Le PDG du groupe le Parisien-Les Echos, co-orgnaisateur du salon VivaTech, est revenu pour Forbes sur le poids de l’IA dans l’édition de cette année. Et a éclairci quelques points au sujet de l’avenir de son groupe de médias.
Forbes : Cette année, VivaTech se tient sous le signe prédominant de l’IA : est-on désormais assez mature pour être certain qu’il s’agisse d’une vraie révolution ? Ou en est-on encore sur une sorte d’effet de mode ?
Pierre Louette : Pour moi c’est assez clair : là où le metaverse était une révolution annoncée et qui tarde à se concrétiser, l’IA est déjà bel et bien là. Et au fond, si vous partez des travaux d’Alan Turing, on y travaille depuis plus de cinquante ans. Et là avec ChatGpt on est face à une démocratisation, une popularisation de tout ce que l’IA peut apporter. L’IA est là, profondément, pour rester. L’an dernier à VivaTech on en parlait déjà, il y avait pas mal de frémissements. Aujourd’hui, je ne vois quasiment pas une entreprise, une start-up ou une marque qui ne dise pas : on est en train de mettre en œuvre des processus améliorés, optimisés avec de l’IA. Donc c’est vraiment un ensemble de technologies dont la massification et la vitesse de propagation ont été spectaculaires. Un exemple qu’on prend souvent c’est celui de ChatGPT justement, où il a fallu trois mois pour avoir 100 millions d’utilisateurs. Au fond, le monde a envie d’utiliser l’IA dans un des processus de sa vie.
Ne risque-t-on pas de voir le salon être au service d’une une course marketing effrénée ? Du jour au lendemain, tout le monde ou presque nous explique qu’ils se sont mis à l’IA, ou en font en fait depuis des années…
P.L. : Il faut être indulgent, mais il y a forcément toujours un peu une tendance chez beaucoup d’entreprises, à dire « mais nous on était déjà dedans, on y travaillait depuis longtemps », et ce n’est pas forcément faux. C’est-à-dire qu’il y a des chercheurs, des ingénieurs qui travaillent sur des sujets qui ne sont pas tout à fait au gout du jour, qui ne sont pas sous la lumière, et tout d’un coup ils le deviennent. Ce qui est vrai aujourd’hui, c’est qu’il y a l’intuition, avec les LLM notamment qui ont donné une sorte d’image grand public à l’IA, que ça va améliorer un peu tous les domaines d’action industrielle. À VivaTech cette année, on a trois thèmes majeurs : il y a l’IA bien sûr, mais aussi les mobilités, et puis la sustainability. Et par exemple, une énergie renouvelable pilotée, elle a bien besoin d’algorithmes et de programmation avec de l’IA pour être mieux gérée. Les mobilités, pour qu’elles soient plus douces, qu’elles soient optimisées, ont bien besoin d’IA. En fait, l’IA irrigue à peu près tous les domaines de la tech.
La prédominance de l’IA ne risque-t-elle pas au contraire de mettre de côté d’autres sujets primordiaux dans la tech ?
P.L. : Je pense qu’on aura à terme une telle dissémination, une telle diffusion de l’IA, qu’il n’y aura plus forcément un thème spécifique intitulé « IA ». Là, c’est le thème de l’année, parce que c’est tellement fort que, bien sûr, on a envie de lui donner un éclairage particulier. Mais je pense que ça va devenir un domaine généralisé. Au début d’internet, par exemple, on disait, que l’on allait avoir des personnes spécialisés sur le sujet. Et puis finalement, tout le monde a fini par travailler dessus. J’étais aux États-Unis il y a deux mois, je rencontrais justement des gens du New York Times, du Wall Street Journal, de Google, Microsoft, OpenAI. Et les uns et les autres, quand ils sont un peu plus âgés, ils disent : « Je ne pensais pas dans ma carrière vivre, avec l’IA une deuxième révolution comme celle de l’arrivée d’Internet dans nos vies. » C’est quand même particulièrement révélateur. il y a un potentiel de création de valeur, un potentiel de productivité énormes dans la généralisation de l’IA. Encore une fois, elle était là à différents endroits depuis longtemps. Elle est présente maintenant, elle est popularisée, et il y a une interface qui est le prompting, qui la rend accessible à tous.
Cette thématique semble donner la part belle aux start-up et aux géants du numérique : n’est-ce pas fait au détriment des ETI et PME classiques présentes sur le salon ?
P.L. : VivaTech, depuis sa naissance, est avant tout un lieu de rencontre entre des entreprises et des start-up. Et donc, on a aujourd’hui 2 500 startups qui participent à VivaTech, et elles ont vocation à montrer ce qu’elles savent faire, mais aussi à rencontrer des grands groupes avec lesquels elles vont travailler. On le dit souvent, pour les start-up qui viennent ici, elles vont générer 40% de tous les leads commerciaux d’une année, pendant VivaTech, soit 40% de l’ensemble des contacts commerciaux, pour du funding, pour de l’industrialisation, pour du développement. VivaTech, c’est un événement business, on y tient énormément. Il y a bien sûr des choses très spectaculaires, il y a des taxis qui volent, ça attire l’œil. Mais pendant ce temps-là, il y a du business qui se fait partout.
Nous sommes aussi dans une période où les start-up ont du mal à lever des fonds avec des investisseurs qui sont assez frileux : comment le salon compte aider les entreprises en quête de liquidité ?
P.L. : Cette frilosité n’est pas énormément perceptible à VivaTech. D’abord parce que les investisseurs sont présents, mais ce n’est pas un salon strictement d’investisseurs, comme je l’ai dit. Les grandes entreprises ainsi que les start-up qui viennent ici ont déjà souvent trouvé un financement – certaines viennent éventuellement en chercher un deuxième. Mais ce n’est pas le coeur du salon.
Ce qu’on sent un peu plus, c’est cette volonté de scaler en France et en Europe. Le président de la République en a beaucoup parlé lui-même, mais nous, on en parle aussi. Faire en sorte que la start-up nation française que le président Macron a voulu et qu’il a vraiment réussi à créer, s’inscrive dans un cadre européen. Et cela renvoie également aux problématiques d’harmonisation du marché européen. Il est vrai aujourd’hui, que si je crée une start-up en France et que je vais en Allemagne, il y a un droit de la consommation un peu différent, un droit fiscal un peu différent. Et donc, l’harmonisation n’est pas parachevée, elle n’est pas complète. Moi, je suis de ceux qui souhaitent encore plus d’Europe pour qu’on puisse développer et scaler des entreprises plus facilement à l’instar de ce qui se passe sur le marché américain, sans même parler du marché chinois qui a des règles un peu différentes.
Cette année est aussi une année pour le moins particulière sur le plan géopolitique : la guerre en Ukraine est toujours présente, la guerre fait aussi rage à Gaza, et le président a dû se rendre en urgence en Nouvelle-Calédonie : quel est le poids des tensions géopolitiques sur le salon ?
P.L. : On n’est pas impacté de façon centrale, mais bien sûr qu’on a une forme d’inquiétude très importante pour les Ukrainiens qui sont représentés ici, mais qui l’étaient bien plus auparavant. Mais on n’est pas impacté outre mesure : on n’est pas un salon de la géopolitique. On pense que nous avons un message à porter en général sur l’ESG, la planète, la croissance. On a besoin de réconcilier croissance et durabilité, pour protéger notre planète. C’est davantage notre problématique, que celle des armées.
En tant que PDG du groupe les Echos-le Parisien, quelle place envisagez-vous pour l’IA dans ces rédactions ?
P.L. : On y travaille. On a mené pas mal de premières réflexions sur la décomposition des fonctions dans une rédaction autour de l’IA. Déjà, il y a une chose qui est claire pour moi : c’est que l’IA nous aidera à massifier l’accès aux informations, et notamment massifier l’accès aux sources. Avec l’IA, on va pouvoir se plonger dans de grands documents, comme des rapports d’entreprise, des rapports de demandes d’autorisation de mise sur le marché, pour nous aider à traiter ces masses d’informations. Il y a un endroit où l’IA s’arrête : c’est qu’il doit toujours y avoir la main d’un homme ou d’une femme sur la production de nos articles. Nous avons été le premier groupe de presse en France, il y a un an, à nous doter d’une charte déontologique sur l’IA. Aucun article ne sortira qui n’aurait pas été revu, réécrit ou écrit entièrement par un journaliste. C’est la limite que nous avons posée.
Bernard Arnault, propriétaire de votre groupe via LVMH, est dans sa dernière ligne droite pour l’acquisition de Paris Match : le titre va-t-il intégrer votre groupe ?
P.L. : Il n’y aura pas de fusion. On est dans un groupe qui privilégie l’existence autonome des marques. Les Echos n’ont jamais fusionné avec le Parisien. Ca sera une marque à côté des grandes marques de presse de télé et de radio que nous avons. Mais il y aura des synergies entre ces entités, bien sûr.
Est-ce que cela rebat les cartes pour l’avenir du Parisien aussi ?
P.L. : Pas du tout. Il n’y a aucun projet de cession du Parisien. Le journal connaît depuis deux ans maintenant une augmentation de sa diffusion. Nous sommes en train de mener à bien tous les travaux qu’on a lancés ces dernières années : nous sommes passés de 5 000 à 110 000 abonnés numériques. Pour la vidéo, nous sommes aussi la première marque de presse sur YouTube. C’est un véritable succès.
Lire aussi : l’IA grande invitée de VivaTech en 2023
Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook
Newsletter quotidienne Forbes
Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.
Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits