La pandémie n’est pas finie que nous voici en crise. Dans la série d’entretiens Face au Virus, Forbes échange avec les hommes et les femmes qui travaillent aux adaptations nécessaires.
Antoine de Riedmatten préside le directoire d’In Extenso : 5 000 experts-comptables ; 100 000 clients TPE et PME. Un observatoire privilégié pour la crise du Covid-19. Après un entretien général sur les conditions de la reprise après le confinement, nous présentons plus loin la check-list qu’il a réalisée, essentielle dès aujourd’hui pour tous les entrepreneurs.
Forbes. Quelles perspectives après le confinement ?
Antoine de Riedmatten. Cela va énormément varier selon les secteurs. Le déterminant principal va être l’exposition à l’international et notamment, pour les établissements recevant du public, au tourisme étranger. Ce n’est pas une question de taille, au contraire. Les petits restaurants ou d’ailleurs tous les commerces qui s’appuient sur une clientèle de quartier rebondiront plus vite que les grands magasins ou les établissements qui dépendent des touristes. Quant aux autres secteurs, la santé bien sûr a le vent en poupe et l’agriculture, tout comme l’industrie, pourront bénéficier du raccourcissement des circuits et de la relocalisation. On sait que le recours à la sous-traitance française va augmenter et cela commence déjà à mobiliser les investissements. Même s’il va falloir payer le prix d’une réadaptation de notre économie, tout n’est pas noir !
Forbes. Ne risque-t-on pas ainsi de relocaliser des industries polluantes? Peut-on réellement penser à une « relance verte » ou, comme toujours, cela se résoudra-t-il à un grand programme de travaux publics?
Antoine de Riedmatten. Il y aura sans doute un programme de travaux publics pour relancer le BTP mais, non, ce risque ne semble pas très important. Pour l’industrie, les normes sont en place et le niveau de protection de l’environnement ne va pas baisser. Au contraire, dans de nombreux secteurs, la reprise pourra s’accompagner d’un gain écologique. Par exemple, on sait que le transport, aujourd’hui, s’est réduit de moitié. Il est probable que la reprise sera lente, car l’ensemble des supply chains sont en train d’être remodelées pour relocaliser la production de biens et services. Or, le transport est une composante prépondérante dans le bilan carbone de très nombreux produits, notamment dans l’agriculture – et en général, dans tous les produits à fort volume et valeur unitaire faible. Pour faire court, on sait que chaque crise peut permettre de reprendre les sujets d’avant sous un angle différent. Je parie sur une relance verte.
Forbes. Vous donnez donc raison à ceux qui pensent que rien ne sera plus comme avant?
Antoine de Riedmatten. Dans certains domaines, absolument. Prenez le télétravail. En moyenne, cela concernait 5-10% des effectifs avant la pandémie. Après deux mois à 100%, on retombera sans doute autour du tiers, le niveau que certains consultants considéraient optimal dans les services, mais que les réticences empêchaient d’atteindre. L’investissement effectué par les TP-PME dans les logiciels de production et de collaboration aura pour effet immédiat d’accélérer leur transformation numérique, avec de très profondes conséquences. Tout d’abord, on libérera des gains cachés de productivité, en réduisant le turnover et en ouvrant la voie à l’e-commerce, la robotisation et l’industrie 4.0.
En parallèle, la généralisation du télétravail devrait conduire à une vraie remise en cause de la hiérarchie et du management intermédiaire. Pourquoi réunir un comité de direction ou un conseil d’administration physiquement tous les mois une fois qu’il aura pris l’habitude d’une téléréunion plus brève chaque semaine ? Il faudra peut-être même repenser les les modes de rémunération. Plutôt que de se baser sur le temps passé au travail, le principe du « travail posté » au coeur du code du travail, on pourra rémunérer au résultat, à la pièce. C’est en même temps plus équitable, car on paie mieux les personnes les plus efficaces, et moins égalitaire. Sans compter qu’on aura moins besoin de bureaux, ce qui aura un impact sur la structure des villes et les prix de l’immobilier…
Forbes. Dans l’immédiat, comment vos clients ont-ils traversé ce premier mois de confinement ?
Antoine de Riedmatten. Ils se sont tout d’abord tournés vers leurs salariés. Il a fallu fermer des sites, protéger celles et ceux qui continuent à travailler… Puis assurer leurs rémunérations, en montant les dossiers de chômage partiel et en trouvant les ressources nécessaires, souvent via les aides publiques. Il faut remarquer, au passage, que le système a tenu, malgré les problèmes techniques sur les sites Web de l’administration, qui n’a pas su faire face à l’affluence.
Comme toujours, la réalité est différente du discours… et cette fois, elle me semble franchement positive. On n’a pas pu faire simple, peut-être était-ce impossible, mais les FAQ de l’administration sont sorties vite, aussi bien les aspects sociaux que fiscaux, la relation avec les banques ou les compagnies d’assurance… et elles ont été mises à jour presque en temps réel. Bref, l’Etat a clairement fait des progrès, et les banques ont montré du courage et l’envie de collaborer, en gardant ouvertes leurs agences alors même que l’on manquait de masques et que leur personnel se posait des questions. On les a accusées de lenteur et de lourdeur, comme toujours, mais il faut comprendre qu’elles courent le risque, en cas de non-conformité, de voir sauter la garantie de l’Etat.
Forbes. A propos du PGE, on semble oublier trop facilement que le prêt risque de grever sur les finances de l’entreprise, surtout en cas de crise prolongée. Comment bien gérer ce risque ?
Antoine de Riedmatten. C’est un réel questionnement. Le gouvernement, d’ailleurs, commence à parler d’annulation de charges, et ce n’est pas un hasard. Notre conseil, c’est d’opérer en deux temps. Dans l’urgence, face à une conjoncture risquée et imprévisible, l’entrepreneur a intérêt à demander le PGE, et en général toutes les aides et tous les prêts auquel il a droit. Dans un an, si son marché est reparti et le trou de trésorerie a été résorbé, il sera sans doute intéressant de réduire l’endettement et rembourser. Autrement, il faudra renégocier avec les banques en demandant une consolidation des prêts sur plusieurs années. Et il faudra tenir compte du fait que les banquiers verront arriver, en mars-avril prochains, une sorte de mur d’échéances, qu’il vaut mieux anticiper. Ce sera notre rôle d’aider nos clients : l’expert-comptable a vécu sur l’analyse et l’explication du passé mais il évolue vers le prédictif. En ce moment, ce sont bien sûr des prévisionnels de trésorerie. Mais demain, nous mettrons le big data à la disposition des TPE-PME.
Propos recueillis en confinement le 15 avril 2020
Les 50 questions de l’entrepreneur : la check-list essentielle d’In Extenso
I. Continuer l’activité
- Identifier les activités à poursuivre impérativement en fonction de la valeur client et de la valeur pour l’entreprise, faire des choix stratégiques en recensant les processus critiques
- Rendre explicites les activités auxquelles il est raisonnable de renoncer en cette période
- Informer/réunir le CSE ou toute autre instance représentative du personnel
- Identifier les fonctions clés, les personnes attachées à ces fonctions clés et les binômes. En former d’autres dans la mesure du possible
- Connaître l’ensemble des mesures proposées pour faire face financièrement. Identifier les éventuelles difficultés de mise en œuvre de ces mesures
- S’assurer que les principaux fournisseurs sont en mesure de continuer à soutenir l’entreprise. Prévoir d’autres plans si ce n’est pas le cas.
- Prévoir que cette situation de crise peut s’inscrire dans la durée : s’organiser en conséquence
- S’assurer que les dispositifs pour lutter contre la fraude interne et externe sont opérationnels pour faire face aux nouveaux risques liés au télétravail généralisé –> rappeler les consignes de vigilance sur la fraude au Président, les cyber-attaques type phishing…
II. Financer l’entreprise
- Sécuriser les différents processus financiers : doublonner les fonctions-clés identifiées (signatures, habilitations pour réglements de factures et salaires, etc.)
- Suivre la trésorerie et sa projection (anticiper les besoins), les encaissements et les règlements. Entamer une réflexion sur un plan de réduction des coûts et de préservation de la trésorerie. Dresse une liste exhaustive des points de vigilance avec son expert-comptable.
- Identifier les éventuelles difficultés financières de l’entreprise et mettre en place de mesures comme le prêt BPI
- Etudier les contrats d’assurance en vigueur pour analyser les garanties applicables immédiatement (par ex. pertes d’exploitation sans dommage) et celles à souscrire dès à présent pour de futures éventuelles réclamations (ex. RC Mandataires sociaux)
III. Juridique, social, RH
- Mener une veille permanente pour suivre les directives gouvernementales : fiscales, sociales, financières, sanitaires
- Vérifier les délégations de pouvoir et de responsabilité
- Se mettre en conformité des mesures d’urgence et utiliser les nouvelles opportunités pour pérenniser l’organisation
- Préserver la santé et la sécurité des collaborateurs et se mettre en règle avec le cadre légal : communiquer sur la stratégie mise en place et les gestes barrière et acquérir gel hydroalcoolique, masques, …
- Suivre le plan de négociation avec les syndicats ; connexion avec le CHSCT / CSE
- Définir une politique éclairée sur la rétention des ressources « non CDI » (CDD, périodes d’essai, nouveaux embauchés, intérimaires…). Trouver les bons équilibres entre les urgences de trésorerie et les ressources qui seront nécessaires lors de la reprise
- Rendre explicites, par écrit, les règles de bon fonctionnement du télétravail pour ne pas se mettre en faute par rapport aux règlementations : heures de connexion, vérification de ces heures (et durée de rétention et destruction de ces données). Prendre en compte les collaborateurs qui doivent garder des enfants et réadapté les horaires si besoin
- Se donner les moyens de contacter chaque collaborateur et établir un circuit d’alerte
- Développer les méthodes et outils de management à distance avec des réunions téléphoniques quotidiennes à heure fixe pour créer un rituel et tenir dans le temps, maintenir un lien avec le collectif, humaniser les conversations
- Communiquer régulièrement pour rassurer les collaborateurs pour qui le télétravail peut être mal vécu (personnes vivant seules ou avec peu de proches) ou qui ne bénéficient pas d’un environnement propice au travail (avec des enfants en bas âge par exemple), redonner de la confiance / fierté, gérer leur motivation et leur anxiété
- Définir au sein de l’entreprise les différents risques psychosociaux que peut engendrer cette situation d’isolement et de confinement : porter une attention particulière aux collaborateurs sensibles, s’informer des conditions de leur confinement (isolement, enfants à gérer, impossibilité de rejoindre sa famille) – Redistribuer les rôles afin de ne laisser aucun collaborateur sur le côté
- Proposer une ligne ouverte pour qu’ils puissent poser des questions ou consulter un psychologue
IV. Numérique
- Mettre à disposition des outils de travail à distance et déployer en accéléré des outils digitaux : ordinateur, téléphone, une bonne connexion internet et un accès au serveur
- Communiquer auprès de vos collaborateurs sur les bonnes pratiques à adopter afin de limiter les actes de cyber malveillance. Les mesures de confinement et de télétravail intensifient les usages numériques et les risques liés à leurs utilisations. Partager le kit de sensibilisation : https://www.cybermalveillance.gouv.fr/tous-nos-contenus/kit-de-sensibilisation
- Mettre en place des métriques de suivi de l’utilisation des outils
- Anticiper l’activité pour éviter les « embouteillages» et poser des règles claires (utilisation limité du VPN, privilégier le cloud et les outils en mode SaaS, autoriser que les seules fonctions critiques à se connecter…)
- Maintenir la sécurité des infrastructures informatiques et adapter les capacités d’accès aux besoins de la situation
V. Clients – Communication
- Expliciter la politique d’engagement et de risques clients : offres temporaires sur facturation clients, gratuité éventuelle de certains services, échelonnement des règlements, etc. Etre clair sur ce qu’on peut et ne peut pas faire pour ne pas sur-exposer l’entreprise
- Anticiper les besoins et trajectoires des clients : hypothèses de croissance – maintien – défaillance
- Faire une cartographie de la situation marché, situation des clients/concurrents après cette crise
- Mettre en place des indicateurs prioritaires resserrés
- Evaluer les incidences des reports éventuels de consommation (été, rentrée, Noël…) et pérenniser les nouveaux modes de production/distribution/consommation nés de la crise
- Mettre en place un plan d’explication/traitement urgent des réclamations sur les sujets bloquants (accès aux offres digitalisées, …)
- Elaborer et suivre dans le temps un plan de communication soutenu par cible : clients, actionnaires, administrateurs, partenaires, acteurs régionaux et politiques (opportunité de renforcer son image)
- Communiquer envers ses collaborateurs : évolution de la situation sanitaire, réglementaire, financière, continuité de services, etc..
VI. Logistique, technique, supply chain
- Relayer lesmessages du gouvernement (explication des mesures liées au confinement, envoi d’une attestation de dérogation quand la situation est justifiée, rappel des gestes barrières)
- Garantir la protection des sites : alarme, gardiennage… Protection des stocks de matériel
- Prévoir une possibilité de repli sur d’autres bâtiments industriels /commerciaux en cas d’indisponibilité partielle ou totale post-Covid 19
- Réaliser les opérations de nettoyage/désinfection permettant de pouvoir maintenir des équipes opérationnelles sur site
- Cartographier les flux et les acteurs permettant le fonctionnement de façon dégradée ou alternative
- Anticiper une reprise progressive des fournisseurs pouvant avoir un impact sur sa propre reprise
VII. Reprise d’activité et retour d’expérience
- Construire le plan de reprise de l’activité : définir les critères d’un retour à la normale.
- Anticiper une reprise progressive de la demande des clients,
- Rassurer les salariés pour le retour au travail
- Etudier l’opportunité de nouveaux débouchés
- Tirer les enseignements de la crise : points positifs, négatifs, efficacité des processus et matériels, comportement des é
- Se préparer pour la prochaine fois, anticiper une seconde vague, anticiper la nouvelle normalité post Covid 19
- Renforcer la culture du risque et sa gestion au sein de l’organisation
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