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Chronique D’Effectuation #3 : ProtiFly, Sa Majesté Des Mouches

Saviez-vous que pour 1kg d’aliments livrés au consommateur, 400g sont jetés ? Non ? Vous vous dites que c’est du gâchis, n’est-ce pas ? ProtiFly est d’accord avec vous. C’est pourquoi elle cherche à valoriser les déchets organiques par l’élevage de mouches.

 

En deux mots. Faire mouche.

Mais à quoi pourrait servir l’élevage de mouches ? Si cette question vous titille, c’est que vous avez oublié le schéma de la chaîne alimentaire. Les insectes ne sont pas seulement les fossoyeurs de la nature, ils sont aussi bien souvent la base de l’alimentation animale. Et c’est forte de ce constat que ProFly a fondé sa mission : nourrir des insectes avec des rebuts industriels pour en faire des farines animales. Elle tire son nom de ce procédé: « Proti » pour protéine et « Fly », mouche en anglais.

Créée en 2016, ProtiFly est en passe de terminer sa levée de fonds auprès de Business Angels. Bastien Quinnez, directeur général et CFO, est fier de nous annoncer la construction de leur premier site à dimension industrielle ; ou comme nous confie Bastien, un « accélérateur de processus naturel ».

 

Le problème. Un avenir radieux comme une invasion de sauterelles.

En 2015, Maxime Baptistan, actuel président de ProtiFly, est en Colombie et travaille pour la FAO, l’institution onusienne dédiée à l’agriculture. Il prend alors conscience de la situation explosive sur laquelle repose notre consommation de protéine.

La croissance démographique implique que notre production alimentaire aurait besoin de doubler en 2050 pour faire face à la demande. Les entreprises de l’agro-alimentaire ont besoin de trouver de nouvelles ressources dans leur procédés. En effet, les farines actuelles, à base de soja ou de poisson, ne peuvent pas suffire : elles requièrent soit trop d’eau soit l’épuisement des océans. Et il n’est pas question d’avoir moins de poisson à la cantine mais bien d’éviter la prochaine crise humanitaire et « que  cela se termine en bain de sang ».*

L’idée.  D’une mouche deux coups.

Pour Maxime, une solution s’impose : exploiter le potentiel des insectes pour produire des protéines, des huiles et de l’engrais. Il en parle alors à Bastien, un ancien camarade de la Toulouse Business School, et se réunissent à Paris pour réfléchir à leur modèle économique. À partir d’études de marché et la revue des recherches académiques, ils imaginent le cycle de récupération des déchets organiques, l’élevage de larves et leur transformation.  

Il leur faut en tout un an pour peaufiner leur solution. Mais que faire concrètement ? Maxime et Bastien n’ont aucune expérience dans l’élevage d’insectes. Considérant les normes sanitaires de l’alimentation animale et la complexité des étapes de transformation, ce n’est pas une activité qui s’improvise. Il leur manque une compétence clef pour démarrer.

La mise en œuvre. Commencer petit et ne pas prendre la mouche.

Confrontés à leurs limites, ils ont demandé de l’aide, et pas à n’importe qui. Ils vont démarcher directement la chercheuse Christiane Azagoh, spécialisée dans l’élevage d’insecte ; une demande peu orthodoxe mais qu’elle accepte. Avec leurs propres fonds, ils construisent leur première unité d’élevage, sous la forme d’un petit complexe de 300m².

Cet investissement ne leur permet pas de s’offrir des processus mécanisés ni des capacités de production significatives. Cela ne les dérange pas : ce qu’ils veulent, c’est « tester le marché ». Leur production marche du tonnerre ! Les contacts de Maxime lui permettent d’acquérir les matières organiques. Leur engrais est testé par des éleveurs locaux et ils en redemandent ! En bref, le succès.

Des difficultés. La chenille se fait papillon.

Mais alors que le marché répond favorablement à leur innovation, c’est un nouvel obstacle qui barre la route à leur croissance : la gestion de l’industrialisation. Ce n’est pas si simple de passer du bac à sable à la cour des grands. Face à la pression de leurs clients, ils pourraient se retrouver écrasés par les volumes et voir leur réputation écornée. Ils sont donc obligés de fermer leur premier site, peu propice à une production industrielle.

Aujourd’hui encore, le changement d’échelle est leur plus gros défi. Ils ont bien l’intention de prendre la mouche par les antennes. Cette année marque le début de la construction d’un nouveau module d’élevage flexible, expansible et au plus proche de leurs partenaires commerciaux. En contrepied de leurs concurrents, ils font le pari d’exporter leur technologie plutôt que leurs produits. Ils espèrent éviter ainsi de « se casser les dents » sur la conquête de parts de marché et les coûts opérationnels.

Mais, me direz-vous, c’est bien beau de déshabiller le soja pour rhabiller les mouches, et l’urgence écologique dans tout ça ? Ce n’est pas comme si l’élevage industriel était le parent vert de notre société ! C’est que, comme nous, vous ignorez les spécificités de l’élevage d’insectes. Les larves se nourrissent et boivent les déchets organiques, qui n’auraient pas été valorisés autrement. L’économie circulaire et l’économie de ressources sont à la fondation même de leur activité. Comme nous le confirme Bastien, « nous avons choisi notre mouche parce qu’elle dévore tout ». Elle n’est pas la seule à montrer l’exemple : ProtiFly utilise et valorise tous les effluents et produits créés lors  de leur processus. Ce n’est pas du cochon mais dans la mouche aussi tout est bon.

Les finances. On ne produit pas des mouches avec du vinaigre.

Comme dans toute aventure, il faut bien un moteur; et ce moteur c’est l’argent. Les besoins, en personnel technique, en investissement, sont énormes; leurs moyens faibles. Portifly choisit le boot-strapping pour financer ses opérations. Elle s’est d’abord entourée de partenaires stratégiques dont le savoir-faire et les prestations en nature lui permettent de limiter les coûts. C’est le cas du cabinet de conseil Theano, qui a apporté les premiers financements externes ainsi que le support stratégique ; ou de l’incubateur Redstart, qui les a accompagnés sur leur processus d’industrialisation. Par une gestion d’ascète, ils ont pu démontrer la validité de leur modèle et convaincre les prochains investisseurs de soutenir ProtiFly. La société devrait terminer sa phase de financement en mai 2018 pour un montant d’environ €500K et prévoit déjà la clôture de leur série A, à des fins d’agrandissement, en 2019.

Décidément, ces insectes sont l’avenir de nos habitudes alimentaires. S’ils tombent comme des mouches, c’est pour notre bien.

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