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Entretien | Lucie Basch, fondatrice de Too Good To Go : « Le gaspillage alimentaire est devenu le sujet numéro un pour combattre le changement climatique »

gaspillage alimentaire
Lucie Basch, fondatrice de Too Good To Go France.

Le gaspillage alimentaire étant responsable de 10% des gaz à effet de serre à l’échelle mondiale, le réduire serait devenu le plus efficace pour lutter contre le changement climatique. C’est en ce sens que l’entrepreneure Lucie Basch poursuit la croissance de sa scale-up Too Good To Go. Fondée il y a cinq ans, l’application mobile sauve désormais deux repas par seconde.


 

Où en est Too Good To Go dans sa lutte “antigaspi” ?

Lucie Basch : Depuis le début de l’aventure en France, nous avons convaincu plus de 10 millions d’utilisateurs de rejoindre la lutte contre le gaspillage alimentaire. Nous avons sauvé près de 100 millions de repas au niveau mondial, dont 30 millions dans l’Hexagone avec l’aide de 25 000 commerces.

En termes d’impact indirect, l’idée est aussi de placer le gaspillage alimentaire au plus haut de l’agenda ; changer les mentalités au sein de piliers comme l’éducation, la politique, les entreprises et les consommateurs. Lors d’élections municipales, nous nous assurons qu’un maximum de politiques intègrent notre vision dans leur programme.

Nous lançons également un grand programme auprès des écoliers de primaire pour les sensibiliser à la lutte contre le gaspillage alimentaire et convaincre leurs parents à leur tour. Je pense qu’il est essentiel de sensibiliser les enfants à l’impact de l’homme sur le changement climatique. 

Enfin, nous travaillons avec les entreprises sur le sujet des dates de consommation pour entraîner des réflexes. 20 % du gaspillage alimentaire en Europe est dû à la confusion entre la mention « à consommer de préférence avant le » et « à consommer jusqu’au ». Nous nous sommes rapprochés de tous les acteurs de l’industrie agroalimentaire tels que les distributeurs et les consommateurs pour mieux faire comprendre cette mention.

 

Quand vous étiez encore en école d’ingénieurs, avez-vous ressenti un manque de formation à l’entrepreneuriat ?

L. B. : Je pense avoir toujours eu cette fibre entrepreneuriale. Un bon entrepreneur doit être à la fois un leader – quelqu’un qui génère un mouvement – et une personne capable de créer des projets à partir de rien. Ces deux traits de personnalité ont toujours fait partie de moi.

Puis, le métier d’ingénieur m’a appris à raisonner, réfléchir, m’organiser, penser vite… Quand je me suis inscrite à la chaire entrepreneuriale de l’Essec, j’avais déjà deux masters en logistique et en ingénierie. Et les professeurs me disaient tous de me lancer.

Le conseil que je peux donner c’est : si vous avez une idée, allez-y ! Nelson Mandela disait : « Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends. ». C’est vraiment ça la qualité d’un entrepreneur : peu importe les expériences, il faut toujours y voir des apprentissages. 

 

L’entrepreneuriat consiste donc essentiellement à être capable de surmonter la peur de l’échec ?

L. B. : Oui exactement. Et si Too Good To Go marche bien aujourd’hui, c’est aussi parce que je n’ai jamais vraiment eu peur de l’échec. Je le considère comme une opportunité excitante d’apprendre. J’adore  voir que les choses vont vite, fonctionnent, et les périodes plus compliquées sont tout aussi intéressantes.

 

En 2019, vous vous êtes alliés au géant des centres commerciaux Unibail-Rodamco-Westfield… Qu’est devenu ce projet ?

L. B. : Le partenariat se passe très bien et nous avons la chance d’avoir noué des liens avec des grands groupes qui nous ouvrent les portes à l’international. Aujourd’hui, nous sommes présents dans 17 pays et nos partenaires nous encouragent dans cette lancée.

Il y a beaucoup de synergies à construire entre les grands groupes et les start-up : eux ont besoin de nous pour devenir plus agiles et s’adapter à l’évolution rapide de la société ; et nous avons besoin d’eux pour « scaler » notre activité à l’international pour mieux répondre à l’urgence des problématiques auxquelles nous souhaitons répondre.

 

Sans passage à l’échelle, l’impact en faveur de l’économie sociale et solidaire (ESS) semble limité ?

L. B. : Je pense qu’il faut tout pour faire un monde. Il existe de nombreuses initiatives à petite échelle dans le domaine de l’ESS qui ont un impact profond sur les mentalités. De notre côté, nous ne pourrions pas sauver deux repas par seconde sans scalabilité. C’est important d’avoir les deux.

 

En France, les députés, les sénateurs et les ministres nous contactent très souvent pour avoir notre opinion et nous auditionner dans le cadre de projets de loi. L’objectif est maintenant de porter un peu plus cette voix au niveau européen et mondial

 

Qu’en est-il des écosystèmes locaux ?

Plus de 50 % des partenaires professionnels de notre application sont des commerçants indépendants et locaux. C’est très important pour nous, par exemple, de travailler avec l’épicerie ou la boulangerie du coin. Sur la question de l’insécurité alimentaire, nous collaborons également avec une myriade d’associations pour les aider à faire la différence. La nourriture est par essence un sujet local. Nous sommes obligés de nous rapprocher du territoire dans lequel nous opérons. 

 

Comment rester cohérent à mesure que l’activité s’éparpille à l’international ?

L. B. : C’est chez nous une conversation permanente : comment concilier la création d’un mouvement international de lutte contre le gaspillage alimentaire avec la réponse aux enjeux locaux ? Rien qu’aux États-Unis par exemple, ces enjeux ne sont pas les mêmes à New York ou à Los Angeles.

Il n’y a pas de bonne réponse. C’est plutôt une démarche qui consiste à se demander chaque jour : comment se challenger pour rester dans le juste milieu, entre un mouvement uniforme et des réponses locales ?

 

Existent-ils des barrières normatives à votre développement ?

L. B. : Il n’y a pas de grandes barrières, mais nous continuons chaque jour de combattre efficacement tout ce qui entraverait notre lutte contre le gaspillage alimentaire. Beaucoup de règles et de normes anciennes sont devenues obsolètes. C’est notre responsabilité de pousser à ce qu’elles soient réactualisées.

C’est là que l’entrepreneuriat à impact devient intéressant : en poussant l’agenda politique en faveur de nos valeurs, nous contribuons aussi indirectement à la prospérité de notre société.

 

Comment assurez-vous votre permanence sur un agenda politique qui évolue tous les cinq ans ?

L. B. : C’est tout l’intérêt d’avoir une présence au niveau local, national, européen et international. Nous avons aujourd’hui plus de poids pour parler de ces enjeux. C’était d’ailleurs le cas lors de la Journée internationale de sensibilisation aux pertes et gaspillages de nourriture du 29 septembre dernier par l’Organisation des Nations unies (ONU).

En France, les députés, les sénateurs et les ministres nous contactent très souvent pour avoir notre opinion et nous auditionner dans le cadre de projets de loi. L’objectif est maintenant de porter un peu plus cette voix au niveau européen et mondial.

 

Il apparaît plus important aujourd’hui de savoir ce que nous mangeons, de connaître l’origine des aliments et leur impact sur notre corps. Pour en finir avec cette déconnexion entre la production et la consommation finale des aliments, il faut plus de transparence

 

Avez-vous toujours eu ces soutiens ?

L. B. : Pas du tout, et nous n’avions d’ailleurs pas la prétention d’en arriver là un jour. Au début l’objectif était simplement de démocratiser la lutte contre le gaspillage et s’assurer que tout le monde puisse y prendre part. Ce qui a été formidable c’est le pouvoir de catalyseur d’influence permis par les nouvelles technologies, qui nous permet de nous connecter avec des millions d’utilisateurs à travers le monde.

Au début, des entreprises de l’agroalimentaire ne souhaitaient pas nous recevoir. Aujourd’hui elles reviennent vers nous car “l’anti-gaspi” est devenu naturellement une demande publique. Nous sommes devenus une voix incontournable de ce mouvement.

 

Quelle est votre position face à vos concurrents – comme Phenix ?

L. B. : Notre seul vrai concurrent c’est la poubelle. Ce qui compte c’est de s’assurer que la nourriture soit mangée plutôt que jetée. Je répète souvent cette phrase « Collaboration is the new competition » qui consiste à penser que plus nous sommes nombreux à apporter des solutions, plus nous sommes forts face à un problème. Plus il y aura d’acteurs mobilisés contre le gaspillage, plus ces enjeux deviendront ancrés dans notre société. Danone contre Nestlé, c’est l’ancien monde et il y a une nouvelle forme de compétition à réinventer.

 

Êtes-vous inspirée par d’autres innovations dans le secteur agroalimentaire ?

Il y a beaucoup à faire sur le lien entre alimentation et santé. Il apparaît plus important aujourd’hui de savoir ce que nous mangeons, de connaître l’origine des aliments et leur impact sur notre corps. Pour en finir avec cette déconnexion entre la production et la consommation finale des aliments, il faut plus de transparence.

Les nouvelles technologies peuvent y contribuer – comme la blockchain par exemple – mais des cas d’usage plus simples sont aussi à creuser : le meilleur étiquetage des produits, l’information relative au coût carbone d’un aliment, voire simplement arrêter de vendre des fraises en hiver. Les industriels de l’agroalimentaire doivent offrir cette transparence pour que les consommateurs fassent leur choix en connaissance de cause.

Ils ont majoritairement compris l’importance de cet enjeu. Et dans le cadre de notre Pacte sur les Dates de Consommation, nous avons joué le rôle de facilitateur et coordinateur dans un écosystème où les concurrents n’arrivaient pas à se parler. Le fait d’avoir un acteur neutre au milieu du débat, avec des solutions concrètes, a permis de faire changer les choses.

 

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