Ed Razek, directeur marketing de la marque Victoria’s Secret de L Brands, a démissionné après 36 ans d’activité au sein de l’entreprise. Sa démission a lieu dans un climat de polémique sur plusieurs fronts, dont la sexualisation des femmes par la marque, les commentaires de Razek sur les femmes grandes tailles et transgenres, et la relation étroite entre Leslie Wexner, fondateur et PDG de L Brands, et le bailleur de fonds discrédité et accusé de traite sexuelle Jeffrey Epstein.
Victoria’s Secret fait également face à des difficultés du côté de son chiffre d’affaires. Ses parts de marché sont passées de 32 % en 2013 à 24 % l’année dernière. L’entreprise a récemment annoncé qu’elle fermerait 53 boutiques en Amérique du Nord rien que cette année. Bien que la marque ait conservé sa position de n° 1 dans sa catégorie, les concurrents mettant l’accent sur un plus grand confort, une meilleure coupe et une image corporelle plus inclusive ont fait des percées significatives.
Il est difficile d’envisager une mise en garde plus appropriée pour l’environnement dynamique et socialement engagé dans lequel les marques évoluent aujourd’hui. Les directeurs marketing, les PDG et les conseils d’administration feraient bien de s’intéresser aux faux pas et aux opportunités manquées qui ont mis une marque imposante en grande difficulté. Tandis que certaines de ces leçons peuvent sembler basiques et évidentes, elles ont vraisemblablement échappé à la surveillance de L Brands et probablement de bien d’autres.
Savoir lire le marché. L’erreur la plus fondamentale et accablante était peut-être la surdité chronique de la direction de Victoria’s Secret. Malgré de multiples signaux que les temps changeaient, la marque a maintenu son habitude d’hyper-sexualisation des femmes. « Ils auraient vraiment pu commencer par lire entre les lignes en termes de rôle des femmes dans la société à l’époque de la campagne Real Beauty de Dove en 2004 », estime Paul Argenti, professeur de communications des entreprises à la Tuck School of Business de Dartmouth. « Ils auraient pu se dire, ‘‘Nous pouvons faire quelque chose de ce genre avec une approche plus actuelle et rester une marque de lingerie sexy attractive pour une nouvelle génération.’’ »
Il est très probable qu’il y ait quantité de rapports d’étude de marché en tout genre ornant les étagères du siège de Victoria’s Secret. Par exemple, Morning Consult suit près de 3 500 marques avec des sondages quotidiens de millions de consommateurs, offrant un trésor de données en temps quasi réel sur leurs attitudes et leurs perceptions.
La clef pour comprendre la réalité de votre marque, cependant, est de rassembler une riche mosaïque d’avis sur une longue durée afin de créer une vue haute-définition de votre univers ; trop se baser sur une seule sorte de données, ou sur une trop courte période, ne permet jamais d’obtenir une image globale. En plus des données quantitatives, les gestionnaires de marque responsables doivent également avoir une vision culturelle et anthropologique du marché afin d’absorber les pensées, les sentiments, les rituels et les croyances de leur clientèle. Si vous êtes à la recherche d’un bon livre sur cet état d’esprit, vous pouvez jeter un œil à Sensemaking: The Power of the Humanities in the Age of the Algorithm, de Christian Madsbjerg.
Savoir refléter le marché. Si la campagne de Dove était un signal trop subtil, le mouvement #MeToo aurait assurément dû faire retentir une alarme stridente aux oreilles de la direction de L Brands. Mais Victoria’s Secret est une marque de mode féminine qui a toujours été dirigée par deux hommes d’environ 70 à 80 ans, et qui ont à eux deux fait partie de l’entreprise pendant près d’un siècle. « À cet âge et avec ce type de gestion », estime Argenti, « vous devez reconnaître que vous ne pouvez tout simplement plus tenir le rythme de l’air du temps et des tendances. Très peu de gens en sont capables pendant plus de 30 ans. »
En plus de ne pas représenter le marché démographiquement et sans personnel pouvant adroitement en interpréter les signaux, Victoria’s Secret semble avoir manqué l’idée selon laquelle les clients désirent maintenant plus qu’un bon produit. « Les clients font plus attention aux entreprises qui sont derrière les produits qu’ils achètent – c’est de plus en plus le cas », indique Anthony Johndrow, cofondateur et PDG du cabinet de conseils Reputation Economy. « Donc si vous voulez vendre plus de produits aux femmes, vous devrez proposer des produits qui satisferont leurs besoins ET être une entreprise qu’elles estiment », ajoute-t-il. « Il semble que L Brands ait besoin de régler ces deux problèmes, et renouveler sa direction est un bon début. »
Savoir se concentrer sur la valeur de la marque. En janvier 2016, les actions de L Brands se vendaient à plus de 96 $ chacune. À présent, elles se situent à moins de 24 $. Cela représente une perte spectaculaire de 75 % de valeur marchande. Bien que de nombreux facteurs contribuent à cette foudroyante évaporation de valeur, il ne fait aucun doute que les dégâts faits à l’image de la marque y ont joué un rôle important. Trop peu de PDG, et encore moins de conseils d’administration, ont une vision claire et quantifiée de la valeur de leurs marques. Selon une étude dirigée par le Marketing Accountability Standards Board, la valeur d’une marque représente en moyenne près de 19 % de la valeur de l’entreprise. Pour une entreprise régie par la consommation – telle que Victoria’s Secret –, la marque peut représenter près de 50 % de la valeur de l’entreprise. « Les entreprises qui ne font pas mesurer leur valeur de marque le font à leurs risques et périls », alerte Tony Pace, PDG de MASB. « La valeur à long-terme de l’entreprise est liée à la valeur de ses marques. » (MASB a supervisé la nouvelle Évaluation des Marques ISO (20671) tout au long du processus de développement, de révision et d’approbation. Approuvée et adoptée à l’unanimité, cette évaluation exige des organisations qu’elles fassent évaluer leurs marques au moins une fois par an afin d’être en conformité.)
Avec une bonne compréhension de la valeur de la marque, la direction et le conseil d’administration de L Brands auraient probablement adopté une approche de gestion des risques bien plus rigoureuse afin de la protéger. « L’indifférence à l’égard du marché est un risque, les commentaires à propos des mannequins transgenres sont un risque, la relation du PDG avec Jeffrey Epstein est un risque », explique Argenti. « C’est la recette pour un rachat et une dissolution ». Une direction compétente de la marque placée à la tête de l’entreprise aurait été capable d’identifier ces risques et de les atténuer. Mais la triste vérité est que moins de 3 % des membres du conseil d’administration ont une expérience dans le marketing, malgré des études récentes démontrant que les entreprises ayant des spécialistes en marketing au sein de leurs conseils jouissent d’une meilleure croissance. Que ce soit avec ou sans spécialiste en marketing à leur table, les conseils d’administration se doivent de placer la gestion des risques pour la marque et la réputation en priorité dans leur agenda.
Victoria’s Secret sera-t-elle capable de rectifier sa trajectoire et de retrouver sa pertinence sur un marché qui s’est éloigné d’elle ? Cela ne sera pas facile, mais la marque détient toujours une valeur considérable – comme le montrent les données de Morning Consult – et avec une nouvelle direction, une auto-évaluation honnête et une nouvelle stratégie courageuse, il est possible qu’elle y parvienne. En conclusion, Paul Argenti remarque : « Si Playboy peut le faire, alors Victoria’s Secret le peut aussi. »
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