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Interview : Francis Kurkdjian, Le Nez De La Haute Parfumerie

Le Mâle de Jean-Paul Gaultier, c’est lui, Eau Noire de Dior encore lui, Rose Barbare de Guerlain toujours lui !

 

Qui est Francis Kurkdjian ? 

Je suis né à la campagne, à Brou S/Chantereine, d’un père ingénieur et d’une mère qui travaillait à l’Education Nationale jusqu’à la naissance du 2ème enfant. J’ai beaucoup d’admiration pour mon père qui a su par son courage et sa volonté s’instruire dans une école religieuse, obtenir son certificat d’études et atteindre le poste qu’il a (ingénieur en informatique.) En grandissant, j’ai eu la chance de pratiquer l’athlétisme avec mon père, notamment le cross country et la danse avec ma mère. C’est d’ailleurs ma nounou, qui m’a amené à mon premier cours de gymnastique rythmique. Ce qui me passionnait dans la danse, c’était surtout la scène, car on s’y transcende.

 

Un article de VSD va me donner le déclic

J’ai passé le concours, mais j’ai échoué. C’est pourquoi vers l’âge de 15 ans, j’ai eu le déclic pour la parfumerie, grâce à un article dans VSD qui évoquait la puissance de ce secteur (2ème industrie en France et dans le monde.)
Comme la mode me fascinait également, mon grand-père était tailleur et ma mère cousait merveilleusement bien, la parfumerie était un bon biais pour toucher la couture. J’ai été entouré de parents aimants et de grands-parents que j’adorais, qui avaient un respect sans faille du pays d’accueil. Ils avaient un ancrage de valeurs très fortes et une reconnaissance pour la République, qui représentait leur nouvelle patrie, ayant vu une grande partie de leur famille se faire massacrer en Arménie. Mon enfance a baigné dans un univers où les codes consistaient à faire ce que nous voulions à condition de respecter l’autre. Il n’y avait ni nostalgie, ni traumatisme ambiant. J’ai vécu dans l’univers de la musique (je suis entré au Conservatoire à l’âge de 6 ans) entre Modes & Travaux, Bouchara, coupons, fêtes, Jeu des Mille francs à la Radio, la télé n’ayant pas été invitée chez nous. C’était très festif et ces valeurs m’ont permis de me construire.

 

 

Vous êtes diplômé de l’ISIPCA et avez suivi parallèlement un 3ème cycle à l’Institut Supérieur de Marketing de Luxe. Que vous a apporté Sup de Luxe ?

A 14, 15 ans je décide donc de devenir créateur de parfum. Mon père quant à lui ne voyait pas cette orientation d’un bon œil. Il m’a donc proposé de faire mon école de parfumerie à condition de suivre auparavant une école de gestion (devenue Sup de Luxe en 89/90). A l’époque, Michel Guten était directeur de Lancel et m’a transmis des valeurs. Ce qui me faisait vibrer, c’était les grandes conférences où nous avions la chance de rencontrer des personnes comme Elisabeth Guigoux, Alain Dominique Perrin, Alain Boucheron… L’école bénéficiait déjà d’un super réseau. Lors de la remise des diplômes, j’avais fait un mémoire sur la parfumerie, et Chantal Roos (elle a lancé BPI,Opium d’YSL, Odyssée, Issey Miyake…), je l’appelle la « Steve Jobs » du parfum, était présente. Le président du jury me la présente et en sachant ce que je veux faire, elle me demande de l’appeler pour un rendez-vous. Lors de nos différentes rencontres, elle me parle d’un brief sur un nouveau parfum : peau salée, homme qui sort de l’eau… et me demande « cela vous parle ? ». C’était le brief du Mâle de J.P Gaultier. Je serais redevable à jamais de Sup de Luxe qui m’a donné les outils et le réseau pour devenir ce que je suis !

 

 

Comment se renouveler après un tel succès ?

J’étais en apné après le succès mondial du Mâle de JP Gaultier. J’ai vécu ensuite plusieurs échecs, mais l’échec rend intelligent à condition de ne pas faire deux fois la même erreur. Grâce à la danse, j’avais appris à me relever et par la couture, à faire, défaire, refaire ! Le renouvellement pour moi est donc lié à la concentration, à savoir ne pas me rater, car dans ce métier, il n’y a pas de concession.

 

Vous avez donc connu des échecs ?

Bien entendu. J’ai vécu 4 années d’échec. Après le Mâle, je suis parti trois ans et demi à New York avec la Maison Quest pour laquelle je travaillais. Green Tea qui fut le second succès, a d’ailleurs été composé à New York pour Elisabeth Arden. Cette eau se fut un peu le hasard. Il se trouve que j’avais composé un accord de base qui plaisait à un ami et je l’ai utilisé. Il ne m’a fallu alors que 2 essais pour le finaliser.

 

Vous avez des créations éclectiques, ayant créé pour des grands noms comme Dior avec Eau Noire, Guerlain avec Rose Barbare en 2005, Lanvin avec Rumeur en 2006, Van Cleef & Arpels avec Summer & Automn en 2004 entre autres sans parler du Mâle. Qu’est-ce qui vous inspire pour créer un parfum ?

L’inspiration vient de mon passé. J’ai un tel spectre, que cela me permet de me renouveler. Pour moi travailler, c’est d’abord réfléchir. De la même manière qu’un musicien, j’écris une partition pour la mettre ensuite en musique !

 

 

Avez-vous des fragrances de prédilection avec lesquelles vous aimez travailler ?

Surtout pas ! Je suis uniquement un interprète. La longévité du métier, c’est surtout de ne pas être porté par une fragrance. Le Mâle par exemple, c’est la quintessence de ce que j’ai porté, de ce que j’aime. Je suis orgueilleux et je l’assume (sourire). A mes yeux, le brief était lisible, j’ai tout de suite senti ce qu’il devait être au final. Une quintessence de l’oriental. En fait ce fut une inspiration juste !

Quelle est votre définition du parfum ?

Il est lié au verbe, au mot, à l’humanité. C’est le fait de l’homme. A mes yeux, notre humanité s’exprime olfactivement.

 

En 2001 vous créez votre atelier sur-mesure. Que vous apporte-t-il ?

J’étais le premier à créer un atelier sur-mesure. Je commençais à être malheureux et frustré de ne pas voir les marques et de travailler sans avoir de contact avec les maisons en direct. J’aurais adoré faire partie d’une maison. Le sur-mesure m’a permis de m’affranchir de ces frustrations et la technologie de me libérer. Mon modèle dans ce domaine est Karl Lagerfeld. La manière dont il voit la mode, dont il la réinvente. L’Atelier me permet de montrer ce que je suis capable de créer et de sortir mon nom du sérail.

 


Créer un parfum c’ est de l’Art ?

Un artiste et un parfumeur n’ont pas le même statut. Un artisan n’est pas payé sur un projet. Un parfumeur oui. D’après Kant, l’art n’est pas la représentation d’une belle chose, mais la belle représentation d’une chose ! A mes yeux, il y a un art de la parfumerie, mais la parfumerie n’est pas un art. Le parfum est un art décoratif, qui se décompose avec le temps. Par contre il demande une démarche artistique. C’est un médium émotionnel !

 

Site Internet : Maison Francis Kurkdjian
5 Rue d’Alger, 75001 Paris

 

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