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Voitures : Concevoir des Centres-Villes Sans Elles

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L’avènement de la production automobile en série au début du 20ème siècle a conduit à des changements imprévisibles et conséquents dans l’architecture et la disposition des villes, dont les effets sont encore visibles aujourd’hui. Lorsque les voitures ont fait leur apparition, elles se sont partagé les routes avec les autres moyens de transport de l’époque : chevaux, chariots, vélos, piétons, etc. De façon peu surprenante, la « voiture sans cheval » ne parvenait pas à bien s’insérer dans le trafic existant. L’automobile personnelle ne s’accordait pas bien aux autres modes de transport.

Avancez de quelques décennies, et l’impact de la voiture sur les villes américaines était déjà considérable. Le Dr. Martin Melosi, directeur du Centre de l’Histoire Publique à l’Université de Houston, écrit : « Selon les estimations, au moins la moitié des zones urbaines américaines modernes est dédiée aux rues et routes, aux places de parking, aux stations-service, aux panneaux et feux, aux entreprises du secteur automobile, aux concessionnaires, et bien d’autres. En parallèle, l’espace alloué à d’autres modes de transport a fini par régresser ou même disparaître. Par exemple, les trottoirs – habituellement considérés comme essentiels pour séparer les piétons des autres moyens de transport – ont été de moins en moins construits aux abords d’un bon nombre de routes et de rues à l’ère de l’automobile. »

La suprématie de la voiture personnelle dans la culture américaine – celle-ci était et est peut-être encore un élément clef de l’implicite de liberté dans le rêve américain – a conduit à sa dominance dans l’économie des États-Unis. L’infrastructure industrielle construite à l’origine pour produire en série des voitures destinées au public américain s’est trouvée considérablement renforcée par la Seconde Guerre Mondiale. Les constructeurs automobiles américains se sont mis à construire de grandes quantités de matériel militaire, dont des véhicules armés blindés et des avions (tels que l’Enola Gay, le tristement célèbre bombardier à long rayon B-29 qui a lâché la première bombe atomique), et, peut-être le plus important de tout cela, la plupart des composants nécessaires à la maintenance des machines. Dans l’après-guerre, les constructeurs automobiles n’étaient pas seulement de puissantes entreprises, mais ils contribuaient également à une part importante de l’économie américaine, car ils étaient les employeurs d’un nombre considérable de citoyens Américains. En 1953 par exemple, le secteur industriel, dominé par les constructeurs automobiles, était à l’origine de plus d’un quart du PIB des États-Unis.

Cette période fut cruciale pour la dominance de l’automobile personnelle. Le président Eisenhower fut celui qui introduisit le système autoroutier inter-États, et la prospérité américaine – qui a contribué à rendre les voitures personnelles universellement abordables – participa à la croissance rapide de la suburbanisation. Tous ces facteurs ont consolidé le rôle de la voiture en tant que composant essentiel de l’identité américaine, conduisant ainsi à son omniprésence. Il était alors évident que les villes seraient dorénavant conçues (ou non, dans le cas de l’étalement) en ayant les automobiles personnelles à l’esprit.

 

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Les banlieues, une conséquence naturelle du développement des voitures personnelles. / GETTY

 

Melosi écrit précisément : « L’étalement urbain dans l’Amérique de l’après-guerre n’a pas suivi un schéma clair et consistant de développement externe, cependant, mais plutôt une sorte de ‘‘croissance urbaine à la saute-mouton’’ qui a éparpillé les gens, les entreprises et l’industrie sur un large paysage comportant des parcelles importantes de terrain vacant ou vide entrecoupé de maisons, de zones commerciales en bordure de route, et d’une multitude d’espaces à faible densité de population. » Cette forme désarticulée de développement urbain a d’autant plus renforcé le besoin constant de l’Américain moyen de posséder sa voiture personnelle, et ça ne s’est pas arrêté là.

 « Au final, la croissance métropolitaine s’est transformée en un développement mégalopolitain avec une urbanisation s’étendant sur plus de 300 kilomètres de Santa Barbara à San Diego, avec Houston englobant plus de 960 kilomètres carrés, et la capitale du pays faisant partie d’une matrice urbaine s’étendant au nord vers New York City et au sud vers Richmond. À la fin des années 1990, Chicago ne représentait qu’environ six pour cent de sa région métropolitaine. L’automobile était le mode de transport parfait sur ce terrain et, si elle n’était pas responsable de l’étalement, elle avait certainement fourni l’impulsion nécessaire. L’étalement urbain est devenu synonyme de l’automobile. » La conclusion du Dr. Melosi décrit l’intense dominance dont ont bénéficié les voitures dans la psyché américaine.

Mais comme le faisait remarquer le très sage philosophe grec Héraclite, « la seule constante est le changement ». Tandis que nous approchons de la fin de la deuxième décennie du 21ème siècle, les besoins du marché ont commencé à transformer le paysage des moyens de transport. Les urbanistes et les visionnaires du transport ont explicitement identifié la vague de changement à venir dans nos centres-villes comme étant révolutionnaire. Les véhicules électriques légers tels que les scooters et vélos électriques jouent déjà un rôle crucial dans le remplacement de la circulation automobile et le désengorgement des centres-villes, particulièrement dans le cadre d’un modèle d’économie du partage. La montée étonnamment rapide de la Mobilité en tant que Service (MaaS) a attiré l’attention de gouvernements et de multinationales comme une panacée potentielle pour les casse-têtes que sont nos centres-villes remplis d’embouteillages tout autour du monde.

Malgré les vagues d’innovation ayant lieu dans le domaine du transport, l’adoption de ces nouvelles options de mobilité par la population demandera tout de même une refonte en profondeur de la définition de la mobilité dans nos centres urbains. Marc Buncher, le PDG de Siemes Mobility en Amérique du Nord, a apporté un aperçu de la manière d’impliquer la masse des consommateurs : « Il s’agit moins de bénéfices, et plus de prouver – et d’améliorer – la praticité et l’expérience des transports en commun. La technologie d’aujourd’hui joue un rôle important dans ce processus. […] Des outils numériques aux infrastructures intelligentes, bon nombre des solutions de transport permettent aux villes de faire se déplacer les usagers plus rapidement et plus efficacement. Dans de nombreux cas, cela est synonyme de rendre le transport multimodal plus accessible. Les villes apportent à leurs habitants de plus en plus d’applications MaaS pour des moyens de transports à la demande, incluant des transports en commun, des scooters, le partage de vélos, le covoiturage – et peut-être un jour des navettes sans conducteur. À Austin (Texas), CapMetro offre à ses passagers une application ergonomique leur permettant de planifier leur trajet et d’acheter leurs tickets en choisissant parmi un certain nombre de moyens de transport afin de leur assurer l’option la plus rapide et la plus rentable pour eux, comme ils le souhaitent et quand ils le souhaitent ».

Il est peut-être trop tôt pour affirmer que cette approche globale pour aider les consommateurs à faire évoluer leur mentalité à propos du transport en centre-ville est la bonne, mais c’est vraisemblablement une stratégie pertinente. Les villes intelligentes ont devant elles une tâche colossale incluant le démantèlement des infrastructures destinées aux voitures. Elles ne doivent pas seulement démolir les vieilles infrastructures (qui comprennent les places de parkings, les stations essence et les routes réservées aux voitures), elles doivent également en construire de nouvelles, et ce n’est pas une mince affaire. Avec le large éventail d’options que constitue la MaaS, les villes doivent prendre en compte tout élément planifié et la façon de l’intégrer à l’ensemble futur. Une fois que les voitures seront interdites d’accès aux centres urbains, comment évolueront nos centres-villes ? Bien que la planification urbaine puisse orienter certains des résultats, ce sont les résultats inattendus qui font réfléchir les stratèges et les parties prenantes. Les changements à venir dans nos villes sont aussi monumentaux qu’inévitables, tandis que nos marchés précisent leurs exigences.

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