Autrefois président de la SNCF pendant plus de 10 ans, Guillaume Pepy a pris la tête en 2020 d’Initiative France, un réseau associatif qui finance et accompagne les entrepreneurs dans tout l’Hexagone. Pour Forbes France, ce dernier nous en dit plus sur les motivations qui poussent de plus en plus de monde à se lancer dans l’aventure entrepreneuriale.
Quelle mission se donne le réseau Initiative France ?
Guillaume Pepy : Nous sommes un réseau associatif d’utilité publique qui aide gratuitement à la création d’entreprise. Nous sommes 20 000 bénévoles, 1 000 salariés sur le terrain et nous fédérons plus de 200 associations très actives dans l’accompagnement à l’entrepreneuriat.
Concrètement, lorsque vous avez des envies d’entrepreneuriat, nous vous aidons à construire votre dossier, votre plan d’affaires, de trésorerie ou bien commercial. Nous avons aussi la possibilité d’octroyer un prêt d’honneur à taux zéro jusqu’à 70 000 euros ; ce dernier étant un gage de confiance auprès des banques qui pourraient s’intéresser à votre projet. Notre accompagnement dure entre 3 et 5 ans et concerne tous les entrepreneurs, peu importe dans quel réseau territorial ils sont implantés.
Depuis sa création en 1985, Initiative France a permis la naissance de plus de 400 000 entrepreneurs en France. Et ce, dans tous les secteurs de l’économie, tous les territoires et avec tous les profils comme des étudiants, des salariés ou des personnes en reconversion professionnelle. Seules deux conditions sont nécessaires pour nous rejoindre : il faut que le projet soit viable et surtout que l’envie d’entreprendre du porteur de projet soit là.
Est-ce que votre rôle est de venir combler les efforts de la French Tech dans des territoires tricolores plus isolés ?
G. P. : Oui et la disparité territoriale est moins ressentie chez nous de manière générale. Notre caractéristique est bien de servir les entrepreneurs partout, y compris dans des territoires où la French Tech n’est pas implantée. Notre maillage territorial est notre force et nous contribuons chaque année à la création de 750 startups par an. La French Tech et nous sommes complémentaires, et cette dernière dispose d’un grand niveau d’expertise, mais elle n’est pas présente partout et pour tous.
Comment les entrepreneurs se sentent-ils dans ce contexte marqué par de fortes incertitudes financières et géopolitiques ?
G. P. : Nous avons justement mené récemment notre enquête annuelle auprès de notre réseau de 25 000 entrepreneurs et nous avons constaté que ce contexte d’inflation, de hausse des taux d’intérêts et d’incertitudes internationales renforce leur détermination. Ils ont décidé de se lancer à partir d’une idée d’innovation et il n’y a pas grand-chose qui les feront dévier de leur objectif.
Dans le même temps, cela ne traduit pas de l’égoïsme de leur part car bien souvent leurs initiatives profitent à l’économie réelle ; en termes de création d’emploi, de richesse mais aussi de contribution à la société et au tissu local. Les projets à impact ont explosé : cela représente près de trois quarts de nos entreprises aujourd’hui contre un quart avant la crise sanitaire. Tous contribuent à imaginer l’économie de demain et cela ne passe pas uniquement par de la tech pure.
Selon vous, la popularité de la French Tech a tendance à occulter une part de l’entrepreneuriat en France ?
G. P. : Oui, mais il faut tout de même admettre que la plupart des licornes françaises aujourd’hui ont un impact non négligeable sur la société. Doctolib et Blablacar, par exemple, ont probablement davantage changé la vie des gens que ne l’ont fait tous les pouvoirs publics réunis.
Il est vrai que le digital est dans la majeure partie des cas impliqué et c’est ce qui fait que le public peut penser que l’entrepreneuriat est justement réservé à ces futures licornes. Mais en réalité, la plupart des entreprises créées chaque année touchent tous les secteurs, y compris en dehors des carcans de la French Tech. Tout le monde peut créer sa boîte, il n’y a pas de diplôme exigé, ni d’expertise spécifique – ou du moins celle-ci peut se renforcer sur le terrain.
Quels conseils donneriez-vous à ceux qui souhaitent se lancer dans l’aventure entrepreneuriale ?
La meilleure garantie de réussir reste l’accompagnement. En France, le problème numéro un n’est pas le financement mais plutôt l’accompagnement qui permet à l’entrepreneur de se consacrer entièrement à son idée. Notre rôle est de les conseiller dans leurs démarches administratives ou encore dans leur recherche de financements extérieurs.
Pour autant, l’accès aux financements – notamment en venture capital – n’a jamais été aussi sélectif…
G. P. : Oui, nous entrons dans la période la plus difficile du cycle de resserrement des financements. Je pense qu’il faut transformer cette période d’attentisme en un temps utile : profitez-en pour peaufiner votre projet, pour travailler des variantes, pour vous challenger ou encore trouver les meilleurs talents.
Pour ce qui est de la trésorerie et de la rentabilité, il faut garder en tête que plus les projets touchent l’économie réelle, le territoire et le quotidien des habitants, plus ils auront de chances de s’ancrer durablement. L’ère des logiciels permettant à des développeurs de faire fortune rapidement est révolue. Nous ne sommes plus dans les années 2000 et les entrepreneurs cherchent du sens, de l’impact et un ancrage réel dans les territoires.
Avec la période actuelle de profonde réorientation de nos économies, cette tendance est bienvenue. Les entrepreneurs sont au fond parvenus à mieux réconcilier leur vie professionnelle avec leur vie personnelle. Chez nous, l’évaluation d’un projet commence d’ailleurs toujours par les valeurs partagées par notre interlocuteur.
Cela explique-t-il la pénurie de talents qui touche le monde professionnel, en particulier chez les grands groupes ?
G. P. : C’est probablement une partie de la réponse et je suis pour ma part en désaccord avec ce cliché consistant à dire que les nouvelles générations ne veulent pas travailler. Le Code du travail mentionne plusieurs fois une « relation de subordination » et nous sommes aujourd’hui face à une recherche de modèles plus participatifs et associatifs. Les jeunes qui se lancent dans l’entrepreneuriat souhaitent justement être davantage impliqués dans les prises de décision, au même titre que la recherche de sens.
Un exemple qui permet de corroborer mon argument : les banques sont particulièrement touchées par cette pénurie de talents car il faut avouer qu’il est difficile de s’épanouir dans une agence. Mais à l’inverse, le secteur de l’aide à la personne implique des tâches encore plus difficiles et pourtant la fidélisation des effectifs est stable. La raison : les personnes travaillant dans ce secteur se sentent portées et impliquées par leur travail.
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