L’entreprise allemande a lancé son concept en France en juillet 2015 après des débuts en fanfares effectués un an plus tôt sur son marché domestique. Foodora a permis aux restaurants partenaires d’enregistrer une hausse de 30 %, en moyenne, de leur chiffre d’affaires. Boris Mitermüller, diplômé de l’ESCP Europe et président-directeur général de Foodora France, revient pour Forbes.fr sur la plus intense semaine pour le jeune marché de la livraison en deux roues, les relations avec les coursiers indépendants et les projets dans les cartons. Sans perte de vitesse.
Florent Motey (Forbes.fr) : Comment ça va chez Foodora ?
Boris Mitermüller : Euh… ça va très très bien. C’est une bonne question (rires). Cette semaine était encore plus intense que d’habitude. Je n’ai pas beaucoup dormi. C’est intéressant ce qu’on est en train de vivre. J’en profite pour vous dire que personne n’est mieux placé que nous pour savoir à quel point ce business est difficile. On est tous admiratif de ce que Take Eat a réussi à construire et à maintenir malgré leurs difficultés financières. On a vraiment beaucoup de respect pour leur parcours. Maintenant, cet événement change la donne. On ne crache pas du tout sur Take Eat Easy et tout ce qu’ils ont accompli. C’est un concurrent que l’on respecte. On les connaît bien. Il y a des paramètres qui expliquent pour quelles raisons nous avons eu plus de chances avec nos investisseurs, pourquoi ça marche très bien pour Foodora et un peu moins bien pour Take Eat Easy. Encore une fois, c’est un environnement ultra-concurrentiel, ultra-dur.
Chloé Roose, l’une des fondatrices de Take Eat Easy, a insisté sur que l’échec de la troisième de fonds était en partie dû au choix d’un investisseur de se tourner davantage vers Foodora. Est-ce un élément qui conforte votre stratégie de développement ?
Oui. Je pense que vous avez tout compris. Foodora adopte un modèle gagnant-gagnant pour tout le monde. Dans ce jeu, vous avez quatre acteurs liés les uns aux autres. Vous avez les clients, les restaurants, les coursiers et les investisseurs. Les clients sont gagnants car il sont à la recherche d’une restauration de qualité livrée à domicile en toute simplicité. Un service qui est exactement celui que nous proposons. Take Eat le faisait aussi. Si on regarde les restaurants, ces partenaires augmentent leur chiffre d’affaires en moyenne de 30 % en travaillant avec Foodora, avec une marge très attractive. Cette marge reste tout aussi attractive pour nous. Pour avoir une meilleure sélection de restaurants – c’est un paramètre qui se situe à la marge – nous refusons de travailler avec des restaurants à perte afin de périniser notre système qui se veut viable.
« Je ne suis pas là pour expliquer l’échec de Take Eat Easy. Je pense que le partenariat scellé avec Big Fernand, qui impliquait une commission très basse, engendre un coût en volumes à perte qui vous tue sur la durée »
Sans rentrer dans les détails, car je ne suis pas là pour expliquer l’échec de Take Eat Easy, je pense qu’ils ont eu des situations, par exemple le partenariat scellé avec Big Fernand, où ils ont signé avec une commission très basse. Si vous faites un coût en volumes à perte, c’est quelque chose qui vous tue sur la durée. Je ne me vois pas travailler avec un bon restaurant s’il n’y a pas de business viable à faire.
Vous avez évoqué les marges. Les levées de fonds sont claires du côté de Take Eat Easy et Deliveroo. Quel modèle économique adoptez-vous depuis votre lancement effectué outre-Rhin en 2013 pour atteindre une tel rendement ?
De notre côté, nous n’avons soit-disant « jamais fait de levées » mais notre financement est extrêmement solide pour deux raisons. Rocket Internet avait injecté beaucoup d’argent au lancement de notre projet. Pour être clair, Foodline Cottery Group est un groupe détenu par Rocket Internet qui regroupe plusieurs entreprises dont les deux mastodontes que sont FoodPanda et Delivery Hero, « Le Héros de La Livraison ». Au départ, nous étions placé sous la responsabilité de FoodPanda puis sous Delivery Hero – à comparer à Just Eat, qui détient une société commune en France avec AlloResto – qui détient 100 % de notre capital. Ce choix est très bénéfique pour notre développement.
« Delivery Hero, notre maison-mère, engrange des bénéfices qui nous permet d’obtenir, chaque mois, une petite levée de fonds supplémentaire »
Delivery Hero jouit d’une valorisation boursière de 30,6 milliards d’euros. Leurs levées successives leur ont permis d’obtenir au total plus d’un milliard d’euros. C’est notre « levée de fonds à nous ».
Le second point est la profitabilité de notre maison-mère. Les bénéfices engrangés par Delivery Hero nous permet d’obtenir chaque mois une petite levée de fonds supplémentaire. Ce coup de pouce automatique se révèle être une véritable force. Nous pouvons ainsi nous permettre de concentrer nos efforts et notre temps sur le développement opérationnel de Foodora.
Une levée de fonds trop importante, à l’image des 15 millions d’euros injectés entre mars et juillet 2015 dans Take Eat Easy, condamne-elle une start-up à accélérer son développement et terminer dans le mur quelques mois plus tard ?
Take Eat Easy a effectué deux levées de fonds successifs. Deliveroo a levé de son côté 200 millions d’euros au total après trois levées de fonds. Rocket Internet est le plus grand fonds de joint ventures en Europe. Trois frères allemands, les Samwer, ont lancé ce projet et valent aujourd’hui, par tête, plus de 1,8 milliard d’euros. Ils sont à l’origine du lancement de Zalando, CityDeal (racheté en mai 2010 par Groupon). Ce sont de jeunes gens brillants, qui ont beaucoup d’expériences dans le monde des start-up. Le rachat de Take Eat Easy par Geopost (une société de logistique sous l’autorité de l’État, ndlr) ne s’est pas fait, à mon avis, plus pour des raisons économiques que législatives ou administratives. Encore une fois, je ne participais pas aux négociations et je ne sais pas sur quelles bases les discussions se sont déroulées entre les deux parties. Le mail publié sur le blog Medium indique que 114 investisseurs potentiels avaient dit non pour financer la troisième levée de fonds initiée par les co-fondateurs de Take Eat Easy. Il y avait bien des éléments économiques dans toutes ces considérations.
Les frères Samwer sont venus vous chercher ou ce rapprochement entre Rocket Internet et Foodora est le fruit d’une prospection poussée de votre part ?
Au lancement de Foodora, ils étaient déjà là. Les frères Samwer ont également investi dans DeliverHero à hauteur de 31 %. Tout ce qui est food et food tech, depuis quelques années déjà, recèle un intérêt à leurs yeux. L’investissement de Rocket Internet se fait aujourd’hui par l’intermédiaire de Delivery Hero.
Comment comptez-vous gérer l’afflux important de coursiers auprès de votre société après la faillite avérée de Take Eat Eat ? On compte plus de 2500 coursiers à vélo, sous le statut d’auto-entrepreneur, rien qu’en France.
(Long silence) Je suis rentré au bureau ce mardi et je suis tombé sur une centaine de coursiers devant la porte. C’est le patron de Take Eat Easy Paris qui les a accompagné, un homme que je connaissais, pour me demander de leur donner du boulot. Je fais parfois des shifts avec nos coursiers quand le besoin se fait sentir. J’adore le vélo et j’ai envie de garder cette proximité avec le terrain. Je croisais quelques coursiers qui travaillaient avec Take Eat Easy. C’est une petite communauté, tout le monde se connaît. On a accueilli chaleureusement ces coursiers et on va travailler avec eux.
Vous n’allez pas accueillir « toute la misère du monde » ?
Bien entendu. Vous avez complètement raison, nous ne sommes pas là pour ça. Foodora, ça cartonne, avec 30 à 40 % de croissance, même avant la fin de Take Eat Easy. Si on analyse cette hausse dans le détail, on se rend compte que nous doublons le nombre de commandes tous les mois. Notre besoin de recruter des bons coursiers est réel. En l’occurence, parmi ces coursiers orphelins de Take Eat Easy, certains d’entre eux connaissent bien Paris, sont fiables et présentent bien. On est content de travailler avec eux.
Le programme de formation se déroule habituellement sur un mois avant d’intégrer l’équipe de coursiers de Foodora. Compte tenu de leurs expériences, ces coursiers qui collaboraient avec Take Eat Easy seront opérationnels sous une semaine. Vous pouvez le confirmer ?
Exactement. Nous mettons en place une formation avec un petit tour dans les rues pour leur permettre d’apprivoiser notre application, nos restaurants partenaires… Ça peut se faire très rapidement.
« Notre service de livraison de Foodora sera disponible dans toutes les grandes villes françaises. »
Quels sont vos projets qui ne demandent qu’à sortir de vos cartons ?
Nous sommes déjà présents dans dix pays et trente-cinq villes dans le monde entier. Si vous regardez l’évolution de Foodora, nous avons effectué un focus sur l’Allemagne entre le printemps 2015 et l’été 2016, car c’est le premier marché de Delivery Hero. Les efforts en termes de développement se concentreront sur la France à partir de septembre 2016. C’est un marché qui se prête à ce type de service. Depuis notre démarrage à Paris puis à Lyon, nos chiffres y sont excellents. Il y a deux semaines, nous avons ouverts un service du côté de Bordeaux. Les débuts sur place sont hallucinants. D’ici la fin de l’année, notre service de livraison de Foodora sera disponible dans toutes les grandes villes françaises.
Le marché est jugé instable économiquement et juridiquement. Les démarches judiciaires engagées au printemps 2016 par trois anciens coursiers pour obtenir une couverture sociale similaire à des salariés et les interrogations autour de la fin de Take Eat Easy ne risquent-elles pas de forger ces critiques dans le marbre ?
Une question générale se pose autour de ce marché depuis l’annonce de la faillite de Take Eat Easy et au travers des discussions que j’ai pu avoir depuis le début de la semaine. Foodora est extrêmement solide et extrêmement bien financé. Il n’y a aucun risque d’un scénario similaire avec nous. Je l’espère en tout cas.
L’État prend conscience de l’émergence d’un nouveau modèle de travail. Je trouverai dommage que l’État nous serre les vis. C’est sûr qu’il y a une question qui se pose. On verra bien ce que l’État décidera.
À l’instar du combat livré contre les services proposés par la société Uber, qui a dépoussiéré le secteur du transport de particuliers, ne craigniez-vous pas que l’État français serre les vis pour limiter le développement de ce nouveau modèle économique ?
Un statut spécial a été créé par le gouvernement en place, inclus dans la loi El Khomri, pour les travailleurs qui collaborent avec des plateformes en ligne. On parle bien de travailleurs, et non de salariés ou des auto-entrepreneurs. C’est un nouveau statut. Après, je ne suis pas juriste et je ne pourrai pas entrer dans les détails pour vous expliquer ce nouveau dispositif. L’État prend conscience de l’émergence d’un nouveau modèle de travail qui ne détient pas que des inconvénients. Je trouverai dommage que l’État nous serre les vis. C’est sûr qu’il y a une question qui se pose. On verra bien ce que l’État décidera.
Pour nous, tout se passe très bien aujourd’hui avec notre système gagnant-gagnant. Les restaurants en profitent. Les clients tout autant. Les investisseurs profitent du succès de Foodora, autrement ils ne continueraient pas à nous aider et débloquer des fonds pour notre développement. Et les coursiers aussi, sinon je ne me serais pas retrouvé avec une centaine de coursiers devant mes locaux quelques heures après l’annonce de la fin de Take Eat Easy. Nos coursiers, qui travaillent sous le statut d’indépendant, sont très contents. Un grand nombre d’entre eux se réjouissent de cette flexibilité, comme les étudiants qui souhaitent pédaler pendant leurs vacances tout en s’assurant une entrée d’argent. Tant mieux si tout le monde s’y retrouve, c’est ce que nous recherchons. C’est parfait.
Pour aller plus loin
>> Quand Take Eat Easy, Un Expert De La Livraison De Repas, Tombe De Sa Selle
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