Ekwateur est un fournisseur d’énergie renouvelable alternatif ; à savoir de l’électricité, du gaz et du bois à destination des particuliers et des entreprises. Son cofondateur Julien Tchernia nous explique pourquoi l’ouverture du secteur énergétique à la concurrence est saine et pourquoi la France devrait accentuer ses efforts en matière d’énergie renouvelable pour assurer son autonomie stratégique.
Vous vous définissez comme un fournisseur d’énergie exclusivement renouvelable, comment s’assurer que cela soit réellement le cas ?
Julien Tchernia : Il n’est physiquement pas possible de retracer l’origine et la source de l’énergie injectée dans le réseau. Un électron, une fois dans le réseau, n’est plus traçable. Pour proposer du 100% renouvelable, nous devons recourir à la traçabilité financière et plus particulièrement grâce aux garanties d’origine – permettant de certifier la production d’électricité verte. Ce document atteste que pour la consommation d’un client, l’équivalent en énergie verte a été injecté sur le réseau.
Notre modèle consiste à acheter de l’énergie à plusieurs producteurs, ce qui permet par exemple de compenser l’absence de production d’énergie solaire la nuit. Il s’agit d’ailleurs d’un système souhaité par l’Europe pour rémunérer davantage les producteurs d’énergie renouvelable.
Comment faites-vous pour proposer des prix compétitifs malgré une crise de l’énergie persistante ?
J.T. : Comme pour une station-service, nous achetons au producteur avec une marge très faible et les prix varient fortement en fonction des cours mondiaux. Pour l’énergie renouvelable, il faut ajouter le coût de la garantie d’origine. Nous fournissons en France plus de 240 000 compteurs et notre système informatique permet d’opérer la gestion de notre réseau et ainsi réduire nos coûts. Notre marge dépend donc largement de la masse critique d’utilisateurs que nous avons à notre actif.
Les tarifs réglementés de vente d’énergie sont fixés et actualisés par le ministère de l’Énergie. Nous devons donc nous adapter aux pouvoirs publics et au prix d’achat de notre garantie tous les deux ans. En général, nous faisons la moyenne des deux années pour fixer notre prix.
Nous sortons aujourd’hui progressivement de la crise énergétique, le contexte est bien plus favorable pour pouvoir proposer des prix compétitifs. Mais ce n’est évidemment pas le cas tout le temps. Nous restons très transparents sur nos prix et je lutte à ce titre pour que les communications du secteur fassent bien mention du prix TTC. Car j’ai trop souvent vu des concurrents faire la promesse d’être 10% moins cher, mais sans réellement rendre visible le fait que ce prix est en fait en Hors Taxes.
Comment expliquer qu’une start-up comme la vôtre a pu s’imposer face à des géants énergétiques comme Total, EDF ou encore Engie ?
J.T. : Certains géants énergétiques comme Total peuvent se permettre d’être à perte et proposer des promotions très importantes. Mais ce type de « dumping » n’a pas renversé le marché comme a pu le connaître le secteur des télécoms il y a quelques années par exemple. Personne n’a non plus réussi à battre EDF sur son terrain : l’entreprise reste un garant de l’indépendance énergétique et une grande partie des Français n’osent pas souscrire à une offre concurrente. C’est la grande force de cette marque et le prix ne suffit pas à attirer les clients ; d’autant plus que la régulation du marché de l’énergie ne permet pas de casser les prix. Malgré la libéralisation du secteur, seule la production bouleverse les prix et non pas des acteurs comme nous.
Et pourtant, depuis sa création en 2016, Ekwateur continue de se développer…
J.T. : Je reçois constamment des menaces et insultes prétendant que je m’enrichis beaucoup. Mais ce n’est clairement pas un business rentable et une dizaine de start-up comme la nôtre ont disparu récemment. Il y a peu de marge possible mais l’intérêt reste d’offrir un choix plus large sur le marché de l’énergie. Nous ne produisons pas ce que nous fournissons, et alors ? C’est la même chose pour une agence de voyages qui ne fait pas voler ses propres avions ou encore une pharmacie qui ne fabrique pas elle-même ses médicaments.
Ce choix diversifié permet de faire bouger les choses car un monopole mature n’a aucun intérêt à évoluer et le régulateur ne peut pas tout imposer. Enedis ne couvre que 75% du territoire français et l’arrivée de la concurrence a eu un impact considérable. Nous avons par exemple été les premiers à nous implanter en juillet 2017 à Grenoble, où Gaz électricité de Grenoble (GEG) conserve un monopole sur l’offre. Nos affiches de bus et nos interviews dans des médias locaux n’ont pas eu un grand succès mais cela a poussé GEG à proposer plus tard des packages différents pour les étudiants ou bien des offres d’énergie renouvelable.
Idem à Strasbourg : la ville était privée du bouclier tarifaire prévue par l’Etat car Électricité de Strasbourg (ÉS) prétendait que son système informatique ne permettait pas son déploiement. Nous nous sommes donc fait connaître sur le territoire et seulement 2 semaines après le lancement de notre offre de bouclier tarifaire, le groupe ÉS s’est finalement aligné.
Espérez-vous devenir un jour le Xavier Niel du secteur de l’énergie ?
J.T. : Oui mais nous pourrons nous féliciter pour nos efforts quand nous aurons réussi à renverser la table comme lui dans les télécoms. Pendant que des fournisseurs non producteurs comme nous se sont créés, des producteurs non-fournisseurs ont aussi vu le jour. Et heureusement, car si nous nous étions contentés d’EDF pendant la crise énergétique de 2022, cela aurait évidemment été très compliqué de s’en sortir.
La fin du tarif réglementé sur le gaz est-elle une bonne chose ?
J.T. : Je pense que cela ne sert à rien si une concurrence saine anime le marché. Le problème reste le monopole car une telle concurrence pousserait tout le monde à constamment chercher le meilleur prix. Ce tarif réglementé sur le gaz a été abandonné car l’Europe l’a tout simplement imposé et les prix continuaient de varier tous les mois.
L’électricité n’a en revanche pas subi le même sort car il y a un choix politique justifié par le fait de maintenir les prix pour couvrir l’augmentation des coûts. Mais le fait de ne pas augmenter les prix a en fait accentué la dette d’EDF, qui est d’ailleurs sorti du CAC40 en 2015.
Pourquoi avoir choisi de devenir un fournisseur d’énergie renouvelable ?
J.T. : Le problème du changement climatique m’a motivé dès le début. Et lorsque nous avons créé Ekwateur en 2015 avec mon associé, nous aimions aussi le challenge que cela représentait. Ce dernier, Jonathan Martelli, avait travaillé chez Direct Energie notamment sur un système pour mieux gérer l’offre gaz du groupe en fonction de la masse d’utilisateurs présente. Il a donc développé pour Ekwateur un système similaire car c’est indispensable pour assurer notre compétitivité sur ce marché. Nous sommes un fournisseur d’énergie alors que 90% de nos concurrents sont aussi énergéticiens, donc le choix de mettre en valeur notre offre renouvelable permet d’asseoir davantage notre vision. Nous devons aller chercher les consommateurs là où ils sont et ne pas nous contenter des convaincus.
Pourquoi avoir choisi en 2021 de reporter votre introduction en bourse ?
J.T. : Nous avons levé en 2019 et 2022 respectivement 10,6 millions et 30 millions d’euros. Mais entre-temps, en 2021, nous avons reporté notre introduction en bourse, notamment car ce n’était pas le bon timing. Avec du recul, je pense que c’est pour le mieux, étant donné la crise qui s’est déroulée jusqu’à aujourd’hui. Depuis, des fonds en venture capital et des family offices se sont rapprochés de nous et nous envisageons l’entrée d’un nouveau gros investisseur en 2025.
À la sortie de la crise sanitaire, nous avons connu une croissance ralentie et tous ceux qui ont pris des risques dans notre secteur sont ensuite tombés comme des mouches. Nous en avons donc profité pour consolider notre modèle avec deux acquisitions en 2023 : le portefeuille des clients français du géant espagnol des renouvelables Iberdrola ainsi que les activités en France du fournisseur belge Mega Energie.
Comment expliquer que les financements en capital-risque dans le secteur de l’énergie n’ont pas faibli ?
J.T. : Ces levées concernent plutôt la production d’énergie et l’effort en R&D. Je pense notamment avec la récente méga-levée de 800 millions de dollars de la part d’Octopus Energy. Mais ce n’est pas pareil pour les fournisseurs d’énergie comme nous et il y a souvent cette illusion de simplicité alors que ce n’est pas du tout facile de se lancer. Des distributeurs comme Leclerc ont essayé de s’y mettre mais ils ont très vite constaté un très grand niveau de complexité, notamment sur la capacité des systèmes informatiques à s’adapter aux réglementations. De plus, étant donné qu’un certificat d’énergie s’étend sur plusieurs années, de nombreux coûts cachés et diverses dépenses apparaissent en fin de cycle. C’est ce qui fait que des acteurs comme Leclerc, Butagaz ou encore Cdiscount ont finalement décidé de lâcher l’affaire.
La crise ukrainienne a mis en lumière nos dépendances énergétiques et a accéléré la nécessité d’une meilleure résilience en France. Est-ce réaliste selon vous ?
J.T. : L’irruption de cette crise aurait pu avoir un impact limité en France, grâce à son parc nucléaire. Mais pas de chance : en 2022, 40% de nos centrales étaient à l’arrêt. Il faut aussi préciser que la France n’est pas totalement indépendante énergétiquement : elle n’a plus d’uranium sur son sol et ses stocks ne sont pas infinis. Par contre, le renouvelable présente un potentiel d’indépendance non négligeable car une fois installés, les panneaux photovoltaïques et les éoliennes fonctionneront à l’aide d’un carburant infini. Plutôt que de tout miser sur le nucléaire, la France devrait accélérer sur le renouvelable pour garantir son indépendance.
De la même manière, je défends la nécessité d’un système énergétique décentralisé qui ne maîtrise pas toute la production au même endroit. Avec l’évolution grandissante des nouvelles technologies, il est désormais possible de déployer des infrastructures numériques très performantes pour mesurer et piloter les systèmes énergétiques au niveau local. Cela permet de forger des communautés énergétiques bien plus résilientes.
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