Depuis le début de la décennie, et en attirant à peine l’attention du public, quelque chose de remarquable s’est produit en Europe : une nouvelle génération de sociétés innovantes de premier ordre et à grand impact est non seulement née mais s’est rapidement convertie en une série d’entreprises internationales.
Ces entreprises, qui couvrent une multitude de secteurs, bon nombre d’entre eux soutenus par des fonds de capital-risque, alimentent un cercle vertueux de croissance qui permet à la fois de transformer notre société et d’en tirer profit. Les grandes réussites sont naturellement nombreuses dans les domaines dans lesquels l’Europe excelle, et où la France et les entreprises françaises se distinguent sur la scène internationale. Ces domaines comprennent les logiciels et services B2B (Scality, Cedexis), l’Internet des objets (Actility, Sigfox) et la « deep technology » avec, par exemple, le fabricant de lasers hautement performants Amplitude Technologies.
Ailleurs en Europe, les entreprises de technologie financière (Kreditech, Algomi, Currency Cloud, WorldRemit) et les spécialistes en cybersécurité (Darktrace, Alien Vault, Feedzai) sont toutes de calibre mondial.
Il s’agit là d’exemples d’un nombre croissant de sociétés de technologie privées « super scale-up » identifiées par Tech Tour, une plate-forme qui rassemble entreprises innovantes, investisseurs et grandes entreprises, évaluées à plus de 100 millions de dollars et augmentant leurs revenus annuels d’au moins (et, dans de nombreux cas, de bien plus de) 50 % par an.
Ces « super scale-up » ont le potentiel évident de devenir les futures « licornes » européennes, à savoir des entreprises de technologie privées dont l’évaluation dépasse le milliard de dollars. Outre leurs paramètres financiers communs, bon nombre d’entre-elles sont soutenues par des sociétés de capital-risque, qui ont déjà contribué à la création de licornes, ou par des « super angels » individuels ou autres fondateurs de licornes, tel que Jacques Antoine Granjon, PDG de vente-privee, qui soutient Devialet, les magiciens derrière les systèmes audio Gold-Phantom récompensés à plusieurs reprises.
Et bien super, fin de l’article, l’avenir est à nous ! Mais si tel était le cas, pourquoi l’Europe crée-t-elle en réalité moins de licornes alors que le nombre de super scale-up augmente ? En 2015, Tech Tour a identifié 121 super scale-up européennes et, au cours de la même année, 10 licornes sont nées ; en 2016, on dénombrait 281 super scale-up européennes mais seulement 3 licornes et, jusqu’ici cette année, une seule entreprise, Improbable, est parvenue à atteindre le statut de licorne et ce dû à une injection unique de capital à hauteur de 502 millions d’euros de la société japonaise SoftBank.
Alors, pourquoi en est-il ainsi ? Et est-ce important ?
Les gouvernements et, dans une certaine mesure, les grandes entreprises internationales à travers l’Europe financent une myriade de programmes : d’incubateurs ou accélérateurs qui donnent accès au financement, mentorat et soutien aux start-up technologiques, à l’injection de millions d’euros (et de livres, couronnes ou zlotys) chaque année dans des fonds et programmes de capital-risque. L’Union européenne dispose également de nombreux programmes ayant pour but de soutenir les start-up technologiques.
Pour faire simple, l’Europe aime les start-up. Et avec raison ! En 2009 déjà, l’analyse du programme britannique « NESTA » (National Endowment for Science, Technology and the Arts) a montré que seulement 6 % des entreprises à forte croissance étaient responsables de la moitié de la progression de l’emploi au Royaume-Uni. Plus récemment, une étude menée par Virgin Startup, une organisation britannique sans but lucratif, a montré que les entreprises dont les revenus annuels étaient compris entre 1 et 20 millions de livres, réalisant une croissance annuelle du chiffre d’affaires de 20 %, ont créé 4 500 emplois par semaine, soit trois fois le nombre créé par les 100 plus grandes entreprises britanniques au cours de la même période.
Mais si ces entreprises ne parviennent pas à devenir des leaders mondiaux, nous allons tous en pâtir et, comme le souligne NESTA, « la majorité (des start-up) ne survit pas dix ans (62 %), et la plupart de celles qui y parviennent restent petites. Seulement 10 pour cent de celles qui ont survécu comptent plus de dix employés dix ans plus tard ». Cette phase précoce de la « vallée de la mort » est cependant bien comprise et les « super scale-up » ont bel et bien passé ce stade. Ce dont on parle peu, c’est du deuxième déficit de fonds propres en Europe où les sociétés en croissance souffrent de plus faibles valorisations et de la disponibilité de capital-investissement de croissance. Ou, en d’autres termes, le financement et le soutien pour devenir vraiment grand.
Les exemples de belles réussites sont également importants, et pas uniquement pour nous donner le moral. La réussite engendre la réussite et ne sert pas uniquement à convaincre son entourage que l’on peut y parvenir, bien que cela soit important. Les fondateurs de Skype ne sont pas les seuls à avoir investi dans des super scale-up par le biais de leur fond Atomico ; leurs anciens employés possèdent cette rare conscience situationnelle pour avoir connu les hauts et les bas de la création d’une société dont la valorisation dépasse le milliard de dollars. Prenez, par exemple, le premier employé de Skype, Taavet Hinrikus. Il est aujourd’hui le fondateur de la licorne européenne Transferwise et fait partie des premiers investisseurs de la dernière licorne européenne en date, Improbable.
Selon les chiffres fournis par GP Bullhound, banque d’investissement, les montants de la valorisation des licornes américaines sont 2,5 fois supérieurs à ceux des licornes européennes. Et, de manière générale, le capital disponible pour les investissements de développement est 15 fois supérieur aux Etats-Unis par rapport à l’Europe. Aux Etats-Unis, les gestionnaires d’actifs traditionnels ont également investi dans des super scale-up, les poussant vers le statut de licorne. Cela n’a pas été le cas en Europe et, alors que l’inquiétude d’une bulle technologique, laissant le marché jonché d’ « unicorpses », peut se justifier aux États-Unis, il semble que ce soit le contraire en Europe.
En fait, les investisseurs américains se sont empressés d’investir dans les super scale-up européennes, sans réelle surprise compte tenu des capitaux disponibles. Chaque année, Tech Tour étudie 50 entreprises sélectionnées dans sa liste de super scale-up, et constate que les investisseurs américains représentent plus de 30 % de leur capital et que plus de 50 % de ces sociétés comptent au moins un investisseur américain.
Un partenariat parfait
Si l’Europe manque de capitaux pour ses super scale-up et si les grands gestionnaires d’actifs européens ne sont pas prêts, quelle est la solution ? Le japonais SoftBank ne va pas indéfiniment émettre des chèques de 500 millions d’euros.
Une étude de Global Corporate Venturing, un fournisseur de données, a démontré qu’en 2016, les investissements des grandes entreprises dans les sociétés technologiques représentaient 67 % de l’ensemble du capital investi mondialement, mais seulement 20 % du nombre d’investissements. En d’autres termes, les entreprises sont en mesure de signer de gros chèques.
Cependant, au cours des 5 dernières années, les entreprises américaines ont été deux fois plus actives en termes d’investissements technologiques par rapport à leurs homologues européens. Pendant ce temps, les entreprises américaines disposant d’une unité active de capital-risque ont surpassé leurs indices boursiers respectifs de plus de 30 % au cours des dix dernières années.
En parallèle, seules 23 entreprises européennes de la liste des 50 super scale-up présentée cette année ont reçu des fonds. Cela ne semble pas si mal, mais si l’on considère que les super scale-up ont tendance à avoir de nombreux investisseurs, dans ce cas 309 au total, le nombre est révélateur.
L’innovation, bien sûr, est difficile et imprévisible, mais les grandes entreprises savent très bien que la rupture numérique et deep tech est bien établie. Il suffit de jeter un œil sur tous les programmes d’accélération d’entreprises et incubateurs soutenus par les plus grandes banques mondiales.
Et comme le dit Julia Pratts, Head of Entrepreneurship à l’IESE Business School : « Nous nous dirigeons vers un modèle hybride dans lequel l’innovation, en combinant les meilleures fonctionnalités du monde de l’entreprise et des start-up, fournit les nouvelles solutions aux problèmes complexes auxquels nous sommes confrontés dans les entreprises et la société en général ».
L’Europe compte plus de 20 années de programmes et d’investissements importants et significatifs pour les start-up. En fait, les super scale-up que nous connaissons aujourd’hui en sont le fruit et, alors que personne ne rejette les nouvelles initiatives de création d’entreprises, allier les immenses bilans et connexions internationales des multinationales européennes au pouvoir disruptif (et sous-évalué) des super scale-up d’Europe est très prometteur pour les deux. Il suffit simplement d’avoir la volonté de le faire.
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