Trouver des façons de mieux consommer, ce n’est pas le Pérou. Attention, cela ne veut pas dire que c’est aussi trivial que de trouver des pommes dans un Apfelstrudel. C’est plutôt que ce n’est pas par le Pérou qu’il faut commencer. C’est en tout cas ce qu’a constaté Diane Scemama, la fondatrice et directrice générale de Dreamact.
En deux mots. Acheter pour durer.
De retour d’Amérique latine où elle s’occupait d’entrepreneuriat social, elle s’est rendue à cette évidence : les manières de consommer doivent tout autant changer en France qu’à l’autre bout du monde. Avec Claire, de son côté revenue d’Inde, elles ont créé en 2016 Dreamact, une marketplace spécialisée dans les produits à impact doublée d’un média. Aujourd’hui, Dreamact recense plus de 500 créateurs locaux, est agréée ESUS (Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale) et reçoit chaque mois plus de 40 000 visiteurs uniques.
Mais comment deux étudiantes fraîchement émoulues d’une école de commerce et novices dans le monde de la distribution ont-elles réussi à convaincre ces artisans et producteurs de leur faire confiance ? Diane nous dresse le portrait de son parcours effectual.
Le problème. Pas baba, pas bobo.
Après le passage de l’ Éducation nationale, de la COP 21 et des photos de bébés-phoques sur les réseaux sociaux, il est difficile de nier l’importance des enjeux sociaux et environnementaux dans nos habitudes de consommation. 74% des Français souhaiteraient consommer plus responsable mais manquent d’information pour le faire. Et pourtant, les consommateurs continuent d’acheter des vêtements griffés de marques impliquées dans des scandales sordides à l’autre bout de la planète.
Si ce n’est pas purement par comportement moutonnier, l’explication est peut-être dans le manque d’alternative aux canaux de distribution habituels. Les contraintes monétaires et les difficultés de trouver des points de vente épuisent souvent les bonnes intentions. Pire, comme nous le confie Diane, ces difficultés entretiennent des stéréotypes durs à combattre : consommer mieux est l’apanage du « bobo parisien qui a du fric » ou du « baba cool reclus au fond de la Creuse ».
Et pourtant bien des acteurs de l’économie sociale et solidaire peinent à trouver un marché suffisant pour survivre. Trop souvent, ce groupe d’ « entrepreneurs géniaux souvent piètres économistes ou managers » vivote avec des stratégies de distribution médiocres. Cela se traduit trop souvent par de la vente en ligne sur un Amazon qui ne partage pas leurs valeurs.
L’idée. Durable mais pas solvable.
C’est bien beau de vouloir aider son prochain, encore faut-il que cela permette de mettre du beurre dans ses épinards. Au terme de leurs études, Claire et Diane doivent se rendre à l’évidence. Il leur manque un modèle économique pour vivre. Elles décident donc de continuer à s’entretenir avec leurs créateurs sur leur temps libre et d’accepter un CDI en attendant de trouver mieux. Pas question de prendre des risques sans avoir trouver une source de rentabilité fiable.
Ce n’est qu’un an plus tard, après plus de 300 entretiens, qu’elles découvrent une première piste. En plus du besoin d’être connus, leurs créateurs leur demandent de l’aide dans leurs opérations de ventes. Ces doux « rêveurs qui sont passés à l’acte » leur fournissent non seulement une raison de « poser leur dém’ » pour créer leur marketplace mais aussi leur nom. Dream, pour l’enthousiasme de leurs artisans, et act, pour l’aboutissement de leurs efforts de création. Le déclic pour se lancer ? « Ma mère a pu comprendre comment je pourrais vivre. Alors je devrais pouvoir l’expliquer à d’autres ».
La mise en œuvre. Petit à petit, la start-up fait son nid.
Leur plateforme de vente s’agrandit peu à peu. Cela commence par embaucher plutôt que de se payer. D’abord une personne, puis deux et ce n’est qu’en octobre dernier, avec 3 personnes supplémentaires, que Diane et Claire décident de se salarier.
Aujourd’hui, elles ajoutent au média et à la marketplace originelle, un axe B2B pour la vente de matériel de communication durable. Diane nous raconte les pratiques désuètes d’un marché qui n’a pas pris le virage du développement durable. « Les acteurs sont les mêmes depuis 50 ans et leurs produits souvent en désaccord avec les politiques RSE des entreprises ». À titre d’illustration, la seule production annuelle de stylos promotionnels équivaut à un cube de plastique de la taille d’un immeuble de 30 étages. Ce plastique finira dans une décharge ouverte, brûlé dans un incinérateur ou au fond des océans. Autant éviter. Mieux vaut profiter d’une de leur surprise : la carte en papier recyclé « ensemencée à l’encre végétale et biodégradable ».
Le succès est au rendez-vous ! Leur système de commission et le relais de croissance B2B leur permet de générer par mois l’équivalent du chiffre d’affaires de l’année 2017. Le triptyque de leur activité, s’il est le fruit d’une longue recherche, est maintenant le moteur d’une croissance vertueuse.
Les difficultés. Faire contre mauvaise fortune, bon cœur.
Les difficultés des uns ne sont pas celles des autres. De manière surprenante, ce n’est pas la panne de modèle économique qui a inquiétée Diane et Claire. Après tout, leur première année passée à alimenter un blog leur a permis de rencontrer leurs futurs clients. Leurs mauvais souvenirs sont relatifs à des tracas plus opérationnels : le mauvais choix de prestataire IT ; les retards dans le déploiement de la marketplace sous-traitée ; les difficultés à trouver des investisseurs ou même la concurrence larvée d’autres vendeurs spécialisées.
Mais les belles rencontres faites au quotidien valent bien quelques soucis. Diane est très fière des créateurs qu’elle met en avant par sa plateforme. Les étoiles brillent dans ses yeux lorsqu’elle nous parle de « Tale Me » récemment inscrite sur Dreamact. L’entreprise belge propose de la location de vêtements de bébé et emploie des personnes en réinsertion professionnelle pour ses opérations. L’impression de permettre de changer le monde vaut bien toutes les frustrations et les procédures attenantes au respect des valeurs. Il faut dire que leur Comité d’Ethique, passage obligé avant de pouvoir vendre sur Dreamact, n’est pas tendre avec les nouveaux venus. Ou que les procédures d’agrément ESUS, qui comprennent des clauses statutaires, des longues demandes et beaucoup de paperasse, sont laborieuses pour un résultat bien maigre. Mais c’est la rançon de la crédibilité pour donner à une clientèle rurale ou péri-urbaine un accès à de meilleures pratiques.
Les finances. L’union fait la force.
Des fondateurs peuvent se permettre de ne pas se payer, mais pas les salariés. C’est dans ce cadre que la croissance graduelle de Dreamact a demandé l’intervention de fonds privés extérieurs. Grâce à une subvention à l’innovation accordée par la Bpifrance ainsi qu’un prêt d’honneur, la startup a pu mettre sur pied l’embryon d’équipe qui ont convaincu ses investisseurs, notamment ses business angels et le fonds INCO, de financer le développement d’une plateforme en bonne et due forme.
Dreamact a su structurer sa campagne de financement en passant par la plateforme de crowdfunding Lita.co. En surfant sur son succès au concours «100 jours pour entreprendre», ce procédé de financement participatif a permis à la star-tup d’intégrer à sa levée de fonds 101 actionnaires particuliers, dont la plupart font partie de leurs clients. Avec un prêt de la NEF, BNP Paribas et la Caisse Solidaire, Diane et Claire ont rassemblé 550 000 euros, de quoi les aider dans la réalisation de leur objectif : faire de Dreamact la référence nationale dans la consommation transparente et responsable.
Vous êtes prévenu : plus besoin de rêver pour trouver l’artisan qui vous permet de changer le monde à côté de chez vous.
Chronique co-écrite avec @Jean Rognetta, Directeur de la rédaction de Forbes France et Benjamin Heyriès d’Estimeo
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