2023 : Les écrans, nos enfants…. et nous les parents…
Les enfants sont inévitablement attirés par les technologies modernes, notamment les écrans, sous toutes leurs formes, à la télévision d’hier qui assurait parfois calme et tranquillité sur des émissions choisies, est venue s’ajouter, les tablettes, les smartphones, les écrans d’ordinateur… qui, entre nous soit dit, ne sont pas le mode d’éducation choisi pour leurs enfants par ceux et celles qui ont le plus œuvré pour leur développement dans le monde : à l’instar de Steve Jobs qui avait déclaré en 2011 que lui et sa femme, Laurene Powell, avaient limité le nombre d’outils numériques que leurs enfants pouvaient utiliser à la maison, « le fondateur de Microsoft, Bill Gates est connu pour avoir restreint le temps d’écran et interdit les téléphones portables à table, tandis que Mark Zuckerberg, celui de Facebook, a écrit en 2017 une lettre à sa fille nouveau-née, August, l’invitant à « sortir dehors » » ! « Bizarre vous avez dit bizarre ? » Les parents se demandent souvent pourquoi leurs enfants sont si intéressés par ces appareils, notons qu’à l’instar de la télévision hier, les écrans sont une source de calme lors de longs trajets en voiture n’est-ce pas ? Et que de plus en plus de smartphones trainent de façon décomplexée sur la table lors de diners familiaux…
Alors… à qui la faute ? Dans cet article, nous examinerons ce qui rend les écrans si accrocheurs et si attractifs pour les enfants et de quelles façons, par-delà le simple bon sens, et par-delà une nouvelle loi s’immisçant bien étrangement en France dans la vie privée en instaurant une majorité numérique, se substituant à l’autorité parentale, tout du moins la « contraignant ». Si cette loi nous semble « déplacée » pour les raisons évoquées, et relever d’un vœu pieux, sans grande efficacité, tant notre jeunesse est habile pour contourner tous les blocages et tous les interdits, elle a toutefois le « mérite » de rappeler aux parents qu’ils se doivent de gérer leur utilisation et de mesurer les risques d’un usage inapproprié. N’oubliez jamais que les fournisseurs de contenus numériques, applications, jeux en réseau, etc. ne poursuivent qu’un seul objectif une fidélisation extrêmement forte, et pratiquent ce qui peut être nommé un marketing de la dépendance. Un marketing de la dépendance qui ne touche pas que la jeunesse tant s’en faut !
Les écrans répondent à des besoins psychologiques fondamentaux.
Première raison :
Ils répondent parfaitement à trois besoins fondamentaux humains que sont : l’autonomie, le sentiment de compétence et le lien social (Laguardia & Ryan, 2000). Or la satisfaction de ces besoins favorise la motivation et l’engagement.
- Quid du besoin d’autonomie : Quand un enfant dispose d’un téléphone – de plus en plus sophistiqué et de plus en plus tôt – il devient le gestionnaire d’un objet technologique qui lui permet de faire de nombreuses activités, à sa guise. Cela va de l’accès à un espace numérique de travail (ENT) en classes de collège et de lycée, à celui, bien sûr, des réseaux sociaux numériques ou des jeux en ligne. Pour l’enfant à qui les parents prêtent leur téléphone ou tablette, l’autonomie perçue est certes momentanée, mais tout aussi forte puisqu’il ou elle a alors accès à cet outil tant convoité et qui ne lui appartient pas.
- Quid du besoin de sentiment de compétence: tout est fait pour que l’enfant puisse intuitivement consommer les activités-cibles (jeux, vidéos, publicités) et se sente donc compétent dans l’usage des technologies. La littératie numérique est même encouragée, y compris à l’école, ainsi que le développement des compétences numériques (dispositif PIX). Cette compétence donne aussi un sentiment de contrôle, extrêmement rassurant, un adolescent en échec scolaire, un peu perdu, retrouvera de la confiance en lui dans un univers maîtrisé. Ce qui in fine ne fera qu’aggraver les choses d’un point de vue scolaire…. Et renforcer sa dépendance.
- Besoin de lien social : celui-ci est nourri par les réseaux sociaux numériques et les jeux collaboratifs en ligne, surtout à l’adolescence où les contacts directs avec les jeunes de même âge sont parfois difficiles, voire anxiogènes pour certains. A ce même âge, le sentiment de faire communauté est aussi renforcé par les activités comme les jeux en ligne dans lesquels l’adolescent fait équipe avec d’autres. Néanmoins, un sentiment de solitude peut naître à cause de la communication à travers un écran qui restreint les perceptions, mais aussi quand l’usage des écrans et des outils numériques se fait au détriment d’activités sociales en présence d’autres humains.
Notons toutefois que si les enfants sont dotés d’un téléphone portable de plus en plus jeunes, une étude de Stanford démontre que sous certaines conditions cela peut ne pas influencer leur bien-être. Comme le précise l’auteur principal de l’étude, le docteur Thomas Robinson, titulaire de la chaire Irving Schulman sur la santé des enfants et professeur de pédiatrie et de médecine. « Une explication possible de ces résultats est que les parents font un bon travail en adaptant leur décision de donner un téléphone à leurs enfants aux besoins de l’enfant et de la famille. Ces résultats doivent être considérés comme donnant aux parents le pouvoir de faire ce qu’ils pensent être bon pour leur famille ».
Seconde raison :
Il faut aussi ajouter que les écrans sont attractifs car ils sont stimulants et ludiques. Comme toutes les activités satisfaisantes, ils vont donc activer le circuit de la récompense dans le cerveau, sans être très coûteux en ressources mentales. Ils permettent aux enfants d’accéder à une infinité de contenus qui les intéressent, depuis un contenu ludique, jusqu’à des contenus interdits – et soyez bien certain qu’ils sont en mesure de contourner tous les blocages mis en place – en passant par un contenu d’apprentissage. Les formats courts permettent aux enfants de zapper vite et de ne maintenir leur attention que dans un temps réduit, donc avec un effort peu important.
Troisième raison :
Les écrans permettent une immersion assez nette dans l’activité démarrée par l’enfant : l’enfant oublie totalement le contexte dans lequel il se trouve, il perd la notion du temps. Ceci est d’autant plus vrai si l’enfant porte de surcroit un casque audio ou des écouteurs. Ce phénomène d’immersion a été décrit dans d’autres contextes (cinéma, art), un article de recherche intitulé « Can music improve e-behavioral intentions by enhancing consumers’ immersion and experience? » (La musique peut-elle améliorer les intentions e-comportementales en améliorant l’immersion et l’expérience des consommateurs ?) Information & Management Volume 52, Issue 8, December 2015, Pages 1025-1034, Caroline Cuny, Marianela Fornerino, Agnès Helme-Guizon ) le démontre.
Cette immersion qui a vocation à aller encore plus loin avec la réalité virtuelle et les « metaverses » balbutiants en pleins développements… une immersion qui permet d’activer des émotions et une expérience sensorielle particulièrement satisfaisante. Ici, la qualité de l’écran (nombre de pixels, rendu de la profondeur, couleurs) regardé par l’enfant, tout comme la qualité du contenu, sont des facteurs importants dans cette capacité à « hypnotiser » les plus jeunes.
De l’impératif de proposer des alternatives attractives aux écrans pour les enfants !
La première des choses est de montrer l’exemple en gardant des activités sans écran pour les parents : se promener dans la nature, interagir sans médium technologique, ranger son téléphone dans un endroit loin des regards, ne pas faire d’écran deux heures avant le coucher (nos recommandations pour un numérique responsable pour les lycéens) !
– Les jeux de société sont un excellent moyen de stimuler l’esprit des enfants tout en passant du temps ensemble en famille.- Les puzzles et les casse-têtes peuvent aider les enfants à développer leur motricité fine et à exercer leur esprit logique.
– La lecture est une activité passionnante qui ouvre les portes à l’imagination et fait travailler la mémoire. Les bibliothèques publiques offrent souvent des programmes de lecture pour les enfants.
– Le bricolage et les activités artistiques permettent aux enfants d’exprimer leur créativité
Dans ces activités alternatives, les parents ou encadrants doivent chercher à soutenir les trois besoins psychologiques fondamentaux que nous avons évoqués plus haut. Or, le besoin d’autonomie est fréquemment oublié. En effet, quand un parent fait une activité avec un enfant, il prend souvent en charge une partie importante de celle-ci (structuration de l’activité, gestion des éléments dangereux ou fragiles, des éléments matériels). Pourquoi ne pas envisager de laisser l’enfant plus libre dans ses prises de décision, en sécurité, pour lui permettre de mieux nourrir ce besoin ?
Conclusion.
Les enfants sont très attirés par les écrans, c’est la normalité, et ils ne sont pas des ennemis, tant s’en faut, dès lors qu’ils sont apprivoisés, dressés, c’est-à-dire enseignés. Les parents, nous, vous, jouent un rôle important dans ce processus, ne serait-ce que par l’exemplarité, et veiller à en limiter l’utilisation des écrans afin qu’ils puissent développer leurs capacités sociales et motrices.
Et pour vous, parents, pour finir notre longue lettre, n’hésitez pas à consulter notre guide pratique édité il y a quelques années est toujours à disposition en français et en anglais. Si vous voulez aller plus loin pour comprendre que ce qui semble anodin est bien loin de l’être, nous vous invitons à prendre connaissance de notre article sur la stratégie de TikTok, bien décidée à manipuler la jeunesse occidentale tandis que les adultes regardent ailleurs et pensent à des piratages de données, que nous pensons beaucoup moins préoccupant, in fine, que le piratage des cerveaux.
“Être établi dans la modération donne une bonne énergie de vie.”
Une tribune rédigée par: Caroline Cuny, Docteur en Psychologie cognitive, HDR, professeure de Psychologie à Grenoble Ecole de Management. & Yannick Chatelain, professeur Associé. Digital I IT. GEMinsights Content Manager, Grenoble École de Management (GEM).
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