Après une année virtuelle, où le clic était le seul moyen de découverte, voici Vivatech revenu au réel cette année. Du coup, on ne choisit plus forcément ses rencontres, et l’on peut croiser par inadvertance, ou par le hasard des placements de stand, des concurrents susceptibles de disrupter plus vite que prévu son propre business… L’archétype de ce phénomène se tenait dans les allées réservées à la mobilité aérienne.
Le disrupteur disrupté avant même de démarrer…
L’acteur le plus établi, la RATP, proposait son Urban Air, avec les premiers vols prévus pour les JO de Paris en 2024. Il s’agit clairement d’une disruption des infrastructures, en particulier celles du RER B (issue de la SNCF) : ses installations vieillissantes (et le lobby des taxis ?) n’ont pas permis d’envisager une mise en service du CDG Express à temps pour les JO, ce qui contraindra les visiteurs à parcourir encore les gares de banlieue dans 4 ans, quand toutes les capitales modernes ont modernisé depuis bien longtemps l’accès à leur aéroport… Proposer de voler de CDG au Stade de France replace la région Ile de France (partie prenante du projet Urban Air) dans le peloton de tête des territoires innovants.
Très moderne, certes, mais suffisamment moderne ? le stand voisin montrait le taxi volant chinois Ehang, opérationnel à Guangzhou et à Yantai. La différence avec le projet Urban Air qui utilisera les véhicules de l’allemand Volocopter ? Les Chinois opèrent des vols sans pilote, quand les Français n’imaginent pas s’en passer avant le tournant de la décennie, inscrivant ainsi 8 années de retard dans la maîtrise des vols autonomes de la France par rapport à la Chine (mais aussi avec Dubai, Singapour, le Japon, la Nouvelle Zélande, l’Australie, la Norvège, l’Espagne, etc…). Au-delà de la modernité qui en prend un coup, réserver l’une des deux places disponibles de ces taxis volants à un pilote est un non-sens en termes économiques. Le principe de précaution est ici un exact synonyme du retard à l’innovation. Peut-on croire que le monde entier prend trop de risques et que seuls les Français ont la prudence nécessaire ?
RATP, disrupteur de la voix ferrée, disrupté par le chinois sans pilote… pour compléter le panorama du domaine à Vivatech, un autre stand voisin présentait PalV, la voiture volante néerlandaise : Une voiture-hélicoptère que l’on pourra acheter dès l’année prochaine, pour 299 000€. 56 exemplaires ont déjà été pré-vendus aux Pays-Bas, et leurs heureux acquéreurs patientent …en passant leur brevet de pilote. Et oui, ce projet vieux de plus de 20 ans porte l’ADN de son époque : on achetait alors les véhicules que l’on allait ensuite conduire. La promesse est ici de raccourcir les distances entre métropoles, en volant d’aéroclub en aéroclub, disruptant les autoroutes, pour finir le trajet par la route. Deux décennies plus tard, on ne rêve plus de posséder, mais d’utiliser, on ne rêve plus d’apprendre, mais de profiter de son temps. Même si le plan de PalV est de passer à une motorisation électrique à terme, l’écologie n’y suffira pas, et la lenteur du projet le conduit probablement à arriver trop tard sur un marché dont les attentes ont changé, une autre clé de la disruption bien comprise.
En résumé, dans cette course, le plus ancien, qui utilise les infrastructures existantes, risque de se faire disrupter par le plus prudent, qui met un pilote dans les drones, lequel se fera disrupter par le plus audacieux, qui se passe de pilote…
Quand le marketing nourrit la disruption par le mythe
Pourrait-on se consoler en pensant que la voiture volante n’est pas prête de rentrer dans les mœurs, donc que nous avons le temps ? (Un peu comme Kodak, Nokia, BlockBuster, Canal+…). Le mythe est pourtant bien en train de s’installer, à la suite de Tesla et de son roadster envoyé dans l’espace ou de la couverture médiatique sans précédent de la vie à bord de l’ISS (et maintenant de Tiangong, sa cousine chinoise) ou de la conquête de Mars (au passage on notera la maîtrise chinoise de la communication par l’image).
A Vivatech, on restait ébahi devant les objets en lévitation de LEVITA, qui fait voler les objets de luxe (rêve oblige) dans toutes les vitrines, et enthousiasmé par Raphaël Domjan, fondateur et pilote de solarstratos, qui vise la stratosphère avec un avion électrique solaire, « pour faire rêver les jeunes à l’aviation dans un avenir sans pollution ».
La disruption est ainsi affaire de vitesse d’exécution, de prise de risque … et d’ADN.
Que penser alors de Renault, qui avait réservé l’un des plus grands stands de Vivatech pour Mobilize, sa nouvelle offre de mobilité ? En fait de nouveauté, Mobilize est une sorte de « revival » d’Autolib, verdi pour la circonstance (voitures et batteries recyclables). Pourtant le service de Bolloré n’a pas disparu par manque d’écologie, mais plutôt à cause d’Uber : pour le même prix, je n’ai pas besoin d’aller chercher la voiture, ni de la conduire, ni de chercher une place. Uber n’a pas disparu, au contraire les Taxis G7 se sont mis au niveau. Les mêmes causes pourraient bien entraîner les mêmes effets, voire pire : le stand Mobilize était cerné de véhicules autonomes, prêts et déjà en service (en Chine ou aux USA), qui œuvrent, comme le chinois Neolix, à accélérer l’évolution de la réglementation en Europe. L’Allemagne met les bouchées doubles, il y va de la survie de quelques-uns de ses fleurons industriels : VW, BMW et Mercedes craignent leur disruption par les véhicules autonomes. Espérons que la France ne s’égare pas une fois encore sur le chemin de l’exception culturelle qui est en train de coûter très cher aux médias français : à vouloir trop protéger, on fragilise dans un monde aux frontières définitivement perméables. La disruption est aussi affaire de réglementation…
D’autres – non Français – réfléchissent plus agressivement à un avenir différent pour leur métier d’origine. Ils sont, il est vrai, encouragés par une réglementation plus souple, elle-même dictée par des impératifs démographiques non négociables : le coréen Hyundai rachetait ainsi à la fin de l’année dernière Boston Dynamics dont le chien-robot Spot faisait le spectacle à Vivatech.
Les robots étaient en effet présents partout à Vivatech cette année, de livraison ou de surveillance, voire de cuisine comme le cook.e – invention française, mais qui robotise surtout des recettes asiatiques (« c’est plus facile » (sic !)). Ils cernaient le stand ManPower, où l’on pensait peut-être, en les contemplant et en se remémorant le slogan de Keenon Robotics au CES2020: « make human resources a luxury », à un éventuel développement disruptif en « RobotPower » (pure spéculation de l’auteur, ne vous méprenez pas !). Les robots disruptant les métiers « génériques » d’aujourd’hui, l’avenir est plutôt, comme l’affichait Microsoft sur son stand, aux « New Tech powered jobs », encore largement à inventer.
La revanche des objets festifs sur les objets minimalistes
Le changement de métier, voilà qui n’a pas rebuté TagHauer quand il s’est lancé dans la montre connectée, une montre vidée de toute l’horlogerie de précision qui fait le savoir-faire et l’image de la marque. Mais comment exister face à l’Apple Watch, et autres produits des géants HiTech ? Avec du recul, on constate que l’usage de la montre a changé : devenue pur objet de mode – ou de luxe – depuis que nos téléphones portables donnent l’heure, elle a retrouvé une fonction à nos poignets principalement avec les applications sport et santé. Le roi du chronomètre avait donc ici un terrain de jeu tout trouvé pour nous éviter un choix contraint entre Apple, Samsung, Huawei et quelques autres, et a su se diversifier – sous l’impulsion de Frédéric Arnaud – vers le développement logiciel pour proposer des applications de sport (golf, et maintenant natation) qui tirent le meilleur parti des montres de la marque dont le boîtier et les boutons ont fait leurs preuves dans la pratique sportive. La même recette qu’Apple – hardware et software conçus de concert – mais avec le paradigme opposé : les objets d’Apple sont minimalistes (le logiciel est roi), les objets de TagHauer sont festifs (le matériel est roi) : le réel pourrait-il disrupter le virtuel ?
Quand l’art rend les champignons luxueux
Autre disruption prochaine très bien menée par LVMH : le cuir n’étant plus dans l’air du temps (pour cause de bienêtre animal et de pollution des tanneries), Hermès propose un sac à base de… champignons. Mais pas n’importe lesquels : ceux que l’artiste Phil Ross cultive pour ses œuvres d’art. La disruption n’est pas ici affaire de prix (nous sommes dans le luxe), mais de sensation, d’art et d’écologie.
De la difficulté pour les opérateurs de réseaux à penser leur auto-disruption – Quand les robots allègent les infrastructures
L’écologie était bien sûr très présente à Vivatech, où nombre d’innovations touchaient aux productions d’énergie renouvelables : éoliennes sans mâts SkyPull, turbines de toit windmyroof ou batteries domestiques de Huawei (qui stockent une journée de consommation électrique d’un foyer dans 65cm x 15cm x 130cm ! exactement comme le PowerWall de Tesla), toutes innovations qui permettent de s’affranchir du réseau électrique, cette infrastructure vieillissante qui a du mal à évoluer pour répondre aux défis du monde moderne.
A côté de ces innovations disruptives, le Flexcity présenté par le centenaire Veolia paraissait bien conservateur, qui rationne l’électricité délivrée selon les besoins réels pour aider nos réseaux de distribution défaillants : les tarifs bleus d’EDF remis au goût du jour du temps réel en somme. Ce mécanisme pourra certes prolonger la durée de vie du réseau de distribution d’électricité national, mais n’alimente aucun nouveau paradigme de l’énergie du monde d’après.
A l’inverse, un Mobenergy, station de recharge qui se déplace en toute autonomie dans les parkings résout bien la problématique de l’infrastructure des parkings : combien de places équiper, et réserver aux véhicules électriques à l’instant t ? On ne touche pas à l’infrastructure classique (parquer des voitures), et on ajoute une infrastructure mobile et autonome, bien plus légère et élastique, pour les recharger.
In fine, c’est notre modèle de société et nos politiques qui l’ont fait prospérer, qui devront s’auto-disrupter pour ne pas sombrer
Autre ressource défaillante : le nombre de médecins en France. La politique de médecine gratuite a deux effets pervers : le premier est de sous valoriser les métiers de la santé, entraînant leur désaffection (il n’est que de regarder les déserts médicaux qui commencent à atteindre les grandes villes françaises). Les cabines de télémédecine de Bodyo se proposent de palier le problème, en permettant la mesure de 27 paramètres vitaux sans aide en 6 minutes. Mais le premier objectif de Bodyo est moins de diagnostiquer une maladie que de généraliser la prévention. C’est en effet la seule solution pour que notre population vieillissante ne fasse pas imploser notre système de santé. Or nous touchons là au deuxième effet pervers de notre politique : puisque se soigner est gratuit, pourquoi dépenser en prévention ? la France ne se sortira pas de cette impasse sans un vrai changement de paradigme. Le politique acceptera-t-il son auto-disruption ?
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