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Entreprises & Loi Pacte : De L’Essence Historique À L’Entrée Dans Le XXIe Siècle

Tribune co-écrite avec Nicolas Chanut

Le projet de loi Pacte porté par le gouvernement incitera les entreprises à se doter d’une raison d’être, d’un projet. Loin d’être naïve, cette mesure permettra à l’entreprise de non seulement se recentrer autour de son essence historique, mais aussi d’entrer dans le XXIe siècle.

Le retour en grâce du “projet d’entreprise”

Une entreprise, c’est la « mise à exécution d’un projet » (Petit Robert). Son sens premier rappelle donc l’importance de l’aventure commune, du projet. Celui-ci s’incarne à travers un objectif, un ensemble de valeur, une communauté de destin. Cet objectif n’est pas nécessairement celui de changer le monde : il peut être aussi modeste que de vouloir permettre au plus grand nombre de se chausser confortablement et au meilleur prix.

Le projet d’entreprise est donc, au minimum, une des composantes de l’ADN historique de celles-ci.  Comme l’explique l’avocat Daniel Hurstel, l’importance que l’on accorde à ce projet a graduellement diminué depuis la première révolution industrielle (où est apparue la forme moderne de l’entreprise) jusqu’au milieu des années 2000. Plusieurs facteurs concourent à cette évolution : la professionnalisation de la gestion des entreprises (menant à l’éloignement des fondateurs ou des héritiers) ; l’éloignement des actionnaires de l’objet de la société (à travers la multiplication des actionnaires, la baisse de la durée moyenne de détention des actions, etc.) ; ou le passage d’un capitalisme managérial à un capitalisme actionnarial au cours des années 1980, pour n’en citer que quelques-uns.

Or, depuis plusieurs années, nous assistons à retour en grâce du projet d’entreprise au sein de la société et chez quelques chefs d’entreprises. L’indice le plus évident est peut-être la figure de l’entrepreneur, qui s’est inscrite dans la conscience collective comme moteur de la vie économique, grâce à l’exemple de la Silicon Valley et de la popularité grandissante des théories de la croissance. Interrogez les entrepreneurs que vous connaissez, ou lisez leurs interviews : le profit n’a jamais été la première motivation de l’entrepreneur – pourquoi prendre tant de risque pour s’enrichir alors qu’il aurait suffi pour cela de devenir trader ? Non, le profit n’est que le résultat indirect d’une volonté de changer quelque chose : changer le monde, changer la manière dont on se déplace, la manière dont on communique, dont on fait ses courses. Bref, la motivation première d’un entrepreneur est un projet inspirant. Une raison d’être. La reconnaissance sociale toujours plus élevée accordée à l’entrepreneur témoigne indirectement de l’importance croissante du projet d’entreprise. 

Le Projet d’entreprise – une condition sine qua non des entreprises modernes

Cette tendance de revalorisation de la raison d’être de l’entreprise doit être encouragée, car cela permet d’adapter les entreprises aux exigences du XXIe siècle.

D’abord, notre société tend à devenir moins matérialiste. La génération Y, les millenials, les digital natives… Ces générations sont de plus en plus en quête de sens dans leur travail, dans toute la polysémie du mot : elles recherchent dans le travail une signification (ce qui lui donne sa valeur aux yeux de chaque individu), une cohérence (une certaine adéquation entre les tâches remplies par un individu et ses valeurs personnelles), et une orientation, un objectif. Dans ce cadre, un projet d’entreprise inspirant et motivant devient toujours plus important, pour attirer, motiver et recruter ces personnes.

Ensuite, dans une économie où l’innovation et la créativité deviennent la première source de croissance pour l’entreprise, la motivation et l’engagement des acteurs sont primordiaux. L’enjeu est encore plus important en France que dans les autres pays : l’institut de sondage Gallup mesure chaque année le niveau d’engagement des salariés dans leur entreprise. Cette méthodologie distingue l’engagement actif, où les employés sont motivés et proactifs, le désengagement, où ils effectuent leurs tâche de manière neutre, et le désengagement actif, où ils essaient activement de limiter leur engagement. En France, seulement 9 % des salariés étaient « engagés » en 2013 : c’est le score le plus bas des 18 pays européens enquêtés ! Par ailleurs, plus d’un quart des salariés français seraient « activement désengagés », quand la moyenne mondiale est de 13 %. Il existe diverses manières d’améliorer l’engagement des collaborateurs au sein d’une entreprise. Ce peut être une question d’organisation du travail, de culture d’entreprise… De projet d’entreprise en somme.

Enfin, l’importance du projet d’entreprise est renforcée par la transformation digitale et la mondialisation. Pour chaque produit ou service commercialisé, le nombre de pays et d’organisations prenant part à conception et la commercialisation augmente. Cette fragmentation géographique et organisationnelle, si elle est avantageuse à plusieurs égards, soulève une difficulté : comment émuler ces différents groupes de personnes, qui peuvent n’avoir que peu en commun ? Comment motiver et créer du collectif, de manière à ce que les relations entre ces différents groupes soient les plus fluides possibles, et que la coopération soit efficace ? Le projet d’entreprise permet de maintenir un objectif commun et un lien que la transformation digitale tend à dissoudre. En cela, la mission inspirante, ou projet d’entreprise, est une des  spécificités des organisations ouvertes, c’est-à-dire des organisations modernes adaptées au monde qui est en train d’éclore.

Permettre aux entreprises de définir leur raison d’être, c’est à terme stigmatiser celles qui n’en ont pas

On peut certainement reprocher à cette analyse une vision trop naïve ; chacun peut trouver plusieurs exemples d’entreprise dont l’ADN, ou la philosophie, même s’ils sont de bonne foi, sont tellement généraux qu’ils restent lettre morte, perdus sur la page d’accueil du site internet de l’entreprise.

Le sens de la mesure portée par le gouvernement, c’est justement de prendre ces entreprises au mot. L’enjeu est de renverser ce statu quo dans lequel peu d’entreprises s’engagent concrètement sur ces sujets, parce que personne d’autre ne le fait ; et de faire en sorte que la simple recherche du profit sans projet d’entreprise devienne l’exception et non plus la norme. Donner un cadre légal à la raison d’être de l’entreprise est un premier pas. Il faudra ensuite mettre en place des mécanismes pour rendre public et aisément accessible l’information sur ces projets d’entreprise, ainsi que sur leur mise en place concrète. De cette manière, les entreprises pourront naturellement avoir pour seul but la recherche du profit. Il faudra simplement qu’elles l’assument.

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