X a levé tant de millions, Y est en train de boucler un deuxième tour de table, et Z est parmi les plus belles levées de fonds de 2017. Dans l’écosystème (et dans les médias qui s’intéressent aux start-up) la part belle est faite aux sommes « levées », c’est-à-dire récoltées auprès de business angels et de fonds d’investissement. Et si, dans l’entrepreneuriat comme dans la vie, l’argent ne faisait pas le bonheur ? Et si un autre type d’entrepreneuriat était possible, comme nous vous le présentions récemment avec ces entrepreneurs qui ont monté leur start-up sans lever de fonds ? Chez Toucan Toco, le sujet est central, comme l’explique Kilian Bazin, CEO.
Vous avez récemment publié un texte sur votre blog en interpellant sur « les levées de fonds prématurées » qui seraient selon vous « dangereuses » pour les start-up. Pour quelles raisons ce sujet vous pousse à prendre la plume et la parole ?
Kilian Bazin : Nous apportons aujourd’hui une critique sur la course généralisée aux levées de fonds. Une critique, dans le sens de prudentiel. Selon nous, la levée de fonds ne doit pas être une fin, mais un moyen pour développer une activité, un produit, une entreprise. Nous interpelons les entrepreneurs qui auraient tendance à se lancer immédiatement dans une levée de fonds sans réfléchir aux raisons de cette levée. Cette tendance à courir après les fonds est très répandue dans la tech, cela peut même ressembler à un prérequis pour exister aujourd’hui. Pourtant, l’argent ne fait pas tout !
En revanche, nous ne sommes pas contre les levées de fonds, mais celles-ci doivent être effectuées quand elles sont utiles, c’est-à-dire quand les fondateurs savent exactement à quoi l’argent récolté va servir.
Pour démarrer, vous avez bénéficié d’un soutien de Bpifrance (concours d’innovation 2016) et d’un prêt à taux zéro. Mais depuis sa création, votre entreprise n’a pas levé de fonds, ni auprès de business angels, ni auprès de fonds d’investissement. Comment vous financez-vous ?
K.B. : Dans le numérique, ce sont les clients qui font les chèques. Pour cela, il faut développer un produit adapté au client. Cela nécessite de rencontrer les potentiels utilisateurs prêts à acheter la solution au bon prix. Le risque quand on se lance est de croire que des clients qui achètent à bas coût permettront de tenir le business model. Or, en vendant pas cher on ne vend pas au bon client. Et c’est souvent ce qu’il se produit avec le capital-risque : en ayant de l’argent avant même d’avoir des clients, l’entrepreneur aura tendance à proposer sa solution à bas coût ou à ne pas faire l’effort de s’intéresser aux besoins des clients.
L’autre risque avec la levée de fonds est de « cramer » rapidement de grosses sommes d’argent.
De notre côté, nous ne sommes pas dogmatiques sur le fait de lever des fonds, mais nous préférons construire un business model sain, privilégier le produit et le client. Surtout, construire une entreprise solide de manière méthodique.
Pourtant, le modèle start-up est construit autour de la levée de fonds et de la croissance ultra rapide de l’entreprise…
K.B. : Oui, mais la levée de fonds n’est pas obligatoire ! Il faut déconstruire ce modèle en posant une simple question : pourquoi aller vite ? Selon moi, aller trop vite, c’est prendre le risque de mal recruter (trop tôt, tôt vite) car après une levée il y a une pression à dépenser rapidement.
Nous avons refusé ce type de pression. Mais nous nous demandons toujours si nous allons assez vite. La réponse vient des VC [capital risqueurs, ndlr] : quand ils nous rencontrent, ils nous disent que nous grossissons pas moins vite, mais différemment. Par exemple, nous n’embauchons pas 20 personnes en deux mois, mais deux personnes par mois pendant un an.
Nous avons donc l’impression d’être plus sains dans notre croissance. Aujourd’hui nous sommes 60 salariés qui ont tous été recrutés intelligemment. Nous prenons le temps de bien grandir.
Avec la levée, l’autre sujet de l’économie des start-up est le rachat. Quel est votre avis à ce sujet ?
K.B. : C’est en effet un sujet sous-jacent. Il y a selon moi deux positionnements face au rachat. Le premier est de se dire qu’il y a de l’argent à faire. Dans ce cas, les entrepreneurs vont très vite et lèvent des fonds tous les 18 mois pour faire rapidement monter la valorisation de l’entreprise jusqu’à ce que quelqu’un la rachète, prendre un peu la lumière et une part du gâteau. Le second positionnement est de monter une entreprise, un produit, l’améliorer, l’adapter aux besoins et aux évolutions du marché.
Nous ne jugeons pas, nous nous positionnons simplement dans la deuxième catégorie car nous nous amusons beaucoup avec notre produit. L’idée est simplement d’alerter sur la potentielle perte d’énergie à trop se concentrer sur les levées de fonds.
Selon moi, l’entrepreneuriat est une course : il faut de l’énergie pour avancer, mais on ne va pas manger un burger juste avant de courir ! Je veux développer une entreprise athlétique qui adapte son effort et évolue pas-à-pas.
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