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Hubert Cotté, DG France de Workday : « Nous vivons depuis 3 ans des perma-crises qui imposent une nouvelle gestion du changement »

Hubert Cotté, DG France de Workday.
Hubert Cotté, DG France de Workday.

Fondé en 2005, Workday, éditeur américain de solutions cloud pour la gestion des finances et des ressources humaines des entreprises affiche en 2023 un chiffre d’affaires de 6,22 milliards de dollars et qui compte plus de 2,025 clients ayant leur siège en Europe parmi lesquels (La Mutuelle Générale, Le Club Med ou encore Le Groupe Barrière). Hubert Cotté, Directeur Général France de Workday, nous explique les raisons du succès de l’entreprise.

 

Il y a deux ans, vous avez quitté Google pour rejoindre l’acteur américain Workday… Cette décision est-elle similaire à celle de David Duffield et Aneel Bhusri, qui ont quitté le groupe PeopleSoft en 2005 après l’OPA “hostile” de l’éditeur Oracle pour créer Workday ?

Hubert Cotté : Cela fait plus de 25 ans que je travaille dans l’industrie du logiciel, essentiellement aux fonctions commerciales de grands éditeurs comme Oracle, Microsoft, SAP ou encore Salesforce. Je n’ai effectivement pas découvert Workday par hasard. J’ai eu la chance de faire partie de l’aventure PeopleSoft. J’ai ensuite suivi la création de Workday et j’ai su que je travaillerais un jour dans cette société.

Par ailleurs, j’ai toujours été attiré par les projets intrapreneuriaux dans ma carrière et l’aventure Workday répond parfaitement à cette appétence avec la volonté de contribuer à l’avenir des ERP en travaillant pour l’entreprise la plus visionnaire dans ce domaine.

Comment se positionne Workday sur un marché du logiciel où la concurrence américaine est très présente ?

H. C. : Workday aspire à devenir “the intelligent digital backbone“, c’est-à-dire la colonne vertébrale intelligente de la gestion des ressources humaines et des finances pour les entreprises. Notre plateforme applicative tout-en-un dispose d’une gestion unique et centralisée des données, en temps réel, et d’une agilité que n’offrent pas les outils historiques du marché.

Ces derniers sont calqués sur une époque où les organisations pouvaient se permettre d’élaborer des process sur le long terme ou bien à partir d’un plan stratégique sur 10 ans. Mais aujourd’hui le monde s’accélère et il s’avère très difficile de piloter ces activités au-delà de 18 mois. Nous vivons d’ailleurs depuis 3 ans des perma-crises qui imposent une nouvelle gestion du changement et les systèmes traditionnels n’ont pas été architecturés pour ce modèle agile. Le fait d’adopter une stratégie de cloud natif n’est simplement lié à la gestion de données, il s’agit bien d’un mindset à part entière.

Notre architecture est plus moderne, plus souple et permet d’ingérer de l’innovation de l’extérieur. Prenons l’exemple de l’IA, qui reprend de l’ampleur avec le phénomène ChatGPT : nous avions commencé des projets similaires dès 2014, notamment avec Skillscloud, des algorithmes de matching pour recommander des profils aux recruteurs en fonction des compétences déclarées. Toutes ces solutions sont disponibles sur une même plateforme, une seule application mobile, et nos clients peuvent s’en emparer très facilement.

Comment les “perma-crises” que vous évoquez ont-elles impacté la gestion financière des entreprises ?

H. C. : Nous assistons dans un premier temps à une accélération des transformations de la gestion financière. Cette dernière passe d’un modèle régalien et orthodoxe à une gestion plus transverse. Ainsi, les directeurs financiers doivent gérer à la fois des données financières mais aussi non financières — spécifiquement en lien avec la dynamique ESG.

En clair, ils deviennent les garants des indicateurs de performance élargie de l’entreprise. Ils ont donc besoin d’un système plus ouvert qui fait la synthèse entre la comptabilité générale, les indicateurs extra-financiers mais aussi les données internes et externes.

En parallèle, ce système doit aussi permettre l’automatisation de tâches fastidieuses grâce à l’intelligence artificielle et le machine learning notamment pour la détection d’anomalies ou encore de factures non conformes. Beaucoup de processus peuvent être automatisés pour alléger le travail du directeur financier et lui permettre de se concentrer davantage sur l’analyse de la performance plutôt que la saisie financière.

Qu’en est-il des métiers RH ?

H. C. : Les métiers RH expriment aussi beaucoup le besoin d’équipement en systèmes intégrés et modernes. En France, cette demande en termes d’outils de gestion des talents est d’autant plus forte depuis la crise sanitaire et la digitalisation poursuit son chemin. C’est aussi un enjeu primordial pour le recrutement des entreprises qui souhaitent s’imposer sur un marché des talents pénurique.

D’après une étude de McKinsey, l’IA permettrait d’automatiser 50% des tâches d’ici 2045. Les business model et l’emploi vont donc changer, et plus vite que prévu. C’est un changement de paradigme assez fort qui va obliger les managers à accompagner à la fois les collaborateurs en interne mais aussi à attirer les talents d’aujourd’hui et de demain à partir de nouveaux référentiels et de nouvelles fiches de postes.

Dans le même temps, l’emploi va aussi se redessiner avec un mélange de salariés et non-salariés. Il n’y aura pas que la création de CDI ou de chargés de projet mais aussi l’intégration de profils intérimaires, d’indépendants ou encore de consultants. C’est un nouveau mix de compétences qui nécessite un nouveau système de gestion et Workday permet justement de s’adapter.

Comment mesurez-vous la maturité des entreprises sur ces enjeux de transformation ?

H. C. : L’effet COVID a aussi eu des vertus, notamment sur l’accélération de la maturité digitale. Les entreprises ont subi cette crise sanitaire mais ont réagi de manière exceptionnelle et ont davantage pris conscience de l’intérêt de s’armer face à des vents contraires qui surgissent de manière improbable.

Elles ont également accéléré sur la quête de sens et sur la nécessité d’une organisation du travail plus flexible. Il y a aujourd’hui un retour en force du présentiel mais les organisations conservent une approche de travail hybride. Elles ont compris qu’il fallait se transformer en 2 ou 5 ans et non pas 10, comme elles le pensaient auparavant.

Toutefois, il faut aussi prendre en compte la réalité économique dans laquelle baignent les entreprises. Au-delà de la volonté d’accélérer, il y a également un impératif d’optimisation économique et une pression très forte sur la trésorerie au vu du contexte. C’est un équilibre très fin à trouver entre le réalisme de la gestion financière et la nécessité d’investir dans la technologie pour s’assurer des leviers de performance à court et moyen terme.

Comment percevez-vous la peur ambiante vis-à-vis de l’IA notamment sur la perte d’emploi qu’elle pourrait générer ?

H. C. : À chaque grande révolution industrielle, la même crainte s’est manifestée. Mais à chaque fois, ce risque s’est révélé très faible. Je conserve une vision plutôt optimiste car ces vagues technologiques ont tendance à augmenter la productivité au lieu de supprimer des emplois. Prenons l’exemple de l’industrie automobile : en 2035, les voitures thermiques ne seront plus produites et les ingénieurs du secteur sont d’ores et déjà formés aux moteurs électriques. C’est la même chose avec ChatGPT et il y aura besoin davantage de formation pour mettre à jour les compétences – notamment des développeurs.

Quels enjeux sont aussi stratégiques pour votre organisation dans les années à venir ?

H. C. : Comme évoqué un peu plus haut, le positionnement de Workday est d’être “l’intelligent digital backbone” des entreprises pour gérer leurs ressources financières et humaines. Dans ce cadre, nous investissons énormément sur l’IA et le ML qui offrent des perspectives d’innovations et bénéfices métiers extraordinaires. Ces technologies ne sont pas nouvelles pour Workday puisque les premières expérimentations datent de 2014.

En revanche, nous nous sommes engagés à un usage éthique de ces technologies et sommes très actifs dans l’évolution des réglementations à l’échelle mondiale et avons d’ailleurs participé aux discussions ayant abouti à l’AI Act européen. La deuxième tendance concerne l’accélération de la transformation du domaine financier. Le contexte change la donne et les systèmes deviennent plus ouverts. Nous poursuivons donc nos projets de refonte très ambitieux en la matière.

Il y a enfin tous les enjeux concernant le futur du travail qui concernent bien entendu les DRH mais pas seulement. Je n’ai jamais autant parlé de gestion du capital humain avec les directeurs financiers que ces deux dernières années. Les ressources humaines font désormais partie intégrante des sujets dont s’emparent les comités de direction car elles ont un impact réel sur le business model et la performance de l’entreprise.

Des conseils aux entreprises pour s’adapter au contexte ?

H. C. : Ne retardez pas trop vos réflexions sur l’enjeu de transformation de vos systèmes Finances et Ressources Humaines. Ce ne sont pas les plus forts qui résisteront aux chocs mais bien les plus agiles.

 

 

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