De Meet Ze Chef Au Frigo Jaune, Comment Laurence Kerjean A Fait Pivoter Sa Start-up

Laurence Kerjean, ancienne de chez L’Oréal, a créé la start-up Meet Ze Chef en octobre 2016, une plateforme anti-gaspillage alimentaire entre particuliers. N’ayant pas rencontré le succès escompté, elle a rapidement pivoté avec Le Frigo Jaune, une autre solution pour lutter contre le gaspillage, à destination des entreprises.

Après des études à Sciences Po et l’ESCP, Laurence Kerjean a travaillé douze ans dans le domaine des cosmétiques pour le groupe L’Oréal. Il y a deux ans, lors de son troisième congé maternité, elle en profite, avec l’aide de son mari, pour peaufiner un projet pour lutter contre le gaspillage alimentaire, « avec un véritable impact, qu’on puisse mesurer ». Le pitch ? Mettre en relation des particuliers qui veulent se débarrasser de restes de nourriture, en le vendant quelques euros ou en le donnant, à d’autres particuliers qui pourraient en avoir besoin. « Je suis mère de famille et cuisine des recettes pour 6 ou 8 alors que nous sommes 5 à la maison. Si je n’ai pas forcément envie de finir le plat les jours d’après, pourquoi je ne le propose pas à l’étudiant de la chambre de bonne ou mes voisins qui n’ont pas les moyens ? Sur les 4 millions de personnes qui ne mangent pas à leur faim, il n’y a pas que des sans-abris », évoque-t-elle. Meet Ze Chef était né.

Créer un nouveau geste au quotidien

Le projet a été concrétisé grâce à une campagne de crowdfunding entre septembre et octobre 2016. L’entrepreneure a réussi à récolter 23 000 € (plus que prévu), grâce à près de 150 personnes. Ce montant a surtout permis de payer les développeurs et le graphiste qui ont travaillé sur le site, mais aussi « de valider notre idée et de confirmer l’appétence de la population pour ce sujet ». Mais, l’entrepreneure s’est vite rendu compte de la difficulté de créer un nouveau geste au quotidien : « C’est une chose de se mobiliser en ligne, de liker et d’être suivi par une communauté de 4000 personnes sur les réseaux sociaux. Tout le monde est conscient du problème mais le geste au quotidien est quand même compliqué à créer », révèle-t-elle. Si une personne met plusieurs fois d’affilée son reste de macaronis sans trouver preneur, il est compréhensible qu’elle n’insiste pas. Sur le site, 1000 personnes sont inscrites, avec environ 500 plats mis en lignes. Seulement une centaine d’échanges a été effectif depuis la création de la plateforme. « Il fallait grossir par capillarité, quartier par quartier, c’est très vite un budget marketing mais ce n’était pas notre modèle », explique-t-elle. 

Toquer à la porte des entreprises

Fin novembre dernier, Laurence Kerjean et son équipe ont décidé de tout remettre à plat lors d’un hackaton organisé par Orange. S’est alors posé la question de passer par les entreprises. Dans la même mouvance d’économie circulaire et de lutte contre le gaspillage alimentaire, son nouveau projet joue le rôle d’intermédiaire entre les prestataires de restauration dans les entreprises et les salariés. Les restaurants collectifs y mettent leurs restes en l’indiquant via une application, les salariés sont alors informés que tel ou tel produit est disponible, gratuitement. Ils peuvent l’emporter chez eux ou le donner à un sans-abri. Le Frigo Jaune a terminé gagnant. « On s’inscrit dans l’obligation RSE faite aux entreprises de plus de 500 salariés et/ou avec 100 millions d’euros de chiffre d’affaires d’inscrire dans leur rapport extra-financier des actions pour l’anti-gaspillage, le bien-être des salariés et l’économie circulaire », clarifie l’ancienne de chez L’Oréal. Aux entreprises concernées, est proposé un abonnement à partir de 1500 € par mois, comprenant un diagnostic de départ, la mise à disposition et le nettoyage quotidien du fameux réfrigérateur jaune dans les locaux, les doggy bag, un pack de lancement, l’application dédiée et le calcul de la RSE. 

Des contrats tripartites

Même si la firme est cliente, Laurence Kerjean travaille main dans la main avec les prestataires de restauration. Mais tous ne sont pas réceptifs. « On est en train de modifier la donne sur le secteur, cela peut faire un peu peur. Notre rôle n’est pas de nourrir les salariés. Nous apportons des solutions pour ne pas gaspiller sans interférer dans la gestion du prestataire. S’il a l’habitude de transformer des pâtes en salade de pâtes le lendemain, il faut qu’il continue à le faire », précise-t-elle. À nouveau service, nouveaux usages. D’autant que de grandes entreprises induisent des cycles de décision assez longs entre les services des achats, de la communication interne et/ou externe, le CE… « On co-construit beaucoup avec nos premiers clients. Durant les premiers rendez-vous, beaucoup de questions émergent. On les règle ensemble », ajoute-t-elle. Le Frigo Jaune joue également le rôle d’intermédiaire entre la restauration collective et les sans-abris en récupérant la responsabilité de faire don de nourriture à travers ce doggy bag. 

Un frigo 100 % connecté dans le viseur

Pour l’instant, un frigo a été installé dans les locaux de Marmiton. Fleury Michon vient de signer pour leur siège en Vendée. Les négociations sont en cours pour une trentaine d’autres entreprises. Laurence Kerjean a eu la chance que beaucoup d’entreprises se soient présentées à elle. Mais, la petite équipe devra grossir pour faire face à la demande. « Pour se faire, les banques ne seront pas nos meilleurs alliées. La levée de fonds sera une solution opportune à ce moment-là. L’objectif étant d’installer un frigo sur 50 sites. Plus on pourra multiplier les sites, plus on aura d’impact, plus les gens vont en parler, plus ça deviendra un business pour nous », commente-t-elle. Pour l’instant, Laurence Kerjean rêve d’un frigo 100 % connecté et de pouvoir créer ce même geste de don chez les particuliers. Mais d’ailleurs, qu’est devenu Meet Ze Chef ? « Le site est dormant. C’est une vraie communauté qu’on a pas envie de laisser mourir. On se concentre aujourd’hui sur le Frigo Jaune en se disant qu’à terme on pourrait retomber sur notre modèle de départ. Si les gens adoptent le geste en entreprise, ils pourraient aussi le faire chez eux », conclut-elle.