Vous disiez, dans l’une de vos tribunes sur LinkedIn, que cet amendement était « un très mauvais message » à l’égard de nos « scale-up », comme Criteo ou Blablacar qui ont poussé très vite et qui se retrouvent soumises à une autre logique et à plus de taxation « comme si elles se retrouvaient punies d’avoir trop grossi». Pouvez-vous développer ce propos ?
Dans ce dispositif, il y a des start-up qui ne pourront pas se payer des actions gratuites car leur « cash » est trop précieux pour faire cela et des scale-up, souvent déployées à l’international, qui vont avoir intérêt à recruter leurs « top-managers » en dehors de France, tout simplement parce que cela leur coûtera moins cher. La loi Macron prévoyait un régime qui était le même pour toutes les entreprises et tous les attributaires avec une toute petite exonération pour les petites attributions dans les PME n’ayant jamais versé de dividende. A partir du moment où vous revenez en arrière, les plus grosses victimes au sein de notre écosystème sont celles qui ne sont plus des PME, donc des scale-up, qui se retrouvent avec un taux de contribution en hausse pour toutes les attributions y compris les plus petites. Donc, elles vont réfléchir à deux fois avant d’attribuer des actions à leurs salariés français. En outre, plus les entreprises deviennent anciennes et grosses et plus les actions gratuites sont nécessaires, donc ce sont, de facto, elles qui sont le plus touchées. Si vous êtes une jeune start-up, vous pouvez émettre des bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE) qui sont un autre modèle mais auquel ne sont plus forcément éligibles les entreprises de taille intermédiaire. Par voie de conséquence, votre seul outil d’association des salariés au capital reste les actions gratuites. Alors, si en plus ces dernières deviennent inabordables… cela représente, pour ces entreprises, un véritable handicap économique.
Parmi vos autres chevaux de bataille, la création du compte entrepreneur investisseur, rebaptisé depuis compte PME Innovation, censé notamment favoriser la prise de risques chez les business angels. Pouvez-vous nous en dire un mot ?
Cette idée est issue des assises de l’entreprenariat en 2013 qui, à l’époque, avait été mise de côté par le président de la République mais que nous avions, malgré tout, essayé de ressusciter pratiquement tous les ans. Cette disposition aurait d’ailleurs pu figurer dans la deuxième loi Macron qui n’a finalement pas vu le jour. Mais le Premier ministre, Manuel Valls, s’était engagé, début 2016, à créer un compte entrepreneur-investisseur avec un postulat très vertueux, en l’occurrence : les entrepreneurs, une fois qu’ils ont vendu leur entreprise, sont les meilleurs business angels, alors offrons leur un régime plus incitatif. Celui-ci devait, selon notre vision, les encourager à rester en France, sachant que plus de la moitié s’en vont, tandis que les autres ne peuvent pas devenir des business angels « pleinement actifs » à cause de la fiscalité en vigueur. Notre ambition était donc de trouver un modèle qui permette de disposer d’un compte qui, lorsqu’il est approvisionné, ne soit pas immédiatement soumis à l’ISF et soit également en sursis d’imposition sur les plus-values. En revanche, lorsqu’une partie de ladite somme « sort de ce compte », celle-ci doit être, bien entendu, soumise à l’impôt. Mais le projet de loi qui est sorti de Bercy, il y a un mois, n’est ni plus ni moins qu’une usine à gaz, foulant aux pieds cette mécanique vertueuse.
Quels sont les principaux défauts, à vos yeux, de ce dispositif en l’état ?
L’un des plus gros défauts de ce dispositif concerne son « démarrage à froid ». En effet, tous les business angels actuellement actifs ne peuvent y prétendre que sous des conditions « alambiquées ». Ce qui signifie que seuls ceux qui n’ont même pas encore revendu leurs entreprises remplissent les critères d’éligibilité : l’impact en termes de ré-investissement sera forcément très différé dans le temps. En outre, les conditions imposées par Bercy sur l’investissement dans les fonds sont totalement impraticables. Pour vous donner un exemple, les fonds investissent sur des périodes longues, tour après tour. Globalement, il faut 10 ans pour déployer l’argent. Mais Bercy exige que la totalité de la somme soit déployé… en deux ans, ce qui va donc totalement à l’encontre du fonctionnement même des fonds.
Surréaliste ! @FLefebvre_RF propose de supprimer #ComptePMEInno tant il est complexe/inopérant – Amendement rejeté ! https://t.co/SvD0pi8K3R
— J-David CHAMBOREDON (@isai_fr) 21 décembre 2016
Parmi l’offre politique pour 2017, quel est, selon vous, celui ou celle qui est plus sensible aux problématiques des entreprises et des entrepreneurs ?
France Digitale représente un nouveau modèle d’entreprises. Puisque nous sommes des modèles innovants, la législation, par définition, n’a rien prévu nous concernant. C’est d’ailleurs, au passage, pour cela que nous sommes parfois les victimes collatérales de problématiques qui ne nous visaient pas directement, comme vous avez pu le constater pour les actions gratuites. Dès lors, parmi les personnalités politiques, certains sont dans une démarche conservatrice, prenant néanmoins soin de préciser « comprendre que les choses changent… mais essayons qu’elles ne changent pas trop rapidement ». L’autre vision consiste à dire : la mutation de l’économie est inéluctable. La France peut faire émerger de nouveaux champions donc j’ai tout intérêt à laisser une certaine souplesse législative pour créer les locomotives de demain. Ceux qui incarnent le mieux ce dernier positionnement, parmi les anciens ou actuels candidats, sont sans conteste Nathalie Kosciusko-Morizet et Emmanuel Macron. Mais pour être tout à fait honnête, François Fillon, qui peut renvoyer une image conservatrice, a également, comme en atteste son programme, une assez bonne compréhension de ces sujets-là.
Dans la profession de foi de France Digitale il est inscrit que « l’association se donne pour mission de transformer la France en territoire propice au développement des startups, en métropole ou à l’international ». Quatre ans après votre création, pensez-vous avoir fait évoluer les choses à ce niveau-là ?
France Digitale a la particularité d’avoir réussi à intégrer au sein de la même structure des entrepreneurs et des investisseurs tout en prenant le parti de ne parler que d’une seule voix en tant que communauté et écosystème. Nous représentons, à la fois les actionnaires dirigeants, les actionnaires investisseurs mais également les actionnaires salariés. Cette spécificité de fonctionnement nous a permis d’émerger dans le débat public. Au-delà de cela, et pour répondre plus précisément à votre question, l’écosystème que nous représentons a véritablement progressé, c’est indéniable, tout comme l’attention suscitée par nos initiatives aux yeux des pouvoirs publics. En outre, l’élan et le développement des start-up, sur ce laps de temps, est tout simplement incroyable. Nous sommes, en nombre de start-up, en train de supplanter Londres, ce qui était loin d’être acquis il y a cinq ans. Le bilan est donc, hormis les points évoqués tout au long de l’entretien, globalement positif. Mais nous devons faire preuve de vigilance de façon permanente, même si nous sommes désormais, et c’est l’une de nos plus grandes victoires, beaucoup plus écoutés qu’auparavant.
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