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Emmanuel Toudja : Entrepreneur Et « Gilet Jaune »

©Getty Images

Emmanuel Toudja dirige une société de peinture et de vitrerie à Alençon, dans l’Orne. En huit ans, son entreprise est passée de 128 salariés à 30, chaque licenciement a été vécu comme un « crève-cœur ». Le chef d’entreprise  se dit « écrasé par les charges patronales et fiscales » qui l’empêchent de recruter et de mieux rémunérer ses salariés. Avec l’augmentation de la taxe sur les carburants, l’entrepreneur a fait le compte : cela lui coûtera 30 000 euros de plus par an, ainsi qu’un poste. Il soutient pleinement la « colère légitime des gilets jaunes » au même titre qu’il redoute la radicalisation de certains, faute d’une « prise de conscience du gouvernement ». Témoignage.

Racontez-nous votre quotidien de chef d’entreprise et les difficultés auxquelles vous devez faire face.

Je me bats tous les jours pour remplir mon carnet de commandes et pérenniser mon activité. Parmi mes préoccupations quotidiennes, il y a la recherche continue de chantiers afin d’assurer un travail à mes salariés et de payer mes fournisseurs. Lorsque j’ai racheté l’entreprise familiale en 2010, j’employais jusqu’à 128 compagnons ; huit ans après, ce nombre a drastiquement baissé pour atteindre une trentaine. Les charges qui pèsent sur mon statut d’entrepreneur sont comme une épée de Damoclès : il m’est arrivé plusieurs fois de ne pas me verser de salaire afin de pouvoir payer l’URSSAF, rémunérer mes employés et garantir ma trésorerie.

Pourquoi vous reconnaissez-vous dans le combat des « gilets jaunes » ?

A l’image des « gilets jaunes », j’estime payer trop de charges : gasoil, TVA, URSSAF, etc. Le carburant me coûte 4 000 euros par mois, et si l’augmentation annoncée par le gouvernement entrait en vigueur, je devrais alors m’acquitter de 30 000 euros de plus par an : ce qui est énorme ! Conséquemment, je serais obligé de licencier au moins une personne. Ce qui est un véritable cas de conscience pour moi. A la fin du mois, il me reste peu alors que je ne compte pas mes heures. Je suis donc solidaire des gilets jaunes car je dois me démener au quotidien.

Le mouvement des gilets jaunes surprend par son ampleur et par sa capacité à rassembler des citoyens de tous bords : monde ouvrier, professions libérales, entrepreneurs, étudiants… Tous évoquent une « baisse de leur pouvoir d’achat ». Partagez-vous leurs opinions ?

Assurément ! Toute la classe moyenne – dans son spectre le plus large – est concernée par cette baisse de son pouvoir d’achat. Aujourd’hui, nous nous questionnons légitimement pour notre avenir et, surtout, celui de nos enfants.

Parmi les classes moyennes qui ont commencé à battre le pavé le 17 novembre dernier, beaucoup évoquent une crainte de « déclassement social ». En tant que chef d’entreprise, craignez-vous également le décrochage et la perte de votre statut ?

Si la situation économique et fiscale ne s’arrange pas, je risque de licencier plusieurs salariés. De fait, j’impacterai – à mon échelle – la courbe du chômage. Et par la  force des choses, je serai amené à fermer mon entreprise. En ce sens, il y a une crainte de décrochage. Je ne l’espère pas. 

La manifestation du samedi 1er décembre a franchi un cran dans la violence : des symboles de l’Etat ont même été souillés à l’image de l’Arc de Triomphe, redoutez-vous une radicalisation du mouvement ?

Je note effectivement que la violence a commencé ce jour. Si cela continue, je redoute la radicalisation de certains gilets jaunes.

Pour tenter de désamorcer la crise des gilets jaunes, l’Elysée a annoncé l’annulation de la hausse des taxes sur les carburants pour l’année prochaine, le Premier ministre Edouard Philippe a fait part d’un report de six mois du durcissement des conditions de contrôle technique sur les automobiles et la suspension de la hausse du tarif de l’électricité jusqu’au printemps 2019. Etes-vous convaincu par ces mesures ? Ou y voyez-vous, plutôt, des « mesurettes » à l’image de plusieurs porte-parole des gilets jaunes ?

En toute sincérité, je n’y vois que du « vent », un moyen de calmer le jeu au lendemain où les violences ont surpris par leur ampleur. Le gouvernement ne semble pas prendre la mesure de la mobilisation des gilets jaunes. Le mouvement ne faiblit pas, bien au contraire, il s’organise et se fédère ! 

Comment renouer le dialogue avec le gouvernement ? De manière pragmatique, quelles propositions pourraient favoriser une sortie de crise ?

Je ne vois pas de dialogue possible. Le mouvement a été impulsé le 17 novembre et près de trois semaines après, où en sommes-nous ? Je rejoins ces centaines de milliers de Français qui appellent de leurs vœux la tenue de référendum pour se réapproprier le débat public.

 Au final, quelles sont vos principales revendications ?

Le gouvernement doit voter la baisse des charges patronales de 20 à 30 % afin de transférer ces capitaux sur les salaires. In fine, nous augmenterons le pouvoir d’achat de millions d’actifs. Ce serait une vraie avancée !

 

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