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Entreprendre Sans Lever De Fonds, Ou Comment Construire Un Business Model Sain

Ils ont décidé de monter leur entreprise sans lever de fonds. Non par soif absolue d’indépendance, mais parce que leur modèle économique le leur permettait. Témoignage de ces entrepreneurs loin des projecteurs braqués sur les levées de fonds de plusieurs millions… Et qui commencent à se faire courtiser par les fonds d’investissement.  

« Le succès ne se mesure pas au fait d’avoir levé ou non de l’argent. C’est parfois nécessaire, parfois non. » Calme et pragmatique, Timothée Rambaud connaît les deux faces de la pièce : après un parcours dans la finance d’abord chez Goldman Sachs puis dans un fonds d’investissement, le trentenaire a lancé sa start-up dans la LegalTech avec un ancien des Mines et un ancien de Harvard, sans effectuer de levée de fonds. Presque une incongruité à l’heure où chaque levée est relayée par la presse, et où se multiplient les baromètres : ainsi en 2017, les femmes ont levé 142,5 millions d’euros, selon KPMG, et 1,5 milliard pour l’ensemble des start-up, selon Capgemini et eCap Partners. « C’est un peu la course à celui qui lèvera le plus », résume l’entrepreneur.

Depuis 2014, LegalStart propose un outil pour gérer en ligne tout l’administratif de son entreprise, de la domiciliation au dépôt de bilan. « Nous avons eu le choix de ne pas lever », souligne Timothée Rambaud. Un choix rendu possible grâce aux décisions prises dès les fondations. La jeune pousse a commencé par s’attaquer à un problème, puis un autre. Et continue aujourd’hui à proposer de nouvelles briques à son offre, au fur et à mesure que se tissent les partenariats et qu’entrent les clients. Ne pas dépenser ce que l’on n’a pas, et ne pas faire ce que l’on ne peut. Le bootstrapping, une technique bien connue de Leonid Gonchavrov, le créateur d’Anticafé.

Trouver les clients

Autre élément décisif pour avancer sans lever, la rencontre entre le produit et ses clients. Comme pour LegalStart qui a rapidement engrangé les utilisateurs payants, la start-up Do You Dream Up a séduit un premier grand compte, EDF. « Après, tout s’est enchaîné très vite », raconte Cyril Texier, cofondateur de la structure spécialisée dans la création de chatbots. Avec ses deux associés, ils estiment alors que les revenus générés grâce aux clients leur permettraient de recruter et de grandir. Bien vu, l’entreprise travaille aujourd’hui avec 60% du Cac 40 et enregistre 130% de croissance en 2017.

« Avant de montrer notre produit, nous avons fait 24 mois de recherche et développement, sans nous rémunérer », ajoute Cyril Texier. C’est aussi la clé de ces entreprises : se lancer en ayant une offre solide à présenter. Mais cela nécessite des mois de R&D, une équipe, même restreinte, et donc, de l’argent (au moins un peu). Cas de figure le plus fréquent, les néo entrepreneurs injectent leurs économies dans l’aventure. Wilfried Garnier, fondateur de Superprof, une plate-forme qu’il qualifie de « Airbnb du cours particulier », avait 30 000 euros sur son compte en banque. Cette somme, il la  consacre à la création de son entreprise. Après avoir fusionné avec Cherche cours, le site de Yann Léguillon, Superprof comptabilise 3 millions de chiffre d’affaires, 10 millions d’utilisateurs dans 22 pays, embauche 44 salariés, et se targue d’être rentable en France, navire amiral qui permet le déploiement à l’international. 

« Les banques ne prêtent qu’aux riches »

En plus de l’investissement personnel, les jeunes pousses ont la possibilité de recevoir des subventions, des coups de pouce de l’Etat (bpifrance), des régions ou d’incubateurs qui permettent de passer de l’idée au lancement du projet. Car ô surprise, « les banques ne prêtent qu’aux riches », estime Cyril Texier de Do You Dream Up. « Nous avons obtenu un prêt à taux 0 de bpifrance et le prêt d’une banque en 2014-2015, soit cinq ans après le lancement. Jusque-là, nous étions sur fonds propres. » En effet, pour emprunter, une entreprise doit pouvoir justifier de ses trois dernières activités, impossible pour une start-up en construction.

« Quand on n’a pas d’argent, il faut faire preuve d’imagination pour négocier et convaincre », ajoute Wilfried Garnier, qui s’est vu refuser plusieurs demandes de prêts. Au quotidien, ne pas avoir levé d’argent induit une certaine discipline. « Tous les matins, je regarde la croissance, car elle est la seule à résoudre les problèmes. Plus il y a de croissance, plus je me permets de dépenser. » Un rythme et une confiance en l’avenir qui n’empêchent pas le fondateur de Superprof de se « faire quelques frayeurs en voyant régulièrement les comptes dans le rouge ».

« L’argent pour l’argent n’est pas intéressant »

Marges de manœuvre parfois contraintes par le manque de trésorerie, croissance pas-à-pas, patience et sueurs froides, pourquoi donc ces entrepreneurs persistent-ils sans lever d’argent ? Une question de temps, expliquent-ils. Mais surtout une question de mentalité : Timothée, Wilfried et Cyril, se disent « focus » sur le produit, son développement, son perfectionnement. Ils indiquent ne pas avoir le temps de chercher des investisseurs.

Une question de liberté ensuite. Et de sens, enfin. « L’argent pour l’argent n’est pas intéressant », remarque Timothée Rambaud. « Avant d’envisager une levée, l’entreprise doit se fixer un objectif : la levée doit être un levier de croissance et il faut en être certain car cela dilue le capital. » Une diminution du pouvoir pour les fondateurs et de potentielles pertes selon l’entrepreneur qui souligne le fait que « quand une entreprise va moins bien, c’est toujours le fonds qui est prioritaire. Rageant quand les fondateurs ont passé des années à bâtir leur entreprise ».

Pour Timothée Rambaud, qui a aussi été côté investisseur, les jeunes entreprises se focalisent parfois trop sur la levée, au détriment du produit et en oubliant les questions de dilution, de potentiel échec… Surtout, il met en garde les entrepreneurs à bien gérer l’argent d’une levée. « Attention à ne pas cramer trop d’argent. Cela peut-être un jeu dangereux d’enchaîner les levées. »

Alignement des planètes

Sans être totalement réfractaires à la levée, les entrepreneurs interrogés attendent « un alignement des planètes » avant de signer avec des investisseurs. Cyril Texier envisagerait une levée si ces trois cases étaient cochées : « le feeling, car c’est identique à un mariage, le partage de la vision, et la question de la dilution. » Même constat chez LegalStart qui n’envisage une levée qu’à la condition que « l’investisseur apporte une connaissance du marché, des clients ou un appui stratégique ».

Ce ne sont pourtant pas les occasions qui manquent. « Chaque semaine, nous nous faisons courtiser par des fonds car ils savent que, si nous sommes encore là, c’est que notre business model est sain et que notre équipe gère bien la croissance », assure Timothée Rambaud. Idem chez Cyril Texier qui reçoit des propositions hebdomadaires. Pour l’instant, l’entrepreneur et ses associés découvrent le milieu des fonds d’investissement, regardent, apprennent. « Si demain nous réalisons une levée ou si nous nous associons avec un acteur de la tech, ce sera pour accélérer, pour aller à l’international, chose que nous ne faisons pas pour l’instant, pour ne pas nous planter. » Alors, lever or not lever ? Telle est la question. En attendant, le cofondateur de Do You Dream Up assure « gérer en bon père de famille »

Article publié dans le 4ème numéro de Forbes France, septembre-novembre 2018

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