Le festival Hellfest souffle sa 17ᵉ bougie et devrait accueillir cette semaine près de 280 000 participants sur 4 jours. Avec plus de 200 groupes programmés, le 3e festival de musique de France est aujourd’hui manifestement ancré dans la culture métal et populaire. Pour autant, ce n’était pas gagné d’avance… Ben Barbaud, entrepreneur nantais fan de musiques extrêmes et fondateur de l’événement, revient sur les nombreuses péripéties et crises qui ont failli mettre un terme à sa détermination.
Forbes : Comment l’idée de créer le festival vous est-elle venue ?
Ben Barbaud : Je suis un enfant de Clisson et j’ai toujours été fan de musique – en particulier de punk hardcore. Adolescent, je faisais partie d’une bande de copains sur Clisson, tous fans de musiques extrêmes. Je me suis essayé à la batterie mais malheureusement mes amis et moi-même se sont vite aperçus que je ne ferais pas grande carrière en tant que musicien…Afin de rester connecté à cette passion pour la musique, j’ai donc décidé de me lancer dans l’organisation de concerts avec l’aide de copains d’enfance qui me donnaient des coups de main.
Au début, nous n’avions pas de budget pour la communication, donc on passait notre temps à placarder des affiches de notre festival. J’ai eu aussi la chance incroyable de commencer ce projet aux débuts d’internet et j’avais juste à récupérer les contacts emails sur les albums de mes artistes préférés pour les démarcher au culot. J’ai organisé quelques petits café concerts puis en 2002, j’ai eu l’opportunité de créer un événement rassemblant plusieurs groupes : le Furyfest est né avec une première édition rassemblant 350 personnes. L’événement a été un grand succès et la deuxième édition a réuni plus de 8000 personnes en 2003.
À cette époque, je venais de finaliser mon BTS technico-commercial en boissons et spiritueux – une spécialisation assez prisée dans ma région pour devenir caviste. Le lendemain de la clôture du festival en 2003, je suis allé rendre visite à mes parents pour leur expliquer que le Furyfest 2003 avait été un succès et que mon choix était fait de continuer l’aventure de façon professionnel. Mon père était professeur et ma mère médecin, ils ne pensaient pas réellement que je pourrais faire carrière dans l’événementiel, mais ils m’ont soutenu dans ma passion.
Comment l’arrivée dans la cour des grands s’est-elle ensuite passée ?
B.B. : En 2004, le festival a déménagé au Mans pour pouvoir accueillir 25 000 personnes sur 3 jours. J’étais seul aux manettes, seulement accompagné par Yoann Leneve, stagiaire à l’époque et qui deviendra mon fidèle bras droit par la suite. Cette année là j’ai eu les yeux plus gros que le ventre. Je me suis laissé déborder par une organisation bien trop importante. La passion qui m’animait se heurtait à certaines lacunes organisationnelles. Pour l’anecdote, je ne savais même pas comment fonctionnait la TVA !
Cette edition en 2004 à été un vrai succès en termes d’affluence mais pour la 1ère fois le festival a vécu un déficit trop important. J’ai donc rencontré l’année suivante des investisseurs sur Paris qui en échange de reprendre la gestion du festival me proposait de me concentrer sur ce que je savais faire, c’est à dire créer et imaginer un événement artistique. Pour cela ils me proposaient un très bon salaire, sans avoir à me préoccuper des affaires de gestion. J’étais sur un nuage.
L’édition 2005 du Furyfest fut une nouvelle fois un succès artistique avec plus de 25000 personnes. Malheureusement, le jour du démontage du festival, j’apprends que les fameux investisseurs ont disparu, laissant sur le carreau les nombreux prestataires de services… cette nouvelle désillusion à donc signer la mort du festival FURYFEST que j’avais crée 3 ans plutôt.
Comment ne pas douter à ce moment-là ?
B.B. : On était désarçonnés… Mais j’ai persévéré et j’ai retrouvé les ressources nécessaires. Je suis revenu à Clisson et j’ai profité d’une période de flottement qu’il y avait entre la mairie et un autre festival qui se nommait Fest’hysterie. J’ai tout de suite pris contact avec les élus municipaux – que je connaissais bien – et j’ai proposé l’idée d’un festival sans demander de subventions. Ils ont accepté et la première édition du Hellfest a donc eu lieu en 2006. Ce premier Hellfest en 2006 n’a pas rencontré le succès que nous espérions et s’est soldé par un lourd déficit de plus de 200.000€.
La décision censée aurait été d’abandonner mais j’avais le sentiment qu’on pouvait créer une belle histoire et je savais que de nombreux fans de musiques extrêmes en France regrettaient le fait qu’il n’y ait pas un festival d’envergure conçu pour eux. Malgré toutes ces péripéties, j’étais toujours déterminé – peut-être un peu naïf – et ma ténacité m’a poussé à à vouloir continuer coûte que coûte, quitte à prendre encore plus de risques. Il a fallu convaincre à nouveau nos sponsors et surtout leur prouver que les malversations qui ont eu lieu au Furyfest n’étaient pas de notre ressort. Certaines grandes marquent ont continué de nous faire confiance et cela nous a permis de redresser la barre.
Évidemment, il y a aussi un facteur chance en jeu mais je reste convaincu qu’un entrepreneur doit prendre des risques pour réaliser ses rêves. Sans cette ténacité et cette capacité à toujours croire en mon projet, je ne serais jamais arrivé là où je suis maintenant. Et enfin, il faut aussi surtout savoir bien s’entourer. On a beau avoir les plus belles idées du monde, si on est tout seul ça ne peut pas marcher. La chance pour moi m’a justement permis de rencontrer les bonnes personnes au bon moment.
Ces débuts balbutiants semblent aujourd’hui de l’histoire ancienne, en témoignent les ventes express des pass Hellfest encore cette année… Avez-vous d’autres plans d’expansion ou de nouveaux projets en tête ?
B.B. : Aujourd’hui le Hellfest, c’est plus de 5000 bénévoles et 1500 salariés. Nous sommes dans une phase de pérennisation et nous avons atteint le maximum en termes de capacité d’accueil. Nous ne souhaitons d’ailleurs pas élargir l’événement car c’est déjà très ambitieux en termes de logistique et surtout, il n’existe pas de prestataires en France aptes à s’occuper d’un événement de plus de 60 0000 personnes.
La stratégie de valorisation de notre marque est aussi très aboutie : ce n’est plus une simple rencontre artistique mais bien un événement sociétal à part entière. Notre force a été de nous appuyer sur notre image de marque pour renforcer la fierté communautaire. Résultat : on va au Hellfest pour voir Metallica et pas l’inverse. La scénographie joue aussi un rôle primordial pour que l’expérience soit au rendez-vous. Je n’ai jamais été formé à l’événementiel ou au marketing, mais étant donné que j’étais moi aussi dans la peau de fan de métal, ces services proposés étaient une évidence.
Les premières éditions du festival étaient catastrophiques en termes de qualité d’accueil. Nous avons rapidement rectifié le tir et une grande partie de notre budget aujourd’hui y est consacrée. Nous privilégions toujours de bonnes têtes d’affiches, tout en veillant à garder un très bon niveau de qualité d’accueil. Certains puristes et fans des premières éditions déplorent le fait que le Hellfest soit devenu le « Disneyland du métal » – et je peux les comprendre – mais c’est aussi un choix de notre part d’attirer un public plus large et assurer la stabilité financière du festival.
Si je devais être encore plus honnête, moi aussi en tant que puriste, je préfère à titre personnel participer à des festivals plus petits. Ceux qui le souhaitent peuvent très bien se rabattre sur d’autres événements à plus petite échelle : je pense notamment au Motocultor, qui a choisi de s’adresser à une cible plus réduite. Je suis d’ailleurs heureux de voir ce type d’offres événementielles s’ancrer en France, elles sont parfaitement complémentaires avec la nôtre.
Vous avez aussi lancé cette année un « Hellfest Kids » pour toucher les plus jeunes…
B.B. : Oui, nous organisons un événement de territoire qui ne se veut pas uniquement réservé aux fans de métal. Le projet Hellfest Kids vise à toucher de jeunes élèves de toute l’agglomération Clisson Sèvre et Maine Agglo avec des moyens ludiques pour leur faire découvrir les musiques extrêmes. La prochaine étape de notre développement est de donner du sens à notre empreinte territoriale et dès le début, nous avions justement tout fait pour créer des liens entre les festivaliers et les habitants de Clisson. Nous souhaitons renforcer encore plus cette proximité et redonner au territoire ce qu’il nous a offert pour réussir.
Les seniors de la ville ont d’ailleurs droit chaque année à une visite exclusive du site en avant-première. De la même manière, 2000 des 5000 bénévoles sont Clissonnais et une grande partie des habitants proposent à chaque édition d’héberger des festivaliers. Mais ce n’était pas gagné d’avance : au début, beaucoup de Clissonnais fermaient leur volet ou fuyaient la ville pendant le festival et des associations religieuses locales se sont même offusquées du projet, le qualifiant de « blasphématoire » voire « sataniste ». Il a fallu convaincre que la communauté métal n’est pas ce qu’elle paraît, elle est accessible et bienveillante.
Que pensez-vous des discours qualifiant le Hellfest d’anti-écologique, sexiste, voire raciste ?
B.B. : Le fait que le Hellfest se soit démocratisé en a fait un événement de société et cela suscite logiquement des polémiques. Je n’ai rien contre la presse personnellement mais ce besoin de faire du clic et créer du débat a contribué à forcer le trait. Nous n’avons jamais voulu nous politiser et je pense qu’il y a autant de partisans de l’extrême gauche que de l’extrême droite dans notre public. C’est à l’image de la société actuelle. Le but du Hellfest n’est pas de créer de la dissension : c’est une rencontre uniquement dédiée à l’amour des musiques extrêmes dans une ambiance festive.
Maintenant, on ne pourra pas empêcher les médias de déterrer les mêmes sujets clivants chaque année car ils sont au cœur des préoccupations des Français. Il nous faut nous y adapter et trouver des solutions afin d’y répondre au mieux. Comme beaucoup de festivals en France nous n’avons peut être pas été assez vigilants à l’approche de tous ces sujets, et j’en fais amende honorable. Ils font désormais partis de nos préoccupations majeures car il est de notre responsabilité de tout mettre en œuvre afin que nos festivaliers se sentent en sécurité dans l’enceinte du festival.
Le Hellfest est désormais le plus important festival de musique en France et il est tout à fait normal que nos fans attendent de notre organisation une certaine exemplarité dans les actions que nous menons vis à vis de notre politique environnementale, de lutte contre les violences etc. Cela passe par une meilleure communication déjà. Nous devons apprendre à mettre en lumière toutes les initiatives que nous menons chaque année. Concernant notre responsabilité environnementale, à ma connaissance, aucun autre événement de notre importance ne peut se targuer de recycler pas loin de 80% des déchets. Chaque nouvelle édition nous permet d’améliorer notre empreinte carbone à travers des actions ciblées (diminution de l’usage du plastique, convertissement progressif vers des sources d’énergie plus verte (panneaux solaires, politique de circuit court dans nos collaborations avec les prestataires de services etc…).
Nous avons également un accueil PMR (personnes à mobilité réduite) de qualité qui fait office d’exemple dans son organisation et sa mise en place. L’inclusion est une priorité pour nous. À cela s’ajoute cette année, une nouvelle ambition à travers notre nouveau dispositif HELLCARE. Ce dispositif de prévention, d’écoute et de prise en charge se verra doter de plus de 150 personnes habilitées et formées afin de prévenir toutes situations violentes qui pourraient survenir lors du festival. Les festivaliers auront la possibilité de télécharger une toute nouvelle application téléphonique créée uniquement pour le festival, et qui leur permettra de pouvoir signaler tout acte de violences (verbales ou physiques). Nous savons qu’il nous reste encore beaucoup à faire mais nos initiatives en la matière ne sont pas inexistantes, loin de là.
Vous avez été condamné l’an passé à 20 000 euros d’amende, 8 mois de prison avec sursis et 5 ans d’interdiction de présidence d’association pour abus de confiance. Souhaitez-vous réagir ?
B.B. : En 2006, lorsque nous avons crée la structure qui devait porter mon projet de festival avec Yoann Leneve et ma compagne de l’époque, jamais je n’ambitionnais de faire du Hellfest ce qu’il est aujourd’hui. La structure associative me paraissait donc intéressante à cet égard car plus légère à mettre en place qu’une société commerciale classique.
J’ai considéré à tort que cette association m’appartenait et je me suis donc permis de lui emprunter parfois de l’argent. Ce procédé est évidemment interdit dans le cadre d’une structure associative et j’ai donc été condamné pour cela. Si j’avais été à la tête d’une société commerciale cela aurait été différent. J’assume pleinement cet erreur de discernement.
Je tiens cependant à préciser que jamais je n’ai agi avec malveillance. Ces procédés d’avance de trésorerie personnelle étaient connus de tous au sein de l’association. Jamais je n’aurais accepté de mettre l’association en difficultés. J’en suis à l’origine, cela n’aurait eu aucun sens. Si j’avais agis avec malveillance, je n’occuperais plus la place qui est encore la mienne aujourd’hui.
J’ai les défauts de mes qualités, je vais parfois trop vite. Ces erreurs font partie de mon apprentissage et je prends cette condamnation avec beaucoup d’humilité. Je n’ai rien caché au enquêteurs qui travaillaient sur mon dossier, j’ai été totalement transparent et c’est la raison pour laquelle le parquet m’avait proposé cette condamnation dans le cadre d’une CRPC (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité) à huis clos.
La discrétion était le choix du parquet et des enquêteurs, la révélation, celle des journalistes. Encore une fois, il n’y a eu aucune malveillance, ni tromperie dans ce que je me suis permis de faire. Il n’y a pas eu de dissimulation. Les mots sont importants ! Cette histoire est désormais derrière moi et je préfère me concentrer sur tout ce qu’il me reste à accomplir avec le festival. Une nouvelle organisation dans l’association est en place depuis 2022 et a permis de maintenir l’excellence de notre festival qui est encore à ce jour le plus grand festival de musique en France.
Un dernier conseil pour les entrepreneurs qui nous lisent ?
B.B. : Comme je le disais plus tôt, il manque parfois un peu plus de ténacité pour aller au bout de ses rêves. Il faut aussi être ambitieux et ne jamais perdre de vue le cap que vous vous êtes fixé. J’aimerais aussi passer un message aux collectivités car j’aurais moi-même aimé à l’époque obtenir plus de soutien de leur part. Les jeunes qui rêvent de monter leur propre projet sont présents à tous les coins de rue et il faut être à leur écoute !
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