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Guillaume Jouffre (GreenGo) : « Il faut réconcilier cette envie d’évasion avec une consommation plus raisonnable et soutenable du tourisme »

Guillaume Jouffre, cofondateur de GreenGo.
Guillaume Jouffre, cofondateur de GreenGo.

Lancée en 2021, GreenGo est une plateforme d’hébergement française et éco-responsable qui se présente comme une alternative durable à Booking et Airbnb. Pour Forbes France, le cofondateur de la startup a accepté de nous en dire plus sur son projet destiné à mettre en valeur le tourisme local et à penser le désir d’évasion autrement, alors que l’entreprise vient de lever 3 millions d’euros.

 

Après une période Covid au point mort, le tourisme a retrouvé ses niveaux de 2019 avec près de 1,3 milliards de flux touristiques en 2023 dans le monde, d’après le baromètre l’Organisation mondiale du tourisme (OMT). Plus encore, le PIB du secteur devrait même connaître une croissance annuelle de 6% d’ici à 2032, selon l’Allied Market Research

Une progression qui inquiète Guillaume Jouffre, cofondateur de GreenGo, alors que le voyage est aujourd’hui responsable de 11 % du total des émissions de gaz à effet de serre. Sa startup annonce le bouclage d’un tour de table de 3 millions d’euros auprès des investisseurs Chausson Finance, Climate Leaders Fast-Track, 4Ventures et Inco Ventures.

 

Forbes France : Comment GreenGo se positionne face au rebond du tourisme après la crise sanitaire ?

Guillaume Jouffre : L’envie de voyager remonte à plus d’un siècle, avec notamment l’introduction des congés payés et l’arrivée du tourisme à grande échelle. Mais la crise sanitaire et les confinements successifs ont marqué un retour du tourisme domestique. Puis, la fin de cette crise a engendré un regain massif des voyages à l’étranger et l’inflation ne semble pas avoir entamé le budget des Français alloué aux vacances. Le désir d’évasion est toujours très fort et n’est pas près de s’éteindre.

Dans le même temps, le tourisme est responsable de 11% des émissions de gaz à effet de serre, c’est plus que le secteur de la mode ou de la construction par exemple. Et puisqu’on ne va visiblement pas s’arrêter de voyager, il faut trouver un moyen de réconcilier cette envie d’évasion avec une consommation plus raisonnable et soutenable. GreenGo a justement été créé en ce sens avec un angle spécifique sur l’impact du tourisme.

Il y a tellement de trésors à découvrir dans notre pays et il faut mettre en valeur ce type de vacances à faible impact. Nous nous concentrons d’abord sur l’hébergement et nous avons facilité la mise en réseau de plus de 15 000 hébergements en ligne. Nous avons aussi mis en place un EcoScore qui permet à leurs efforts environnementaux de se démarquer. 

Plus récemment, notre offre migre progressivement vers une plateforme tout-en-un qui intègre le trajet pour se rendre à un hébergement mais aussi une mécanique de recherche plus orientée sur les envies des internautes. Cela peut être par exemple la recherche d’un weekend en nature près de Paris. Le fait est que la plupart des plateformes concurrentes demandent directement « Où souhaitez-vous aller ? ». En réalité, personne n’a d’idée fixe sur le sujet et un internaute passe en moyenne 303 minutes en ligne sur plusieurs sites pour planifier ses vacances.

Cela ressemble vaguement au cœur de métier des agences traditionnelles de voyage, vous ne trouvez pas ?

G.F. : Oui, mais pas vraiment du point de vue de la réalisation car nous ne proposons pas de packages à destination de plusieurs personnes en même temps. Nous sommes entrés dans l’ère de l’hyper-personnalisation et personne n’a envie que tout soit décidé à l’avance. C’est d’ailleurs ce qui contribue au déclin des agences de voyage traditionnelles. Notre mission consiste à partir de l’envie de l’internaute pour le guider vers des choix d’expériences adaptés.

Notre plateforme rend visible des logements de vacances authentiques, parfois insolites et qui répondent à des critères spécifiques de respect de l’environnement. Si vous êtes à court d’idées, notre moteur de recherche GreenGo Explore déniche des hébergements responsables selon la ville de départ, le mode de transport et le temps de trajet souhaités. Enfin, nous avons aussi récemment lancé un comparateur de transports réunissant dans un même tableau le prix, le temps de trajet et le CO2 émis en fonction des modes de mobilité utilisés.

Comment faites-vous pour rendre votre modèle rentable ?

G.F. : Nous percevons de commissions à hauteur de 12% sur les réservations, et c’est tout. Le taux est légèrement plus faible que celui opéré par Booking ou Airbnb et surtout il ne comporte pas de frais de dossier supplémentaires. C’est là encore une grande différence avec les agences de voyage qui négocient le prix en gros auprès des hébergeurs et des opérateurs de transport, tout en ajoutant des frais de dossier pour se rémunérer. De notre côté, nous offrons aux hébergeurs une clientèle plus qualifiée et à la recherche d’une expérience unique.

La concurrence est-elle rude sur le segment du voyage à faible impact ?

G.F. : Au début du projet, nous comptions nos concurrents sur les doigts de la main. Maintenant tout le monde essaye de s’y mettre. Je dirais qu’une quinzaine d’acteurs a réussi à déployer des offres de voyages durables mais beaucoup d’entre elles tombent dans le greenwashing – parfois en pensant bien faire. 

Il y a un an, j’ai déposé une plainte envers Skyscanner auprès du Jury de Déontologie Publicitaire de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) pour greenwashing. Résultat : l’affichage des émissions de CO2 économisées sur son site est devenu plus sobre et a perdu sa couleur verte.

Vivre une expérience unique signifie-t-il vivre une expérience plus onéreuse ?

G.F. : C’est une idée reçue que nous souhaitons déconstruire car voyager à faible impact coûte moins cher. Déjà parce que les hébergeurs qui font des efforts environnementaux consomment moins d’énergie, moins de matière, mais aussi parce que le trajet pour s’y rendre est moins onéreux. Maintenant, l’enjeu de croissance de cette offre durable est crucial : son passage à l’échelle lui permettra d’être encore plus compétitive sur le marché en termes de prix.

Il est vrai qu’un trajet domestique en avion est souvent moins cher qu’un trajet en voiture ou en train… Quel rôle du régulateur dans ce rééquilibrage ?

G.F. : La taxe annoncée par le nouveau gouvernement sur le transport aérien dans le cadre de son plan de « fiscalité verte » est un premier signal positif. Mais il faut aller plus rapidement et surtout opérer ce rééquilibrage sur le tourisme à l’échelle européenne. Le principe du payeur pollueur devrait s’imposer en prenant en compte l’impact carbone généré. Cela permettrait notamment de financer le développement des lignes TGV dont nous avons besoin.

Le prix est le plus grand frein pour les consommateurs en matière de transport. Et les exonérations sur le kérosène de l’aviation ou même les subventions publiques qu’obtiennent les aéroports rendent les prix de trajet en avion injustement trop faibles. Pour prendre en compte tous ces paramètres, une réforme globale du tourisme et des transports en France serait la bienvenue.

Que répondre aux personnes qui souhaitent s’évader à l’autre bout du monde ?

G.F. : Ce désir de lointain est évidemment un frein au développement du voyage durable. Tout n’est pas possible en bas-carbone mais énormément d’options existent pour voyager. Ce n’est pas forcément un sacrifice de voyager de manière plus eco-responsable. Chez GreenGo, nous plaçons le curseur entre le fait de maximiser le plaisir et celui de minimiser l’intensité carbone à tout prix. Ce qui fait qu’un client passé par notre plateforme a généré 6 fois moins d’impact qu’un touriste français en moyenne. 

Et pour minimiser l’impact d’un voyage à l’étranger, il faut déjà se poser la question si il est possible de s’évader moins loin mais aussi d’allonger la durée de son séjour pour avoir recours à des modes de transport moins polluants.

Quelle place peut occuper la sobriété dans la consommation de tourisme ? Doit-on limiter chaque personne à 4 trajets en avion sur toute une vie, comme le propose l’ingénieur Jean-Marc Jancovici ?

G.F. : J’ai un avis assez ouvert sur la question. Je pense qu’il faut respecter les libertés de chacun mais il est vrai que la liberté de certains menacent la survie des prochaines générations. La taxation carbone des transports est en ce sens une bonne idée – même si le projet initié lors des accords de Kyoto n’a jamais vu le jour à cause de la pression de lobbies industriels. Il y a aussi un enjeu de justice sociale : ceux qui polluent le plus devraient naturellement payer plus pour le développement durable. Je suis donc favorable à la taxation agressive de ceux qui ont le plus d’impact carbone pour financer la transition durable.

Vous venez de lever 3 millions d’euros… À quoi vont servir les fonds ? 

G.F. : L’an dernier, GreenGo a franchi la barre des 100 000 nuitées réservées, soit une hausse de 150 % par rapport à l’exercice précédent. Au total, 20 000 trajets ont par ailleurs été comparés via notre comparateur de transport depuis juin 2023 et 40 000 voyageurs ont utilisé notre plateforme au cours de cette même année, avec une note moyenne de satisfaction en postséjour de 4,8/5.

Nous allons surtout investir dans le développement technologique de notre plateforme pour qu’elle intègre à la fois les transports, l’hébergement, le prix et le niveau de praticité au même endroit. Une partie des fonds vont aussi servir à des fins marketing pour booster la notoriété de notre plateforme et mieux la faire connaître du grand public. En tant qu’entreprise à mission, notre raison d’être consiste à tout faire pour démocratiser l’accès aux voyages à faible impact. Nos objectifs sont chiffrés avec des métriques bien précises et sont évalués régulièrement lors de comités de mission.

Une grande partie de notre mission de sensibilisation auprès du public est mesurée à partir du nombre d’impressions en ligne que l’on obtient à travers nos outils de communication. Et les contenus sur les réseaux sociaux sont clés : nous avons par exemple récemment signé des partenariats avec la SNCF et des influenceurs qui se filment lors de vacances bas-carbone. 

https://www.tiktok.com/@greengo.voyage/video/7192273997680168197

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