Ils sont nombreux les liens tissés, avec attention et enthousiasme, par Éric Salobir. Entier et passionné, le voici qui crée nombre de ponts entre les dirigeants de la Silicon Valley, de la société civile et de l’Eglise. Technophile accompli, le dominicain et fondateur du think tank Optic, met en lien et rassemble.
Rencontrer Éric Salobir, c’est rencontrer une figure singulière, attentive aux autres et avec cette soif et volonté d’être partie prenante de la grandeur de l’humain. L’auteur de l’essai Dieu et la Silicon Valley nous raconte et nous lance un appel fort ; changeons notre regard sur la technologie pour nous inscrire à un autre niveau d’humanité.
Mathilde Aubinaud : Vous présentez « Dieu et la Silicon Valley » comme un wake-up call ; de quoi faut-il en priorité nous réveiller ?
Éric Salobir : Il faut nous réveiller d’un assouplissement technologique ! Notre nature nous pousse souvent à rechercher tous les raccourcis pour économiser de l’énergie et du temps. A cet égard, l’intelligence artificielle (IA) nous facilite la vie de bien des manières. Elle assiste nos décisions, voire nous dit quoi faire. A chacun de nos petits problèmes se trouve une solution avec un gadget, un robot, c’est confortable. Pourtant, tout cela ne remplace ni une politique, ni une stratégie. Le danger, c’est de se laisser aller à une forme de torpeur et d’être progressivement soulagés de notre liberté. Ce livre est un appel à un usage proactif, conscient et volontaire de la technologie.
Que recherchent ceux qui façonnent, jour après jour, la technologie mondiale ? Quelque chose de plus grand qu’eux ?
E. S. : Lorsque l’on crée son entreprise, celle-ci est associée à des marqueurs du succès ; le profit est un élément qui compte. Il montre que l’entreprise perdurera. Pourtant, dans la Silicon Valley, persiste un aspect utopiste et libertarien. D’ailleurs, beaucoup de technologies portent sur des questions sur la vie. Les technologies d’e-santé peuvent être en lien avec la transcendance. Même lorsque l’on réalise des choses concrètes, celles-ci peuvent s’ancrer dans une réalité plus profonde, même dans des milieux qui peuvent paraitre éloignés de la religion.
« Un appel à un usage proactif, conscient et volontaire de la technologie ».
Comment s’investissent-ils de leur rôle de dirigeant ?
E. S. : Se tutoyer, s’appeler par son prénom… Les dirigeants des start-up sont des chefs de clan et de famille. Ils sont à la tête d’entreprise où l’on prend soin du salarié. Il s’agit, pour eux, de créer du collectif, d’aller au-delà de la relation professionnelle. Dans la Silicon Valley, où l’ambiance est sympathique, la concurrence est cependant très féroce. Il faut faire ses preuves, gagner ses galons et délivrer. Cela invite à se hisser vers le haut, à chercher l’innovation, à se donner de la peine avec enthousiasme. C’est se dire « pourquoi pas ? » et tester. Pour brosser le portrait du dirigeant de start-up, je retiendrai : de l’enthousiasme, de l’attention, de la compétition.
Qu’attend-on d’un dirigeant ?
E. S. : Avec l’épidémie, la transformation numérique connait une accélération. Il en va de même avec les modes d’organisation et de hiérarchie. Du fondateur d’une entreprise, on attend qu’il dépasse les marqueurs du succès afin de prendre de la hauteur et d’accepter de contribuer à une vision sociétale. Qu’il insuffle un esprit ! Les dirigeants d’entreprise ont un rôle à jouer dans l’élaboration commune de la politique, la redistribution des revenus ou encore l’interaction avec les citoyens. Que les dirigeants acceptent de s’investir dans cette réflexion ! L’entreprise a un rôle sociétal et politique. Il s’agit, ainsi, de s’arranger pour que tous s’y retrouvent. Ainsi, lorsque la Californie fait face à une pénurie de logements, des entreprises technologiques participent à leur construction. Les multinationales ont un impact systémique sur l’économie. Elles doivent donc d’autant plus coopérer avec les parties prenantes, dont les représentants de la société civile, pour faire en sorte que cet impact soit positif. Une vraie culture de l’éthique dans l’entreprise est nécessaire. Elle implique une libre circulation de la parole.
Que disent les nombreuses interrogations évoquées tout au long de votre essai, de l’immortalité à la singularité de l’humain face au robot, du rapport de l’homme à lui-même ?
E. S. : Les technologies sont des créations de la société de deux manières : nous les fabriquons et, à mesure que nous les utilisons, à leur tour, elles nous transforment. L’IA induit une révolution cognitive ; elle bouleverse notre perception du monde. A l’âge de ces technologies, que veut dire « être humain » ? Nous n’avons pas encore répondu à cette question. Nous commençons à entrevoir ce qu’est un humain et nous savons que, pour que perdure son espèce, il doit apprendre à cohabiter avec la nature et la machine. Pour cela, nous devons faire le deuil de notre toute puissance technologique en changeant notre rapport à la technologie et à l’environnement.
En quoi la question du sens de la vie est-elle centrale dans nos grilles de lecture ? Nos prises de décision ?
E. S. : Cette question parait presque trop grande pour notre vie. A mon sens, elle nous renvoie à notre responsabilité. Si l’on parle beaucoup des droits, en tant qu’humain, on a aussi des devoirs. Le masque que nous portons tous en cette période de pandémie est paradoxalement un rappel constant du visage de l’autre, au sens que donne Emmanuel Levinas : celui d’une responsabilité envers notre semblable, dont le masque dit la fragilité. Si, pendant le confinement, nous avons applaudi le travail des soignants, le cure, nous avons aussi pris conscience du care : comme citoyen, participant à une communauté humaine, il est important de prendre soin.
Dieu et la Silicon Valley, Éric Salobir (Buchet-Chastel), 2020
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