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Gastronomie : Guy Savoy Au Firmament Des Chefs Étoilés

©Guy Savoy

Mise à jour du 02/12/2018. Et de trois ! Le chef étoilé Guy Savoy a été de nouveau sacré meilleur restaurant du monde par La Liste qui compile les classements de 628 guides culinaires de référence et les avis de millions de gourmets. Portant haut les couleurs de la gastronomie française, Guy Savoy a obtenu la note – quasi parfaite – de 99,75 sur 100. Pour ce cru 2019, la table « Le Bernardin » du New-Yorkais Eric Ripert a été désignée ex aequo en tête de La Liste au côté de l’établissement trois fois vainqueur de « La Monnaie de Paris ». Le maître Guy Savoy revient pour Forbes sur son parcours, sur la passion intacte qui l’habite et partage avec nous son quotidien d’entrepreneur. Retour sur une success story inspirante.

Gault & Millau, le Michelin, la Liste… les critiques les plus prestigieuses ont couronné votre cuisine. Reste-t-il des territoires de conquête ?

Quotidiennement, je fais face à un enjeu de conquête. A l’heure du déjeuner et du dîner, ma volonté est de satisfaire chaque table et chaque convive. A cette fin, mon équipe et moi-même demeurons en permanence attentifs à ce qui se passe en salle. J’ai un rapport très fort avec la clientèle, j’essaie en effet d’être en permanence en prise directe avec elle afin de ressentir ce que je qualifie de « montée d’ambiance » : l’atmosphère palpable à 21 heures s’intensifiera deux heures plus tard dans un esprit joyeux. Certes, les revues gastronomiques qui distinguent ma cuisine inspirent les gourmets dans leurs choix de venir expérimenter mes créations culinaires, néanmoins dès qu’ils auront passé la porte de mon établissement, c’est bien leur propre notation qui primera sur ces classements.

Rien n’est figé, ni acquis. L’émulation commande nos actions à chaque instant. Tel un « président-entraîneur-capitaine » d’une équipe de rugby de haut niveau en plein match, nous délivrons collectivement un championnat pour exécuter des recettes d’exception et offrir l’expérience la plus inoubliable possible : humainement, gustativement et sensoriellement. Affranchis de toute pression.

Je crois que l’on est bien plus efficace en travaillant dans la sérénité que sous coercition. La passion est notre carburant.

A 15 ans, vous saviez que vous seriez cuisinier ou rien. Comment, si précocement, a pu émerger une telle certitude ?

Lorsque j’ai quitté le lycée en seconde, j’étais en rébellion contre le système scolaire. Aucune figure professorale ne m’a inspiré, ni transcendé : je m’ennuyais profondément ! Adolescent, dans mon village de Bourgoin-Jallieu en Isère, j’ai vite compris que mon épanouissement passerait par cette rupture. A ma manière, j’étais un rebelle constructif car je savais exactement où aller. En observant ma mère derrière les fourneaux préparer des langues de chat à partir de farine, d’œufs, de beurre et d’une pincée de sel, j’ai été fasciné par la magie de la transformation. A mesure que la pâte s’étalait et que l’odeur savoureuse se diffusait en cuisine, mon émerveillement allait crescendo. Cette expérience culinaire a agit comme un catalyseur, je voulais devenir cuisinier. Aujourd’hui encore, cet émerveillement ne m’a jamais quitté. Lorsque je confectionne un plat qui, sous la traction de découpage, d’assaisonnement et de cuisson, se commue en met délicat invitant au plaisir gustatif, je suis autant enthousiasmé que mes convives. Trouvez-moi une activité tout aussi gratifiante ?!

Homard bleu « terre et mer »

 

« La formation par l’apprentissage » : cette notion de tracer son sillon et d’exceller à travers l’apprentissage se heurte aujourd’hui encore à quelques jugements péjoratifs. On se souvient de la déclaration l’année dernière du PDG de Véolia qui jugeait ses enfants « trop brillants » pour ce genre de cursus ; comment pourrait-on selon vous faire évoluer les mentalités en France sur la question ?

Ce sujet devrait être appréhendé dès la maternelle, au moment où l’enfant est en construction et réceptif aux normes canoniques que la société lui renvoie. En leur transmettant la notion d’hétérogénéité de notre société, ils comprendront la richesse d’avoir des gens différents les uns des autres. Cela pourrait les amener, plus tard, à ne pas mettre de biais entre les métiers issus de l’apprentissage et ceux émanant de la voie généraliste ; par cette démarche, nous pourrions contribuer à réduire les jugements de valeur chez ces jeunes esprits.

Regardons la Suisse, dont je suis assez proche. La plupart des grands présidents de groupe ont été des apprentis ! Il y a un vrai problème de mentalité en France. Moi-même, je l’ai expérimenté lorsque j’ai souhaité me former au métier de cuisinier. Les conventions me reléguaient au rang d’abruti, ni plus ni moins ! J’ai dû lutter, convaincre, prouver. Mes parents rêvaient d’autre chose pour leur fils. Je vais vous citer une anecdote marquante : lorsque j’étais apprenti dans mon village de Bourgoin-Jallieu, mon maître d’apprentissage en pâtisserie m’a envoyé chercher des citrons sur la place centrale de mon bourg. Il était impensable pour moi de m’y rendre dans cet accoutrement tant il me mettait mal à l’aise. Conséquemment, je suis allé me changer pour gagner ce lieu très fréquenté.

Le regard et les réflexions chargés de jugements négatifs peuvent littéralement faire des ravages chez un adolescent de 16 ans. Rendez-vous compte de la force de caractère qu’il m’a fallu pour résister et continuer à exercer la profession qui me faisait rêver. Heureusement que j’étais habité par une passion sincère. Arrêtons de décrier la formation par l’apprentissage et mobilisons-nous pour la valoriser à part entière. A ce propos, je me réjouis des récentes déclarations du Premier ministre au sujet du plan d’investissement dans les compétences, dont l’apprentissage. C’est un signal encourageant.

Huîtres en nage glacée – ©Laurence Mouton

 

Comment faire, aujourd’hui, pour ne pas passer à côté d’un autre « Guy Savoy » ?

Il faut que les plus jeunes, malgré leurs incertitudes d’adolescence, écoutent leur passion et leur voix intérieure. Qu’ils se refusent de se lancer dans des aventures par dépit, par craintes et sous la pression. Je les enjoins à être dans une « rébellion constructive  », tout comme je l’ai été. La France rayonne grâce à ses savoir-faire uniques dans les domaines de la maroquinerie, la couture, la gastronomie, la viticulture, et tant d’autres encore… Pourtant notre pays aime s’auto-flageller en occultant et dépréciant son génie. Le génie de « ses mains ». Lors de mes nombreux voyages partout dans le monde, je mesure pleinement l’admiration, et même l’envie, que nous suscitons pour ces savoirs.

Je milite depuis fort longtemps pour la formation par l’apprentissage. Je considère qu’il n’y a pas de meilleure pédagogie que la pratique au quotidien. J’ai toujours plusieurs apprentis dans la maison. Et puis je m’adresse aussi à ceux qui n’ont pas encore fait leur choix professionnel : j’ouvre ma cuisine aux collégiens pour leur stage d’observation en troisième. Je dis à tous ces jeunes, les apprentis comme les lycéens, qu’être cuisinier c’est posséder un vrai métier et que cette qualification, souvent durement acquise, leur ouvre ensuite les portes du monde. Sur toute la planète en effet, la profession de cuisinier est respectée ; on a la chance, aussi, de côtoyer des hommes et des femmes auprès desquels on peut s’enrichir, que ce soient des pairs, des convives, des artistes… C’est un métier qui permet d’exprimer sa sensibilité, sa personnalité, et qui suscite l’enthousiasme.

Paleron maturé et la basse côte persillée de Wagyu, mini Parmentier et le saladier

 

Depuis quelques années, nous assistons à un engouement très fort des Français pour la gastronomie ; des émissions telles que « Top Chef », « Le Meilleur Pâtissier » ou « Un Dîner presque parfait » foisonnent. Que vous inspire ce phénomène ?

Ces émissions peuvent désinhiber les adolescents qui n’auront plus peur d’afficher leur passion de la cuisine. L’engouement actuel autour de la gastronomie pourrait peut-être aussi générer une émulation dans les métiers de bouche et, par extension, valoriser la formation par l’apprentissage. Nous y revenons ! Les racines de ce phénomène sont à rechercher rétroactivement : dans les années 60, j’ai le souvenir que l’on nous prédisait déjà qu’à l’an 2000, nous nous alimenterions à partir de pilules, qu’une seule variété de pommes existerait, ou que notre poulet aurait le goût de poisson, entre autres prophéties.

Face aux évolutions agricoles et industrielles, effarantes pour certaines, les Français ont dit Non ! Leur résistance s’est caractérisée par l’émergence d’une floraison de labels d’origine contrôlée, sauvegardant ainsi nos bovins, la culture de nos fruits et légumes n’a pas disparu.

A l’exception de la France, dans aucun pays, en effet, on ne peut trouver installés dans chaque ville : charcutier, boucher, tripier, volailler, boulanger, pâtissier, confiseur, primeur, traiteur, caviste… Je dirais que ces programmes médiatiques sont en cohérence avec notre histoire.

Soupe à l’artichaut à la truffe noire, brioche feuilletée

 

En quelques mots, comment qualifieriez-vous votre cuisine ?

Simplicité, au sens noble du terme, et respect des produits. Toujours. Je puise les saveurs dans la préservation du goût originel, de même que je ne vais pas à l’encontre des saisons. Véritable gage de qualité ! La recherche de l’esthétique complète ma signature car ce qui est bon au-dedans doit être beau au-dehors. Ma règle d’or est de ne jamais dénaturer le produit afin qu’il demeure identifiable. Prenons l’exemple de l’huître que je dispose en transformant l’eau en gelée pour donner de la consistance et pour parfaire le confort en bouche. La maîtrise des textures, des températures, des associations d’ingrédients, permettent d’accéder à la quintessence.

Un skieur, après une journée d’activités, trouvera beaucoup de réconfort dans une banale tasse de chocolat chaud ou, à l’inverse, un promeneur en juillet appréciera grandement son sorbet fraise. Ces sensations de chaud et de froid infusent une réelle intensité physique. Un bien-être. De fait, je ne me départis jamais de l’approche physique du goût.

Les Maisons Guy Savoy « ont toutes le même parfum et chacune sa personnalité » : citons bien sûr votre bateau amiral à la Monnaie de Paris, votre établissement au Caesar Palace de Las Vegas, Le Chiberta, Les Bouquinistes. Comment gérez-vous l’entreprise Guy Savoy ? Acceptez-vous l’appellation de chef entrepreneur à l’heure de la start-up nation tant promue par le président Emmanuel Macron ?

La gestion de mes restaurants implique forcément d’agir en entrepreneur avisé au regard de mes multiples responsabilités. Salariales notamment. Je supervise 130 employés au total et mon rôle est de pérenniser l’entreprise avec ce supplément d’âme reposant sur la passion. Depuis 38 ans, je suis installé à mon compte, il m’a donc fallu réaliser 38 bilans positifs. Comme de nombreux artisans, je ne compte pas mes heures et cumule plusieurs casquettes : chef cuisinier, recruteur, responsable de communication… ce qui est inhérent au statut d’entrepreneur.

Je m’appuie sur un équipage galvanisé qui travaille énormément. L’année prochaine, je fêterai mes 50 ans de carrière, sachant que dans les faits j’exécute deux journées en une, je soufflerai donc mes 100 ans d’exercice ! Quelle chance de n’être jamais dans la besogne et de vivre son métier dans le plaisir.  

Lors des vœux présidentiels, le chef de l’Etat a eu cette formule marquante qui a beaucoup fait réagir : « Demandez-vous ce que vous pouvez faire pour le pays ? ». Que peut faire le Meilleur Chef cuisinier du monde ?

Exercer mon métier le mieux possible avec une énergie intacte ! Tous les jours, je fais mon maximum pour réjouir mes convives, motiver mon équipe et rendre hommage à mes fournisseurs. Chez Guy Savoy, nous accueillons près de 45% d’étrangers, à qui nous devons excellence, émotions et émerveillement : par la gastronomie, la France s’affirme dans toute son expression. Nous, cuisiniers du pays, nous participons quotidiennement à son rayonnement.

L’exotique, fine coque rafraîchie à l’ananas

 

A l’aune de cette nouvelle année qui s’engage, qu’espérez-vous, qu’attendez-vous ?

J’aimerais continuer à vivre cette belle histoire, à m’émerveiller encore et toujours. La France a tellement de raisons de croire en elle, en ses Hommes et Femmes d’exception !

 

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