Alors que la pénurie de talents semble se généraliser, Forbes France en a profité pour interviewer un spécialiste en matière de recrutement : François Leverger, Directeur Général d’Hellowork, une plateforme incontournable de l’emploi capable de rivaliser avec les géants extra-européens du secteur.
D’où venez-vous et comment est venue l’idée de créer HelloWork ?
François Leverger : J’ai suivi une formation en école de commerce et ma carrière professionnelle s’est d’abord faite dans le monde du service, du financement, de la gestion de risques et du recrutement. En 2010, j’ai décidé de rejoindre RegionsJob, qui avait besoin de structuration sur son activité commerciale. À cette époque, les « job boards » qui investissent le marché de la vente d’annonces d’emploi agissaient comme des médias. Mais nous avions déjà la conviction que nous allions tous devenir des sociétés de services à part entière.
La vraie bascule pour le marché commence dans les années 2000 avec l’avènement du web et la fin annoncée des annonces dans les titres de presse. Résultat, le coût de diffusion d’une annonce s’est divisé par 10 et les offres d’emploi se sont donc mécaniquement démultipliées.
En 2012, l’arrivée du cookie a tout changé car cela permet d’en savoir plus sur les internautes qui recherchent un emploi. À ce moment-là, nous avions le choix soit de rester un média de diffusion de ces annonces ou bien devenir une entreprise de services destinée à mieux comprendre les besoins métiers de nos clients. En échange, nous leur fournissons des données sur ce qui intéressent les candidats de notre plateforme.
Notre plateforme est créée en 2014 et nous avons la chance d’opérer sur le secteur de l’emploi car les offres réunissent un grand nombre de caractéristiques. Chaque jour, plus de 30 millions de données sont collectées et une offre est ciblée à partir d’un millier de critères. Nos algorithmes ont la possibilité de faire des ponts entre différents métiers ou secteurs et cela permet de mieux cibler les besoins des candidats. Par exemple, le CV d’un candidat peut indiquer qu’il est basé sur Paris mais ses recherches sur notre site montrent bien qu’il s’intéresse aux emplois à Toulouse.
Est-il possible que les compétences d’un candidat correspondent à plusieurs métiers ?
F. L. : Oui, il est bien possible de faire des ponts entre différents métiers et c’est le cas par exemple entre l’industrie aéronautique et automobile. Nous faisons aussi des ponts entre hiérarchie de métiers car typiquement les fonctions commerciales sont présentées avec plus de 200 intitulés de poste différents mais avec des missions équivalentes.
Nous affichons en permanence plus de 600 000 offres d’emploi sur notre plateforme avec un degré de détail fin qui sert ensuite à faire le rapprochement avec d’autres métiers. Ce qui fait que les offres sont classifiées au début selon ses caractéristiques, puis à posteriori grâce à l’analyse des habitudes de nos algorithmes.
Recourir aux algorithmes peut aussi exposer au risque de désintermédiation, vous ne pensez pas ?
Plus il y a de données, plus les risques de biais sont forts. L’effet est forcément démultiplié et il faut au départ être extrêmement vigilant sur le design de l’algorithme. Une fois en exécution, le système doit être en permanence sous contrôle humain. Et nos équipes sont formées pour veiller à ce que nos algorithmes évitent les dérives discriminantes basées sur la race, les origines, le genre, le nom ou encore le lieu d’habitation.
Le risque de déshumanisation dans le recrutement est un grand débat mais je pense ici que les données ne remplaceront pas l’humain car les ressources humaines restent avant tout basées sur du spécifique.
Prenons le cas de la recherche en médecine, des algorithmes apprenants ont déjà prouvé leur capacité à détecter par exemple des traces de cancer à partir de milliers d’images d’anomalies. Je ne pense pas que l’intelligence artificielle – du moins auto-apprenante – ne soit la seule voie pour faire matcher au maximum les attentes des candidats avec celles des recruteurs. Il est toujours nécessaire de mener d’autres évaluations spécifiques pour savoir si un candidat peut s’épanouir dans sa future entreprise.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le rapprochement en avril dernier des marques Cadreo, RegionsJob et ParisJob ?
F. L. : Ces dernières années, notre plateforme nommée RegionsJob a clairement pris de l’ampleur, devenant le premier acteur privé de l’emploi. Nous avons développé plusieurs autres activités sur la formation professionnelle et mené des acquisitions, comme celle de la start-up bordelaise Jobijoba en 2018. Et le groupe continue de grandir.
En avril dernier, RegionsJob est devenue HelloWork à la suite de la fusion de nos 11 sites emploi (RegionsJob, Paris Job, Cadreo). HelloWork est le leader français de l’emploi capable de rivaliser avec de grands acteurs tels que LinkedIn et Indeed. Nous souhaitons créer un champion français de l’emploi qui s’exporte, à l’image de Blablacar dans la mobilité.
HelloWork devra devenir aussi une référence dans le langage commun. Et le regroupement de nos 11 sites sous une seule marque permet de mieux bénéficier de notoriété. Notre différenciation vis-à-vis des gros acteurs réside dans le service et l’expérience utilisateur que nous offrons. Nous sommes d’ailleurs à ce titre très proche des logiques du marché de l’e-commerce. Nous avons l’ambition de changer l’accès à l’emploi comme Doctolib l’a fait pour la médecine. Changer l’expérience du candidat en rééquilibrant sa relation avec les recruteurs.
Dans votre dernier baromètre, on y apprend que vous avez diffusé 2,2 millions offres d’emploi au 3e trimestre 2022, soit une augmentation de 16% des offres d’emploi diffusées entre le 1er et le 3e trimestre – bien loin, donc, d’un ralentissement malgré le contexte économique et géopolitique.
F. L. : Cette tendance peut se constater mais il faut tout de même préciser un biais : le nombre de nos clients ne cesse de grandir, ce qui augmente mécaniquement nos offres d’emploi. De manière générale, la pénurie de main d’œuvre se ressent au niveau européen et crée une tension sur le marché de l’emploi. Nous manquons structurellement de talents par rapport aux besoins, quand bien même l’économie résiste aux conjonctures.
Pour en savoir plus sur les secteurs qui recrutent, consultez le baromètre trimestriel (Q3) dédié à l’emploi d’HelloWork.
Adrien Moreira, cofondateur de Bruce, précisait récemment dans un entretien pour Forbes France : « Le concept de pénurie est utilisé à tout-va par des entreprises qui ne font pas le nécessaire pour mieux recruter ». Etes-vous d’accord ?
F. L. : Je le rejoins sur ce point : il y a à la fois un problème de pénurie et des entreprises qui ne mettent pas forcément tout le temps les moyens nécessaires pour recruter. Je pense aussi que le rapport de force s’est inversé dans le recrutement et les talents ont aujourd’hui plus de pouvoir. Le premier investissement à faire dans une entreprise reste à destination des ressources humaines et le contexte actuel pousse à déployer plus de moyens pour mieux attirer et fidéliser les talents.
En parallèle, il y a aussi un conflit générationnel sur le fait d’accepter qu’un jeune talent ne veuille pas forcément faire toute sa carrière dans une seule entreprise ou un seul métier. Le point clé pour les nouvelles générations selon moi est de pouvoir offrir plus de mobilité et d’employabilité destinée à faire évoluer les compétences.
Il y a un risque face à l’incertitude de faire preuve de plus de prudence mais je pense que nos clients sont assez matures pour comprendre qu’il ne faille pas se désengager du recrutement. D’autant plus que le taux d’investissement dans le recrutement est bien souvent corrélé à la diminution du taux de chômage.
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