriser leur chaîne d’approvisionnement en privilégiant des acteurs locaux. Certes, cette initiative émane de prises de conscience individuelles, elle en est encore à ses balbutiements. Mais elle espère fédérer dans les mois qui viennent les acteurs privés et publics. Pour que la violence inter-entreprises ne soit plus une fatalité… en France.
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