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Julia Faure, l’entrepreneuse contre la fast fashion

Julia Faure, à Paris, février 2024. Crédits : Maurice Midena

Portrait | Après avoir créé la marque de vêtements éthiques Loom, Julia Faure est devenue la co-présidente du Mouvement impact France, une sorte (d’anti-)Medef de l’économie sociale et solidaire – et écolo. Revendiquant un activisme économique, elle s’impose comme une figure majeure de l’entrepreneuriat éthique en France et compte faire un sort aux Shein et consorts. Mais pas que. 

 

En février dernier, on avait vu Julia Faure sur BFM Business croiser le fer avec Jean-Marc Daniel, professeur émérite d’économie à l’ESCP et habitué des débats audiovisuels. L’économiste libéral s’était lancé dans une défense bien à lui de l’état des lieux actuel de l’industrie textile, et de l’importance pour les uns et les autres de s’appuyer sur ses sacro-saints « avantages comparatifs », avec sa bonhommie télévisuelle habituelle.  « Je trouve ça criminel de dire ça, l’avait coupé Faure, qui, visiblement, trouvait la situation un peu plus grave que son interlocuteur. L’avantage comparatif du Bangladesh, c’est de ne pas payer les gens. L’avantage comparatif du Bangladesh, c’est de ne pas traiter les eaux usées qui sont issues des teintures. […] C’est l’exploitation des gens et de la nature, les avantages comparatifs dans le textile. » Un rappel du réel derrière la théorie qui avait jeté un petit froid en plateau – une clim’ certifiée sans émission carbone au moins. 

Julia Faure, 35 ans, s’est imposée ces dernières années (mais surtout ces derniers mois) comme un des visages phares de l’entrepreneuriat éthique. Pour le Monde, elle fait partie de « la relève », ces « jeunes qui bousculent les normes ». Pour l’ONG Positiv, elle fait partie des 35 leaders positifs à suivre en 2023 classement publié chez nos confrères des EchosChez Forbes France, on la trouve cool et iconoclaste. C’est que, d’une part, elle est une entrepreneuse avisée. Elle a co-fondé Loom en 2017, une marque de vêtements faits en coton bio, fabriqués en France et au Portugal, avec ce slogan : « Achetons moins, produisons mieux ». Loom, c’est 8 salariés, 3,5 millions de chiffre d’affaires en 2023, plus de 50% de croissance annuelle, une boite bénéficiaire et qui réinjecte tous ses profits dans ses investissements. Le tout, à rebours de tout ce qu’a imposé la fast fashion : pas de pub, pas de soldes, pas de nouvelles collections – juste des « générations » renouvelées pour améliorer leurs produits. Pas de pré-commande « pour des questions de maintien de la qualité ».

Chez Loom, le tee-shirt est à 25 euros, le sweat à 40, le jean à 100. « Il y a une chose qu’il faut savoir, note Faure, moins de 25 euros pour un tee-shirt en coton bio, de bonne qualité, bien produit, ça n’existe pas. Si vous trouvez un tee-shirt en dessous de ce prix-là, c’est qu’on a rogné sur la qualité, ou sur les conditions de travail de ceux qui l’ont produit. »  Faure n’est pas du genre bobo déconnectée : 25 balles pour un tee-shirt, elle sait que ce n’est pas donné à tout le monde. Mais son cheval de bataille, c’est de rappeler que le low-cost, à long terme, appauvrit les populations : « Le low-cost est toujours égal à de la délocalisation. et cela crée du chômage en France. Depuis les années 1990, on a perdu 30 000 emplois dans le secteur textile. Et avec ces pertes d’emplois, plein de choses ferment : le teinturier, les couturiers etc. Si l’usine du village ferme, c’est le boulanger qui ferme puis le petit commerçant, et c’est du chômage en cascade. Ce qui fait que les anciens bassins de production textile ont du chômage qu’on ne parvient pas à résoudre. » Et de rappeler que ces délocalsations, c’est aussi un manque à gagner pour la collectivité avec des baisses de recettes fiscales. Comme elle le disait aussi face à Jean-Marc Daniel sur BFM : le textile en France, c’est 12 milliards d’euros de déficit, soit 20% du déficit commercial.

Julia Faure, à Paris, février 2024. Crédits : Maurice Midena

Economie ou écologie : ne pas choisir 

Faure a une vision et n’a pas peur de la mettre au profit d’un véritable activisme. En mai 2023, elle a pris la co-présidence de Mouvement impact France, un syndicat regroupant des dizaines d’entreprises issues de l’économie sociale et solidaire, aux côtés de Pascal Demuerger, le patron de la Maïf. Faure réfute l’appellation « d’anti Medef » (« Nous avons des positions communes », note-t-elle), et réaffirme auprès de Forbes, la position de son syndicat : « Nous voulons que l’économie soit, non pas au service de quelques uns, mais au service de l’intérêt général.  Et l’intérêt général passe par l’écologie. Car aujourd’hui, notre économie produit surtout de la pollution, de la pauvreté, et des inégalités. […] Notre raison d’exister, c’est de faire entendre une voix dans le paysage médiatique, public, politique, qui parle au nom d’entreprises qui sont responsables, qui se sentent responsables. »  En pleine crise des agriculteurs, elle et Demuerger avaient signé une tribune dans le Monde demandant à « ne plus concevoir nos modèles comme un choix binaire entre écologie et économie » : « Dans le textile, l’ameublement, l’industrie automobile, les cosmétiques ou encore la métallurgie, l’intensité des crises est différente, mais les défis sont similaires : comment produire sobrement, avec des emplois locaux et des modèles sociaux protecteurs quand le marché est inondé de produits low cost polluants et socialement moins-disants ? » Textile et agriculture : même combat ou presque.

Faure ne se cache pas derrière son petit doigt. Engagée, militante, activiste : elle l’est. « L’entreprise est politique, martèle-t-elle. Le monde de l’entreprise a toujours essayé d’influencer la vie de la cité, les lois, les règles. » Outre le MIF, Faure est aussi au coeur d’En mode climat, un collectif de marques de modes responsables, qui réunit aujourd’hui 600 acteurs. Un collectif qui est en première ligne de la lutte contre la fast-fashion, et qui dialogue avec des élus. Avec des résultats : en mars dernier, l’Assemblée nationale a adopté un projet de loi, porté par Horizon, mettant en place une interdiction de la publicité pour la vente de vêtements à prix cassés et un « malus » environnemental renforcé pour les rendre moins attractifs. Un grand pas, d’autant que le texte a été voté à l’unanimité, et porté par des forces politiques pas toujours connues pour leurs ambitions écolos : « Le fait que cette ambition de réguler la fast-fashion soit aussi portée par la droite est plutôt bon signe. Cela veut dire qu’il y a finalement un consensus politique sur le fait que quelque chose ne va pas dans le secteur textile et qu’il faut changer ça. » Le terrain de Faure est ainsi celui du plaidoyer, du lobbying : « Je suis une activiste détente. Moi je ne jette rien contre les tableaux et je ne bloque pas d’autoroutes », plaisante-t-elle. Car Faure sait que son combat a ses limites : « On a compris que le développement des entreprises éthiques, ne change pas le monde du textile au contraire, il cautionne un système dérégulé. » Faure dénonce une économie, et notamment un secteur textile gangrené par une « prime au vice » : « Plus vous produisez loin et mal, plus vous réduisez vos coûts, et plus vous gagnez des parts de marché ». Pour elle, la solution passe par la régulation du secteur par le politique – et arrêter de faire peser sur le consommateur la culpabilité d’un système sans vertu. 

Football et genre

Faure confesse ne pas avoir d’atavisme particulier ni dans l’entrepreneuriat, ni dans le militantisme. Son père était ingénieur, sa mère professeure d’anglais, elle a grandi en Meurthe-et-Moselle, pas loin de Nancy. Quand elle était ado, elle rêvait de devenir footballeuse, oeuvrait au milieu de terrain et a eu quelques sélections en équipe de Lorraine. Puis lycée, bac S, prépa biologie (BPCPST), avec l’idée de faire de la recherche un jour, mais un stage plus tard dans un labo lui apporte plus d’ennui que d’engouement. Elle entre en 2008 en école d’ingénieure, dans la prestigieuse Agro Paris Tech – sur son profil Linkedin, elle écrit : « n 2014, elle fait une pause, reste en Espagne et s’inscrit en master des études de genre à la Autonoma de Madrid, qui l’a passionné. Puis rentre en France, travaille pour la Ruche qui dit oui comme product manager jusqu’en 2017. Elle tombe un jour sur une drôle d’annonce : « Cherche cofondateur pour marque de vêtements responsables. » C’est ainsi qu’elle rencontre Guillaume Declair, avec qui elle fondera Loom. « Je trouvais qu’il manquait une offre de vêtements éthiques, de bonne qualité, et à un prix correct », explique-t-elle. D’autant que Faure a été marquée, en 2013, par l’effondrement du Rana Plaza, un bâtiment-usine du Bangladesh dans lequel des milliers de couturières fabriquaient des vêtements de marques de fast-fashion. Plus de 1 100 personnes avaient perdu la vie. 

Avec le MIF, Julia Faure tient aussi à valoriser toutes les entreprises dites « à impact ». Fin mars, lors du salon Change Now, le Mouvement impact a publié sa première édition de son nouvel indice : l’Impact 40/120, qui vise à mettre en avant les 40 entreprises à impact les plus prometteuses et les 120 à suivre de près, parmi lesquelles on retrouve la marketplace de produits reconditionnés BackMarket, ou encore le producteur d’énergie Ekwateur (récemment interviewé par Forbes). Il n’y a pas que dans le textile que Faure est prête à en découdre. 

 

Julia Faure – crédits : Maurice Midena

 


A lire aussi : La mode, mauvaise élève de la transition écologique

 

Mise à jour du 3 avril, 17h21 : Nous citions Julia Faure, expliquant que Loom travaillait en pré-commande – c’était une erreur. La citation a été supprimée, une autre a été rajoutée.

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