Jamais la semaine de 4 jours n’a fait autant débat. Utopique ou réaliste, ce nouveau rythme de travail, du fait de ses remarquables bienfaits aussi bien sur l’épanouissement individuel que sur la productivité, crée des émules mais aussi un élan de contestation qui s’amplifie ces dernières semaines.
Bien qu’il soit communément admis qu’elle ne doit pas faire l’objet de dispositions législatives et qu’elle ne peut s’appliquer à tout le monde, elle constitue une réponse pertinente qui permet de solutionner, d’un coup d’un seul, de nombreuses problématiques que rencontrent les entreprises en ce qui concerne le recrutement, le maintien de l’engagement, l’amélioration de la qualité de vie et des conditions de travail ou encore l’allongement de la durée de vie professionnelle, tout en améliorant le niveau de productivité.
Si, dans un récent sondage, 75% des Français déclarent être favorables à ce rythme de travail[i], seulement 5% des entreprises l’auraient déjà adoptée[ii]. Cependant, si l’on en croit un autre sondage, près de 35% des employeurs envisagent de le mettre en place dans les 12 prochains mois[iii].
Mais il y a une différence entre envisager et s’engager. De quoi ont besoin les décideurs pour passer à l’acte ? Très certainement d’informations qui leur permettent de mieux comprendre les conditions de succès mais aussi les écueils à éviter de manière à se forger une idée sur le niveau de réalisme et la probabilité de réussite pour leur entreprise.
Si le fait de travailler 4 jours par semaine n’est pas nouveau, ce qui l’est en revanche c’est d’attribuer 47 jours de repos supplémentaires, sans perte de salaire, en maintenant la durée du travail et sans nécessité d’embauche supplémentaire.
On imagine assez aisément que ce nouveau rapport au travail peut laisser perplexe, voire effrayer certaines personnes qui aimeraient être rassurées pour, au moins, sauter le pas et l’expérimenter.
La question n’est donc plus « Est-ce que ça marche ? » (Les exemples d’entreprises qui témoignent du succès sont de plus en plus nombreux) mais plutôt « Comment aider les dirigeants à comprendre pourquoi ça marche ? ».
Qui écouter pour se forger un avis objectif sur la semaine de 4 jours ?
« Chacun a raison de son propre point de vue, mais il n’est pas impossible que tout le monde ait tort ». Cette citation, attribuée au Mahatma Gandhi, nous a amenés, lors de l’écriture de notre livre sur le sujet[iv], à être extrêmement vigilants sur les avis exprimés sur la semaine de 4 jours et particulièrement attentifs aux raisonnements qui les sous-tendent.
Par expérience, nous savons que notre cerveau est paresseux et qu’il peut être victime de distorsions dans le traitement cognitif d’informations, notamment lorsqu’elles sont inédites et disruptives, ce qui est le cas en ce qui concerne ce nouveau rythme de travail.
C’est pourquoi nous avons eu à cœur de retenir, non pas les opinions, mais les expériences vécues d’entreprises qui ont définitivement adopté la semaine de 4 jours, sans négliger celles qui peinent à la mettre en œuvre et celles qui y ont renoncé car nous avons à apprendre aussi bien des réussites que des échecs.
C’est grâce à l’analyse de tous ces témoignages que nous avons progressivement compris « pourquoi ça marche ! ». Mais avant de partager nos découvertes, faisons le tour des personnes qui se positionnent sur le sujet.
Nous les avons classées en 5 catégories. Il y a celles qui :
- Adhèrent à l’idée et celles qui sont contre.
- Ont envie de l’adopter et celles qui ne le souhaitent pas.
Nous conseillons aux personnes qui n’adhèrent pas à l’idée et qui n’ont pas envie, au moins, de l’expérimenter, de ne pas poursuivre la lecture de cet article. Nous ne voudrions pas leur faire perdre leur temps.
- Y croient et celles qui sont sceptiques ou craintives.
Si vous n’y croyez pas alors que vous adhérez à l’idée et que vous avez envie de l’adopter, alors cet article risque fort de vous intéresser.
- L’ont expérimenté et les autres.
- L’ont définitivement adopté et celles qui ont renoncé.
Si nous disposons à présent de nombreux témoignages de dirigeants, managers et salariés qui présentent les bienfaits de la semaine de 4 jours, rares sont ceux qui nous permettent d’en comprendre les origines.
Pourquoi l’augmentation de la durée quotidienne ne génère pas forcément plus de stress ? Comment est-il possible, à effectif constant, de maintenir la continuité de service et la productivité alors que les salariés travaillent un jour de moins ? etc.
C’est à ces questions, et à bien d’autres, qu’il convient à présent de répondre.
La semaine de 4 jours expliquée par l’approche systémique
La plupart des réticences et des objections qu’émettent les dirigeants et managers sont très souvent la conséquence d’un mode de raisonnement analytique qui se concentre, voire se limite, à l’étude parcellaire de certains éléments (augmentation de la durée journalière, stress, facturation à la journée…) alors que la compréhension de l’origine des bénéfices repose sur une approche holistique et n’est possible qu’à condition d’étudier l’impact de ce nouveau rythme de travail sur tout le système (culture organisationnelle, nature des interactions humaines, rituels, prises de décision, subsidiarité, jeux psychologiques, styles de management…).
Par exemple, l’affirmation selon laquelle l’augmentation de la journée quotidienne a pour conséquence d’augmenter le stress semble logique d’un point de vue analytique mais se révèle erronée d’un point de vue systémique, car le stress, du point de vue de l’INRS et de l’ANACT, n’a pas pour unique origine la charge de travail mais aussi, et surtout, la charge émotionnelle, mentale, la qualité des relations interpersonnelles, le niveau d’autonomie, le manque de reconnaissance hiérarchique ou encore les conflits de valeurs (facteurs qui sont d’ordre relationnel et non organisationnel). En somme, l’augmentation de la durée journalière n’augmente pas le stress lorsque l’organisation et le climat social permettent de travailler sereinement.
En effet, le stress nuisible à la santé est provoqué par une augmentation d’adrénaline et de cortisol provoquée par la perception qu’a un individu de son incapacité à gérer une charge de travail (manque de clarté, carence d’informations, objectifs inatteignables, absence d’autonomie, de liberté d’expression…). Mais si la personne se sent capable de gérer l’augmentation de sa charge de travail ou si elle aime ce qu’elle fait, elle ne produira pas ces hormones mais plutôt de la dopamine, l’hormone du plaisir.
L’une des raisons pour laquelle 71% des salariés anglais ont déclaré une baisse de 33% de leur épuisement professionnel[v] après avoir adopté la semaine de 4 jours est due au fait que les entreprises en ont profité pour améliorer les conditions de travail (manifestation de la confiance, encouragement de prises d’initiatives, autonomisation, digitalisation de certaines activité, soutien affectif mais aussi technique).
Comprendre les origines des bénéfices de la semaine de 4 jours nécessite donc de s’appuyer sur l’approche systémique et plus précisément sur les 5 grand principes qui la composent, à savoir :
1 – L’interdépendance :
Ce principe illustre le fait que « chaque élément d’un système tire son information des autres éléments avec lesquels il interagit ».
Pour faire simple, l’appropriation de la semaine de 4 jours nécessite de prendre en compte toutes les interactions, ce qui suppose d’analyser, non seulement l’influence de l’individu sur le système mais aussi celle du système sur l’individu.
A titre d’exemple, les équipes du centre de Nantes d’Acorus, entreprise de 1.600 salariés, spécialisée dans la rénovation de bâtiments, qui peuvent choisir leur jour de repos hebdomadaire excepté le jour de présence obligatoire, déclarent être moins fatiguées, non seulement du fait du jour de repos supplémentaire hebdomadaire mais aussi parce qu’ils sont moins interrompus par leurs collègues, qui sont moins nombreux à être présents sur le site.
Ainsi, l’amélioration de la productivité globale générée par la semaine de 4 jours est souvent la conséquence d’améliorations d’une multitude d’interactions entre les parties prenantes (réunions, reportings, interruptions, mails, messages privés, sollicitations imprévues, règles imposées par d’autres fonctions…).
2 – La totalité :
Ce principe met en exergue que « lorsqu’il y a un regroupement d’éléments, la logique de groupe constitué prime sur celle de chaque élément qui le compose ».
L’amélioration de la productivité globale de l’entreprise observée suite à l’appropriation de la semaine de 4 jours est la conséquence, non seulement de l’amélioration des productivités individuelles, mais aussi de la réallocation des bénéfices de ces améliorations individuelles au niveau de l’entreprise.
Par exemple, l’amélioration du bien-être engendre une réduction des arrêts de travail mais également une diminution des coûts de remplacement du personnel absent.
Ceci a pour effet de réduire le temps de traitement des arrêts maladie par la Direction des Ressources Humaines, qui peut alors se consacrer à des activités à plus forte valeur ajoutée pour l’entreprise et les salariés, mais aussi consacrer une partie de cette économie financière, par exemple, à des projets de développement des compétences nécessaires pour la création de binômes qui permettent de maintenir la continuité de service.
3 – La rétroaction :
Ce principe, également intitulé « causalité circulaire » ou « feedback », met en avant que « l’effet B, produit par A, agit en retour sur la cause A qui l’a produit ».
Il permet de mieux comprendre les raisons pour lesquelles le « jour off » a un effet positif sur la productivité. Se reposer une journée de plus par semaine a pour effet de réduire de manière significative le taux de cortisol, hormone du stress, dont la production chronique peut avoir des effets préjudiciables pour la santé (pression artérielle, fatigue, anxiété, dépression, problèmes de mémoire et de concentration…), ce qui n’est pas le cas lorsque l’on télétravaille et encore moins le cas lorsque l’on diminue la durée quotidienne sur 5 jours car, même si les journées sont plus courtes, le stress généré par les trajets et la fatigue liée au travail demeure.
Pouvoir disposer d’une journée ouvrable en semaine pour traiter des activités personnelles (rendez-vous médicaux, rechercher de logement, démarches administratives…) sans être soumis à une pression temporelle ou pour se faire du bien (activité sportive, loisirs, moments en famille, formation…) a donc un impact positif sur le bien-être physique et psychologique.
Ce jour de repos a également pour effet de diminuer la charge mentale, ce qui permet d’être dans de meilleures dispositions quand on reprend le travail.
C’est ce qu’observe Patrice Peta, directeur de l’hôtel 5 étoiles « Le Palm », situé sur l’île de la Réunion, concernant les équipes en charge de la salle de restauration.
Si le rythme durant le service est inchangé, l’allongement de la durée quotidienne a de nombreux effets positifs sur le traitement de l’activité (moins de pression pour la préparation de la salle), sur la relation interpersonnelle (les équipes disposent de plus de temps pour accueillir et inclure les nouveaux collaborateurs, les difficultés sont abordées et traitées avec plus de calme et de sérénité) ainsi que sur l’amélioration de la qualité de service (plus de temps consacré à l’amélioration de l’existant, comme de nouvelles compositions florales par exemple).
4 – L’homéostasie :
Ce principe met en avant que « lorsqu’un système subit une légère transformation (d’origine interne ou externe), il a tendance à revenir à son état antérieur ».
La principale difficulté au début de l’étape d’expérimentation de la semaine de 4 jours est de gérer simultanément le quotidien (continuer de « délivrer » pour que cela n’ait pas d’impact sur la productivité et la qualité de service) et l’expérimentation de nouvelles solutions qui permettent de traiter en 4 jours ce qui l’était en 5, ce qui peut être à l’origine d’une augmentation du stress, d’un surmenage, de doutes, voire de frustrations.
Toutes les entreprises que nous avons interviewées pour notre livre nous ont fait part de débuts difficiles et de la nécessité de faire preuve de persévérance dans l’adoption de ce nouveau rythme de travail car, selon ce principe, chaque solution adoptée pour résoudre une difficulté rencontrée aura un impact positif sur le système à plus ou moins court terme et c’est la somme de ces « petites victoires » qui rend possible l’appropriation de la semaine de 4 jours, à condition de ne pas renoncer trop vite comme l’ont fait certaines entreprises.
Ce principe systémique met en avant que chaque perturbation est temporaire et, si elle est correctement traitée, amène rapidement à un état plus stable.
5 – L’équifinalité :
Ce dernier principe met en exergue qu’il est « possible d’ obtenir un résultat identique à partir de conditions initiales différentes en empruntant des chemins différents ».
Si la finalité de ce projet est d’accorder 47 jours de repos supplémentaires par an moyennant le maintien de la productivité, il y a plusieurs manières d’y parvenir.
Ce principe met en avant que chaque entreprise doit trouver sa solution et qu’il faut bien se garder de l’aborder en mode « copier/coller » car ce qui convient à une entreprise peut ne pas convenir à une autre.
Cependant, si différents chemins peuvent mener à la même destination, les nombreux retours d’expériences semblent démontrer l’importance de respecter 5 principales étapes.
La première consiste à « ouvrir officiellement » le débat avec les dirigeants, les managers, les collaborateurs et les représentants du personnel. L’enjeu consiste à déclarer ouvertement le niveau d’envie de travailler sur 4 jours afin d’obtenir un « go » ou un « no go ».
Si la semaine de 4 jours est plébiscitée par la majorité des acteurs de l’entreprise (se posera ensuite la question pour ceux qui ne le souhaitent pas), la deuxième étape consiste à « animer les réflexions » notamment sur le niveau de réalisme et de faisabilité du projet (compatibilité avec les modes d’organisation, possibilité de maintenir la continuité de service, maintien du lien social…). A ce titre, il est intéressant de se nourrir des expériences d’autres entreprises.
Lorsque l’entreprise conclue que le passage à la semaine de 4 jours est réaliste, elle doit ensuite « poser le cadre », qui constitue la troisième étape (qui est concerné ? Quelles sont les modalités de prise des jours « off »…).
Une fois le cadre défini, la quatrième étape consiste à « expérimenter » l’appropriation de ce nouveau rythme de travail, ce qui suppose de fonctionner en mode « Test & Learn » avec des points d’avancement réguliers qui permette d’identifier les difficultés afin de trouver des solutions.
Enfin, la dernière étape consiste à valider, ou non, l’adoption définitive de la semaine de 4 jours.
Adopter la semaine de 4 jours, c’est un peu comme déménager
Appréhender la semaine de 4 jours suppose par conséquent de s’approprier ces 5 principes systémiques.
Cela permet de mieux comprendre les multiples origines des bénéfices de ce nouveau rythme de travail, un peu comme lorsqu’on illustre l’intelligence collective par la formule « 1+1 = 3 » pour souligner les bénéfices de la mutualisation des angles de vue et des capacités individuelles.
Les mois que nous avons consacrés à l’étude de la semaine de 4 jours nous ont d’ailleurs incité à la présenter à travers la formule : « 5 – 1 = 5 ».
Cette équation souligne le fait que la journée de travail en moins est largement compensée par l’augmentation du bien-être et de la productivité, lorsque ce projet est bien mené.
Pour qu’il soit bien mené, il doit être appréhendé comme un déménagement car, bien que cet événement soit considéré comme un des moments de vie les plus stressant, c’est une des rares occasions où tout le monde se réunit pour :
- Faire le tri dans ses affaires, jeter ce qui ne sert à rien (habitudes, reportings inutiles…)
- Nettoyer ce qui était poussiéreux (non-dits, bureaucratie…)
- Classer et ranger les affaires pour emménager dans de bonnes conditions (optimisation des processus et modes de fonctionnement).
Alors, pensez-vous toujours que la semaine de 4 jours se limite à une réduction du temps de travail ou, comme nous, considérez-vous que ce projet s’avère être une opportunité sans précédent de légitimer une dynamique d’innovation managériale ?
Pour en savoir plus, vous pouvez dès à présent commander notre livre « La semaine de 4 jours, sans perte de salaire, ça marche ! » et nous suivre sur LinkedIn.
[i] Sondage réalisé par YouGov pour le HuffPost en avril 2023
[ii] Source : Etude de 2021 de la Dares
[iii] Étude Robert Half de mars 2023
[iv] Livre « La semaine de 4 jours, sans perte de salaire, ça marche ! » – Francis Boyer et Thomas Laborey – Éditions Eyrolles – parution le 1er juin 2023
[v] Retour d’expérience d’adoption de la semaine de 4 jours par 61 entreprises et 2.900 salariés de juin à décembre 2022
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