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Alexandre Saboundjian, CEO de Winamp : « Le streaming musical ne représentera demain qu’une part limitée du revenu total d’un artiste »

Winamp, l’un des plus anciens lecteurs multimédia de l’histoire d’internet, se réinvente en 2024 en offrant une nouvelle solution à la fois aux artistes et aux mélomanes. Alexandre Saboundjian, son PDG, revient sur l’évolution de la plateforme et la nécessité de rompre avec le modèle du streaming, dominé par des mastodontes comme Spotify ou Apple.
 
Vous dirigez Winamp, l’un des plus anciens lecteurs multimédia. Comment cette plateforme a-t-elle évolué depuis sa création en 1997 ?

Alexandre Saboundjian : Winamp a été créé en 1997 par des développeurs américains, devenant rapidement l’un des lecteurs les plus populaires au monde, notamment grâce à sa simplicité d’utilisation. Avec un pic à plus de 500 millions d’utilisateurs, il a contribué à propulser le MP3 dans les usages audio.


Après son acquisition par AOL en 2000, le groupe a tenté de créer un service de musique par abonnement, mais ce projet a été abandonné en raison des difficultés d’AOL. En 2012, tout a été vendu, mais nous en avons profité avec Radionomy pour racheter Winamp dès 2014, au même titre que le serveur de diffusion de webradio Shoutcast. Notre propre technologie de streaming Targetspot a permis de relancer Winamp, qui compte aujourd’hui entre 50 et 80 millions d’utilisateurs actifs.
 
En 2015, Vivendi a racheté Radionomy, et donc Winamp, ce qui a permis à la plateforme de bénéficier de nouvelles ressources et de développer des projets plus ambitieux. Mais après deux années de collaboration avec Vivendi, nous avons choisi de nous séparer en 2017, car la cohabitation au sein du groupe était devenue compliquée. Cela nous a permis de retrouver notre indépendance et de concentrer nos efforts sur la vision que nous avions pour Winamp et la musique numérique.
 
Pouvez-vous nous en dire plus sur Audiovalley, l’entité derrière Targetspot ?
 
A. S. : Nous avions plusieurs piliers d’activité : Storever, un projet dédié au monde du magasin, que nous avons revendu ; Jamendo, toujours actif, dédié au licensing de musique ; et Targetspot, spécialisé dans la monétisation publicitaire des radios et webradios, que nous avons vendu à Vivendi. Aujourd’hui, nous avons gardé Winamp, ainsi que des projets comme Jamendo et Bridge Right, qui nous permettent de continuer à travailler dans la gestion des droits d’auteur.
 
En 2015, vous avez tenté d’explorer le modèle du streaming par abonnement. Pourquoi ce modèle ne vous a-t-il pas convaincu ?
 
A. S. : Nous avons exploré le streaming par abonnement, mais nous avons rapidement réalisé que le marché était saturé par des géants comme Spotify et Apple. Puis, juste avant la pandémie en 2019, nous avons constaté une forte méfiance grandir parmi les artistes concernant leurs revenus issus du streaming. Cela a renforcé notre conviction que le modèle actuel était mal adapté aux besoins des créateurs. La vague du digital ne les a pas rendus plus libres comme promis et cela met en danger la création musicale.
 
Le streaming musical ne représentera demain qu’une part limitée du revenu total d’un artiste. Le vrai défi, c’est de permettre aux artistes de générer des revenus via des abonnements directs, des NFTs, ou encore des objets numériques.


Pour autant, les artistes émergents ne peuvent se passer du streaming pour se faire connaître…
 
A. S. : Oui, le streaming tel que nous le connaissons est toujours indispensable mais cela n’empêche pas les musiciens de se plaindre de la rémunération qu’ils perçoivent. C’est totalement dérisoire par rapport aux milliards que les géants comme Sony et Warner engrangent grâce à cette industrie. Le problème n’est pas le streaming en soi, mais le contrôle des grandes entreprises sur l’industrie musicale. En fait, le véritable tournant, c’est que les artistes ont perdu le contrôle de la promotion et de la gestion de leur contenu.
 
Comment souhaitez-vous défendre l’indépendance des artistes ?
 
A. S. : Nous souhaitons redonner aux artistes le contrôle sur leur musique et leurs revenus. Grâce à Winamp for Creators, lancé en novembre 2024, les artistes peuvent non seulement gérer leurs droits d’auteur et leur musique, mais aussi interagir directement avec leurs fans. Ce n’est plus une question de simplement distribuer leur musique, mais de leur offrir des outils pour créer une vraie relation avec leur communauté, tout en diversifiant leurs sources de revenus.
 
Il s’agit donc d’un véritable outil tout-en-un pour les artistes qui permet la distribution gratuite de musique, la gestion des droits d’auteur, la vente de NFTs, et même la création de communautés de fans via des abonnements. Les artistes peuvent aussi vendre des licences pour utiliser leur musique dans des publicités, des vidéos YouTube, et bien plus encore.
 
Nous permettons également aux artistes de travailler avec d’autres professionnels, qu’il s’agisse de managers ou de spécialistes en marketing. Ce système est une solution pour ceux qui cherchent à se réapproprier leur carrière et à se libérer de la dépendance aux grandes plateformes.


Winamp se positionne aussi comme une alternative aux géants comme YouTube ou VLC. Comment vous démarquez-vous de ces mastodontes ?
 
A. S. : Nous avons décidé de partager le code de Winamp, ce qui nous permet de créer une communauté fidèle de développeurs. Aujourd’hui, nous avons plus de 2000 développeurs dans le monde qui contribuent à améliorer le logiciel. Cette ouverture nous permet d’avoir un contrôle sur la sécurité tout en offrant à la communauté un produit sans publicité invasive. Cela concerne le player Winamp historique.


De notre côté, nous sortirons une nouvelle version mobile fin janvier. Nous croyons en un modèle plus transparent et plus direct avec les utilisateurs. Nous ne voulons pas que la musique devienne un simple produit parmi d’autres, comme une paire de chaussures ou une voiture. La musique, c’est de la culture, et nous devons tout faire pour protéger les créateurs et leur donner les outils pour prospérer.
 
Le modèle des NFTs, dont vous parlez souvent, est-il vraiment viable pour les artistes ?
 
A. S. : Les NFTs peuvent offrir aux artistes une nouvelle manière de certifier la valeur de leurs œuvres et de générer des revenus permanents. Contrairement au modèle classique de streaming, un NFT peut se revendre, et chaque transaction génère des revenus pour l’artiste. Il y a évidemment encore beaucoup de scepticisme autour des NFTs, mais pour les artistes qui croient en leur travail, c’est une opportunité unique.
 
Quels sont les défis à venir pour Winamp et les artistes dans ce contexte de transition de l’industrie musicale ?
 
A. S. : Le principal défi est de continuer à convaincre les artistes que le streaming n’est qu’une petite partie de l’écosystème. Nous devons aider les créateurs à diversifier leurs revenus tout en leur offrant une plateforme transparente et efficace. L’ère du streaming est loin d’être morte, mais il est essentiel d’ouvrir de nouvelles voies pour que les artistes retrouvent leur indépendance et leur pouvoir dans une industrie en pleine mutation.
 

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