Contrairement aux autres géants américains de la technologie, Amazon n’a pas de campus traditionnel. Les quelque 45 000 employés et cadres de Seattle, sur 575 000 dans le monde entier, sont déployés dans de nombreux immeubles du centre-ville et du quartier South Lake Union. Le « siège » de l’entreprise de Jeff Bezos, fondateur et PDG d’Amazon, s’appelle la Day 1 Tower. Son nom vient du dicton souvent utilisé par Bezos : de manière relative, nous sommes toujours au « premier jour d’internet » et, par conséquent, Amazon n’en est qu’à ses débuts.
Cette phrase est de plus en plus difficile à prononcer sans sourciller en voyant la montée en flèche des ventes, profits et du cours des actions de l’entreprise. Le prix des actions a augmenté de 270 % en 3 ans et de 103 % au cours des 12 derniers mois. Amazon, à l’image d’Apple, est en passe de devenir la société qui réalise le plus de profits au monde. Bezos, dont la fortune personnelle avoisine les 160 milliards de dollars nets, est devenue la personne la plus riche de la planète, et de loin.
Jeff Bezos parle pourtant d’Amazon comme s’il s’agissait d’une start-up inconsciente qui venait de clôturer sa série A. « Pour des raisons pratiques, la taille du marché n’est pas limitée », explique Bezos. Il parle les manches retroussées, montrant le fruit de 40 années de musculation : ses avant-bras de Popeye qui ont tant fait parler. Sa logique de croissance provient d’une convergence « super-chanceuse » : la vente en ligne, fil rouge d’Amazon, représente « plusieurs milliards », tout comme le marché du cloud, qu’Amazon Web Services (AWS) a lancé. « Il existe différents secteurs dans lesquels le marché est limité », ajoute l’homme dont le chiffre d’affaires devrait atteindre 210 milliards de dollars cette année. « Mais nous n’avons tout simplement pas ce problème. »
Bezos est déjà l’entrepreneur le plus redouté au monde, sa perspective « sans contrainte » devrait faire réfléchir les chefs d’entreprise. Oui, il est impitoyable et maîtrise parfaitement le long terme. Mais sa plus grande force, comme l’ont confirmé ces dernières années, a été sa capacité à métamorphoser Amazon en marchés adjacents (dont certains l’étaient seulement au début) à une très grande échelle. Et tout cela a été mesuré par le classement Forbes des entreprises innovantes depuis 8 ans. Nous avons récemment collaboré avec un trio de professeurs de management pour essayer de déterminer les chefs d’entreprise les plus innovants des États-Unis. La méthodologie s’articule autour de quatre axes : la réputation et l’influence de l’entreprise auprès du public, la création de valeur et la prime que les investisseurs attribuent au chef de la direction. Tous ces points placent Bezos au premier rang du classement.
« Ce qu’a réalisé Jeff Bezos est peut-être la réussite la plus remarquable que j’ai vue », a déclaré Warren Buffett l’année dernière. Il a ensuite nommé Bezos comme l’esprit d’entrepreneur le plus impressionnant qu’il ait vu au cours de ses 8 décennies d’observation de marchés. « Parce qu’il a pris la tête de deux entreprises très importantes, en même temps, et les a redéfinies. Il est devenu, en quelque sorte sous le nez de ses concurrents, un leader qui réussit dans les affaires. »
Bien que Bezos et Buffett soient tous deux spécialisés dans la vente au détail et le cloud, Bezos est en réalité beaucoup plus indépendant. Tout d’abord, grâce à AWS, la société connue pour avoir mis l’accent sur la croissance plutôt que sur la rentabilité, et qui rapporte finalement des milliards. De plus, Bezos a assez de crédibilité sur les marchés pour réinvestir cet argent à peu près où il le souhaite. Ensuite, l’ampleur des besoins d’Amazon pour assurer la croissance exige pratiquement d’être agressif. Enfin, en dominant les services de commerce de détail et numérique, qui touchent presque tous les autres secteurs, il peut désormais investir dans quasiment toutes les entreprises qui lui apporteraient une valeur ajoutée. Il pèse plusieurs milliards de dollars sur au moins 4 marchés : la santé, le divertissement, le produits électroniques et la publicité, dont la plupart des entreprises ne sont pas encore terrifiées par Amazon. Ce n’est pas un hasard si chacune d’entre elles avoisine le potentiel « trillion » dont Bezos fait référence.
Vers l’infini et au-delà.
La valeur nette et le rang de Jeff Bezos au classement Forbes 400.
Alors que ses pairs pionniers de l’ère de la dot-com ont adopté et popularisé la pratique du « kimono ouvert » (la transparence), Bezos a toujours considéré la furtivité comme un atout. Elle permet de masquer les nouvelles initiatives avec des dépenses plus importantes et feindre un désintérêt pour ses favoris en plein essor. Alors que le profil public de Bezos s’est élargi, les déclarations publiques et les interviews (bien qu’il possède le journal Washington Post) se font de plus en plus rares. Bezos refuse d’aborder le sujet de Donald Trump, qui a pris l’habitude de l’attaquer lui et son journal sur Twitter, mais il a bien compris qu’il avait une cible sur le dos. Lorsqu’on lui a demandé, en tant que dirigeant d’une entreprise de publicité en plein essor, s’il avait tiré une leçon des déboires de Facebook l’an dernier, sa réponse était succincte, politique et inconcevable. « Non », a répondu le défenseur de la formation en entreprise, s’arrêtant quelques secondes pour souligner que lui-même n’y allait pas. Idem en ce qui concerne le fait de spécialiser son entreprise dans les données. « Je n’ai jamais vraiment pensé à Amazon de cette manière », explique l’homme qui gère autant de données qu’une entreprise spécialisée, avant de reprendre son discours. Lorsqu’on lui suggère que c’est au moins un outil, Bezos intervient rapidement : « L’un des nombreux outils. »
Néanmoins, la matinée qu’il a passée à décrire ses moteurs en termes d’innovation et où il choisissait de se développer a fait ressortir un schéma concernant l’avenir d’Amazon. Compte tenu de sa taille, l’entreprise se déplace à la fois verticalement et horizontalement, chaque direction laissant présager de nombreuses perturbations. Il y a 5 ans, Bezos semblait à peine satisfait d’essayer de tout vendre à tout le monde, devenant le fléau de la plupart des grossistes et détaillants. Mais cet artiste et maître de l’innovation a désormais la palette ultime : n’importe quelle industrie qu’il a choisie.
Au cœur de cette ère sans contrainte, le mot le plus important chez Amazon est « oui ». Bezos explique sa vision de la hiérarchie traditionnelle des entreprises : « Supposons qu’un jeune cadre ait une nouvelle idée à essayer. Il doit convaincre son patron, le patron de son patron, le patron du patron de son patron, etc. le moindre ‘non’ dans cette chaîne peut tuer l’idée tout entière. » C’est pourquoi les start-up agiles massacrent si facilement les dinosaures du marché, épuisés. Même si 19 investisseurs en capital-risque disent «non», il suffit qu’un 20ème dise «oui» pour qu’une idée révolutionnaire entre dans le monde des affaires.
L’ère d’Amazon
Durant les 21 dernières années, Amazon est passé de la vente de livres en ligne à la vente de produits très diversifiés, des pommes aux vidéos.
3 avril 1995 : Livres. 1ère vente : « Fluid Concepts and Creative Analogies : Computer Models of the Fundamental Mechanism of Thought »
11 juin 1998 : CD. Plus de 125 000 albums dans 60 genres différents
Novembre 2000 : Amazon. Le vendeur tiers commence à vendre de tout sur son site, des caméras au mobilier de salon
C’est pour cette raison que Bezos a structuré Amazon autour de ce qu’il appelle des « chemins multiples vers le oui ». Cela concerne en particulier les « portes à double sens », des décisions qui reposent souvent sur des améliorations progressives mais peuvent s’avérer imprudentes. N’importe quel dirigeant peut donner son feu vert à propos d’une idée que les employés compareront ensuite en interne. « Il sait et nous savons que vous ne pouvez pas inventer ou expérimenter sans quelques échecs », a déclaré Jeff Wilke, qui dirige les opérations de consommation mondiale et de vente au détail d’Amazon. « On en est fiers en quelque sorte. En fait, on veut qu’ils se produisent. Jeff n’a pas besoin de tout réexaminer. Je n’ai pas besoin de réexaminer. »
Mais en ce qui concerne les « portes à sens unique », c’est-à-dire les idées plus larges et verticales, qui changent l’orientation de la société, Bezos est fier de jouer le « président directeur du ralentissement ». Il recherche trois choses. D’abord l’originalité : « Nous devons avoir une idée différenciée. Notre offre ne doit pas être comme toutes les autres », explique-t-il. Ensuite, l’échelle. « Nous possédons de très grosses affaires que nous avons bâties au fil du temps, et nous ne pouvons pas nous permettre de nous investir dans quelque chose qui, même si cela fonctionne, restera petit. » Et, enfin, un retour sur investissement digne de la Silicon Valley. « Même à grande échelle, le rendements du capital investit doit être élevé. »
2 février 2005 : Amazon Prime. À ses débuts, l’option proposait une livraison gratuite en deux jours pour 79 euros par an
14 mars 2006 : Amazon Web Services. Location de puissance de calcul, stockage de bases de données, livraison de contenu pour (principalement) les petites entreprises.
7 septembre 2007 : Amazon Video. Des milliers de films et de séries en téléchargement, avec entre autres Buffy Contre les Vampires ou Star Trek.
Au final, explique Bezos, les idées qui viennent alimenter ce système triple se matérialisent de deux façons : soit en étudiant les besoins des clients (nos clients agissent d’une certaine façon, trouvons un produit qui les intéressera), soit dans l’autre sens (nous savons comment créer quelque chose qui a une certaine valeur, trouvons un public qui sera intéressé).
L’empire Amazon découle finalement de cette dernière approche. Le site occupait originellement une niche de marché, et Bezos aurait pu concentrer ses efforts pour simplement en faire la principale librairie en ligne, tout comme Etsy gère l’artisanat et Zappos les chaussures (ce dernier site a d’ailleurs été acquis par Amazon). Mais en maîtrisant les clés de la vente de livres, Bezos a compris que ces outils (gestion d’inventaire, systèmes de recommandation) pouvaient tout aussi bien s’appliquer dans d’autres domaines : d’abord pour la musique et les DVDs, puis les jouets et les objets électroniques, et enfin, pour à peu près tout ce qui peut être vendu dans les commerces de détail. Bezos a ensuite de nouveau utilisé judicieusement son expérience (et avec succès) pour ouvrir Amazon aux vendeurs indépendants, ses anciens concurrents, solidifiant sa position de pionnier et s’élevant ainsi au niveau de prédécesseurs comme Sam Walton (fondateur de Walmart), Aaron Montgomery Ward (pionnier de la vente par correspondance), et Julius Rosenwald (fondateur de Sears Roebuck).
19 novembre 2007 : Liseuse eBook Kindle. Vendue 399 dollars, la rupture de stock est atteinte en cinq heures et demie.
22 juillet 2009 : Zappos. Rachat du vendeur en ligne de chaussures pour près d’un milliard de dollars en actions.
14 novembre 2011 : Kindle Fire. Accès en streaming à 100 000 films et séries.
L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais, en tant que principale boutique en ligne du monde occidental, Amazon a également dû résoudre de nombreux problèmes technologiques et logistiques, et, au lieu de simplement considérer ces expériences comme synergiques à son activité de base, Bezos a su percevoir leurs possibilités commerciales.
Un besoin interne de développeurs à temps partiel a donné Mechanical Turk, une des premières plateformes de sous-traitance sur le modèle de la « gig economy ». La création de son extraordinaire infrastructure de distribution a donné le service Expédié par Amazon, et la maîtrise du traitement des paiements des achats a donné Amazon Pay.
Les choses sont allées encore plus loin : alors qu’Amazon préparait l’énorme infrastructure nécessaire au stockage de ses données dans le cloud, Bezos a eu l’idée d’en profiter pour proposer ce service à d’autres entreprises. En 2017, AWS a rapporté un chiffre d’affaire de 17,5 milliards de dollars. Même les concepts tournés vers les clients finissent par rapporter, grâce à l’expérience qu’ils rapportent. Prenons la liseuse Kindle, le premier pas d’Amazon dans le monde du matériel électronique en 2007. Wilke, qui arrivait de chez AlliedSignal, se souvient avoir protesté auprès du conseil : « J’ai pris la parole, et j’ai dit “Je ne suis pas d’accord. Nous courons le risque de devoir repousser sa sortie, nos bénéfices seront trop faibles, nous n’arriverons pas à tenir le rythme de production et nous allons frustrer nos clients. Créer des appareils est difficile, et nous sommes une entreprise de logiciel ».
23 juin 2015 : Amazon Echo. Première enceinte connectée, utilise l’assistance vocale Alexa.
28 août 2017 : Whole Foods. Acquisition pour 13,6 milliards de dollars.
28 juin 2018 : Pillpack. Plans d’acquisition annoncés, encore en cours.
« Jeff a répondu : “Je veux bien reconnaître que tout cela risque d’arriver, mais je suis tout de même convaincu que notre entreprise doit apprendre à construire des appareils, alors il est temps se lancer.” ». Et c’est exactement ce qui s’est passé. Chez Amazon, le Kindle est un produit quelque peu idéalisé, à la fois parce qu’il s’agit du premier appareil Amazon, et parce qu’il rappelle l’origine de l’entreprise, les livres. Cependant, il n’a pas transformé l’entreprise, et d’autres échecs ont suivi, comme le tristement célèbre smartphone Fire. En revanche, la décision de Bezos a finalement mené à la création de l’enceinte connectée Amazon Echo, qui s’est révélée révolutionnaire.
« Aujourd’hui, nous avons beaucoup d’expérience dans le domaine matériel, mais à l’époque ce n’était pas le cas » se souvient Bezos, amusé « Il faut être capable d’être patient. Il ne suffit pas juste de passer du temps à apprendre, il faut aussi savoir savoir attendre que les choses arrivent à maturité. » Autrement dit, si vous étudiez ce sur quoi Amazon se concentre en ce moment, vous pourrez vous faire une idée assez nette de ce que l’entreprise compte vendre prochainement.
En ce moment, ce sont les soins médicaux qui intéressent Jeff Bezos. Il s’agit de l’industrie principale des USA (18 % du PIB), et une des moins bien gérées. L’an dernier, Bezos, Warren Buffet, et Jamie Dimon, le PDG de JPMorgan Chase ont annoncé que leurs trois sociétés comptaient combiner leurs efforts, et nommer le docteur Atul Gawande comme président d’une organisation à but non lucratif visant à permettre à leurs employés de recevoir de meilleurs soins à moindre coût, avec pour but de créer un modèle évolutif et clonable. La tâche est d’ampleur titanesque : le plan concerne 1,2 millions de personnes. Si l’on ajoute également les personnes à charge de ces employés, alors cela revient à gérer un projet pilote pour toute la population de l’Oregon ou du Connecticut.
Bezos insiste sur les intentions d’Amazon dans ce projet : « Cette initiative est à but non lucratif, comme vous le savez déjà. C’est très différent » ajoute-t-il avant même qu’on n’ait le temps de lui poser une question sur le sujet. Warren Buffet est du même avis : « Nous croulons sous les gens qui souhaitent rejoindre le projet après en avoir entendu parler. Nous leur avons dit “Pas besoin de nous rejoindre. Volez tout ce que nous obtenons, si nous obtenons quelque chose”», avait-il déjà expliqué quelques mois plus tôt. Ce « si » est révélateur. « Comme Christophe Colomb au moment de son départ, nous n’avons aucune idée d’où nous allons exactement », ajoute Buffet « mais nous espérons bien trouver un nouveau continent, et non pas chuter une fois les limites du monde connu atteintes ».
Mais même si un destin funeste les attend, Bezos a déjà gagné la partie : Amazon va renforcer ses talents dans un domaine représentant un cinquième de l’économie du pays. Bien que toute avancée développée avec Buffet et Dimon doive rester « au sein de cette organisation à but non lucratif », Bezos indique que « chaque entreprise est également libre de poursuivre ses propres initiatives ». Il a d’ailleurs déjà commencé de son côté : en juin, Amazon a accepté de payer près d’un milliard de dollars pour acquérir PillPack, une start-up livrant quotidiennement des médicaments pré dosés et emballés. On retrouve tout ce pour quoi Amazon est doué : fiabilité, customisation, et expédition, et cela lui permet de mettre un pied dans la porte du monde de la santé.
Bezos s’intéresse également à la publicité. Les résultats trimestriels les plus récents d’Amazon ont en effet révélé des chiffres surprenants : Amazon devrait dépasser les 8 milliards de dollars de recettes publicitaires cette année, soit environ le double du total de l’année dernière. Et pourquoi pas ? Google sait ce qui vous intéresse, Facebook déduit ce que vous êtes enclin à acheter… Et Amazon sait ce que vous avez réellement acheté, ou même si vous avez eu l’intention première de le faire, avant de changer d’avis.
Cela soulève toutes sortes de problèmes. Bezos parle de manière exubérante de son obsession pour le consommateur, mais peu de clients désirent être ciblés par davantage d’annonces. Bezos affirme que la confiance qu’Amazon entretient avec ses clients garantira que l’entreprise ne franchira pas les limites et que les clients, à leur tour, lui donneront le bénéfice du doute. « C’est très précieux, et personne ne fera jamais rien pour compromettre ça », explique-t-il. « C’est ce qui permet de développer l’activité ». Si Bezos suit cette voie, il est facile d’imaginer que le « duopole » de la publicité Facebook-Google gagne un sacré concurrent.
Lorsque vous vous baladez entre les buildings de Seattle, le bâtiment le plus intéressant, voisin d’Amazon, est une épicerie qui prend place au rez-de-chaussée de la Day 1 Tower. L’achat pour 13 milliards de dollars de Whole Foods l’année dernière n’est en effet que la deuxième initiative la plus intéressante dans le domaine de l’agro-alimentaire réalisée par Amazon. La première est ainsi Amazon Go, une expérience « brique et mortier » de près de 170 mètres carrés, ouverte début janvier.
L’épicerie Go est l’une des initiatives les plus puissantes d’Amazon. Bezos a toujours insisté sur la frugalité, et voici que ses employés (ainsi que quelques résidents de Seattle et touristes) font leurs emplettes chez Amazon, fournissant ainsi à la société une foule de données pour parfaire ses connaissances et compétences. Plus important encore, Go démontre tout ce qu’il est rendu possible de faire dès lors que différents aspects de la myriade d’opérations entreprises par la société sont réunis. Ainsi, Go englobe les connaissances acquises chez Whole Foods ; à partir de capacités algorithmiques et matérielles de plus en plus sophistiquées d’Amazon, sous forme de technologies IA, de caméras, de capteurs, qui s’allient afin de déterminer ce qui est pris et reposé sur les étals et par qui. Amazon Pay, qui gère les transactions de manière transparente, enregistre tout un tas d’autres données. Prendre une barre chocolatée pourrait s’apparenter à du vol -pas de queue, pas de scan, pas de tapis roulant… Si la santé et la publicité représentent des facteurs de dépenses et bénéfices grandissant pour Amazon, Go regroupe l’infini champ de possibilités permis lorsqu’Amazon réunit toutes ses technologies.
L’aspect le plus important de tout ceci est Prime. À la base, Prime n’est qu’un outil de marketing, un moyen d’encourager les achats et de générer des revenus d’abonnement conséquents et récurrents (environ 10 milliards de dollars en 2017). Mais au fur et à mesure de sa croissance, ce service premium est devenu un moyen de couvrir ses abonnés – plus de 100 millions – d’avantages et de privilèges. Et ces avantages créent une infinité de nouvelles contiguïtés et lignes commerciales pour Amazon. Ainsi, Prime a notamment commencé à empiéter sur le territoire jalousement défendu par Netflix, et devrait dépenser près de 5 milliards de dollars en programme cette année ; en investissant notamment dans Mme Maisel, femme fabuleuse.
En seulement trois ans, « Prime Day » – 36 heures de promotions réservées aux membres d’Amazon Prime, pendant lesquelles des milliards de dollars sont dépensés pour plus de 100 millions de produits (chiffres de juillet) – est devenu un véritable événement, dont la frénésie est seulement surpassée par le Black Friday et le Cyber Monday. Le succès de Prime permet à Amazon de faire payer plus cher ses détaillants extérieurs pour y avoir accès.
Prime soutient par ailleurs la stratégie « brique et mortier » d’Amazon. Les livraisons 24h et les retours Prime nécessitent davantage de points physiques (entrepôts), ce qui contribue à étendre son expansion à toutes sortes de domaines, tels que l’alimentation, un type de produit périssable qui ne correspond pas au modèle classique d’Amazon. En outre, après des années en tant que « tueur de librairies », la société compte désormais 16 sites Amazon Books permanents, dans 11 États américains. Et Amazon a récemment ouvert un deuxième magasin Go à Seattle. « Ils se doivent d’avoir quelque chose de spécial et de nouveau », selon Bezos. « Et c’est ce que vous verrez si vous prêtez attention à notre stratégie de magasins physiques ».
En bref, Prime est devenu le cœur d’Amazon, en connectant tous les domaines de l’entreprise et en donnant à Amazon la possibilité de se développer sur de nouveaux marchés tout en cherchant à développer son activité de détail – sans qu’elle soit à proprement parler indépendante. « Il ne peut s’agir d’une entreprise autonome, car elle est complètement liée à notre offre grand public », explique Jeff Bezos.
De même, comme on l’a vu avec Go, l’intelligence artificielle va relier de plus en plus ce qui semblait jusqu’ici être des lignes de produits disparates, du cloud au commerce de détail. Prenez le succès fou d’Echo, qui a soulevé la question de Jeff Wilke à propos d’Amazon – s’agit-il d’une entreprise fabricant des matériels ou des logiciels ? Ça se discute. En tout cas, c’est une pièce matérielle, alimentée par l’IA, qui conduit les ventes au détail d’Amazon, exploite son contenu, etc. « La chose la plus intéressante à propos de l’apprentissage automatique, contrairement à beaucoup d’autres technologies, c’est à quel point elle est horizontale », d’après Jeff Bezos. « Il n’y a pas une entreprise, un gouvernement ou quoi que ce soit, en réalité, qui ne puisse pas s’améliorer ».
Même le HQ2, deuxième siège social d’Amazon qui sera, selon les informations, fini d’ici la fin de l’année, témoigne des perspectives horizontales d’Amazon (Forbes parie notamment sur Washington D.C., où Bezos est déjà ancré et où talent, logistique et accès aux influenceurs se mêlent). De plus en plus, d’après Bezos, le facteur géographique perd de son importance. Lorsque deux groupent sont tenus de travailler ensemble, ce que vous désirez c’est que « ces deux groupes organisent quelques réunions, et établissent une feuille de route pour le travail à venir ». Il ajoute : « Si tout est bien organisé, les personnes concernées ne sont pas nécessairement tenues de se trouver dans le même bâtiment, ni même dans la même ville, ou sur le même fuseau horaire… Car vous avez une stratégie commune et bien définie pour vous guider ».
Et ne vous y trompez pas, cette feuille de route est « à peu près tout » ce sur quoi travaille Bezos, en déléguant quotidiennement des opérations commerciales. La réflexion à long terme a toujours été la marque de fabrique d’Amazon, et le gain de liquidités d’AWS permet à Bezos de continuer à gérer le marché de détail avec des marges quasi nulles et des efficacités inattaquables, ainsi que d’investir dans des domaines divers et variés. « Je suis très rarement attiré par des objectifs à la journée », explique Bezos. « Je préfère travailler sur des plans sur deux ou trois ans, et la plupart des membres de mon équipe fonctionne également ainsi ».
« Des amis me félicitent après une annonce trimestrielle des résultats d’Amazon et me disent : ‘Bon boulot, bon trimestre’ et je leur réponds : ‘Merci, mais ce trimestre a été réalisé il y a trois ans’. Je travaille sur un trimestre de 2021, aujourd’hui ».
C’est cet état d’esprit qui fait peur aux entreprises de dizaines d’autres industries. « Je trouve des idées. Nous pourrions nous asseoir ici avec une seule idée, et je pourrais remplir un tableau blanc avec 100 autres idées, en une heure », déclare Jeff Bezos. « Si une semaine se passe sans brainstorming, je me plains et supplie presque mes équipes de m’aider sur un point ». Entreprises, prenez note : innover ou Jeff Bezos le fera pour vous.
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