Les démocrates ont privilégiés l’indicateur de croissance oubliant qu’une partie des américains, notamment les ménages moins aisés, ont vu leurs pouvoir d’achat s’éroder.
Pour les démocrates, le réveil est difficile. Outre la défaite de leur candidate, c’est l’ampleur de celle-ci qui est préoccupante. Entre les deux scrutins de 2020 et 2024, Donald Trump a glané près de 4 points, soulignant le basculement d’une partie de l’électorat américain. Si Kamala Harris a reconnu publiquement la victoire de son concurrent, nul ne sait si son camp saura tirer les conséquences de cette débâcle. Une débâcle qui s’explique avant tout par un aveuglement sur les questions économiques, premier déterminant du vote des américains (39%) devant l’immigration (20%) et l’avortement (11%) selon l’agence AP.
« Son programme économique s’est inscrit dans la continuité du bilan de Joe Biden, expose Benjamin Bürbaumer, maître de conférences en économie à Sciences Po Bordeaux. Un bilan qui est plutôt bon mais qui n’a pas été perçu comme tel par les électeurs américains, notamment les plus pauvres. » Le contexte inflationniste a évidemment joué en défaveur de Kamala Harris, l’indice des prix à la consommation étant actuellement 20% plus élevé qu’avant la pandémie de Covid, malgré un net ralentissement ces derniers. La hausse des salaires, qui est venue compenser la perte de pouvoir d’achat, s’est avérée vaine pour calmer le mécontentement des Américains. Et ce, pour plusieurs raisons. « La mesure des prix reflète un panier type mais ce n’est pas celui de tous les américains », expose François Geerolf, économiste à l’OFCE. Ainsi, l’augmentation des dépenses liés à la santé, au loyer, et à l’alimentation, ce que l’on appelle les dépenses contraintes, pèsent beaucoup plus sur les ménages les moins aisés.
« Sujets de la table de cuisine »
De plus, l’indicateur du taux d’inflation omet également de prendre en compte certains éléments pourtant primordiaux. « Prenez les taux de crédits, qui ont augmenté suite au resserrement monétaire orchestré par la FED, ce n’est pas pris en compte pour mesurer l’inflation alors que cela participe à l’érosion du pouvoir d’achat des primo-accédants », poursuit l’ancien professeur à UCLA. D’autant que si les salaires sont, en moyenne, venus rattraper l’inflation , « on peut imaginer que cela masque d’importantes disparités », observe Benjamin Bürbaumer. « Il y a fort à parier qu’il eu un décrochage entre les salaires des cadres et ceux des ouvriers », pointe-t-il.
Dans ce contexte, le choc pour les classes moyennes mais surtout les foyers modestes a été plus dur à encaisser. L’administration Biden est trop longtemps restée muette vis-à-vis de la problématique du pouvoir d’achat. Si Kamala Harris a pris conscience de la nécessité de recentrer sa campagne sur ce terrain, ses prises de positions ont manqué de clarté. Paradoxalement, Donald Trump a su tirer profit de ce manque de considération envers ce qu’on appelle aux Etats-Unis les « sujets de la table de cuisine ». Lui dont le programme est basé sur des hausses de tarifs douaniers, notamment. Une mesure qui conduirait, in fine, à une perte de pouvoir d’achat des ménages les moins aisés en raison de de la hausse de prix des produits importés.
Qu’importe, « dans la perception des américains, cela va faire revenir des emplois industriels, souligne Florence Pisani, cheffe économiste chez Candriam. La classe moyenne ouvrière blanche, à l’origine démocrate, a souffert de l’ouverture à la Chine. Elle considère que la gauche américaine les a abandonnés ». « La mondialisation a conduit à une recomposition politique où les démocrates n’arrivent pas à trouver leur place, renchérit François Geerolf. C’est la gauche américaine qui a mis en place une partie des réformes favorables au libre marché. Le parti Républicain, à l’origine identifié comme libre échangiste, apparaît désormais beaucoup plus protectionniste. Pour certains, c’est désormais la droite américaine qui défend le mieux les petits gens. » Alors même que les Républicains ont voté contre les volets sociaux des plans Biden durant le précédent mandat. Et qu’une partie des mesures défendues par Donald Trump favorisent les grandes fortunes.
Croissance inégalement répartie
Malgré cette situation explosive, les démocrates et les économistes proches de l’administration ont privilégié l’indicateur de croissance (2,8% au deuxième trimestre), qui reflétaient selon eux la bonne santé globale du pays. En oubliant peut-être que l’augmentation du PIB américain, était inégalement répartie. « Les profits ont explosé sous le mandat de Joe Biden de 17%, c’est un record absolu. Pour mieux comprendre ces chiffres, la moyenne historique est de 5%, insiste Benjamin Bürbaumer. D’autant que la consommation, facteur essentiel de la croissance, s’est avérée être tirée par les ménages les plus fortunés. D’après le cabinet Oxford Economics, les 40 % des ménages aux revenus les plus bas génèrent seulement 20 % des dépenses par carte de débit, tandis que les 20 % les plus fortunés en représentent 40 %. « Cela n’a rien de nouveau car ça a toujours été le cas aux Etats-Unis », tempère Florence Pisani.
L’administration démocrate s’est également félicitée des investissements considérables réalisés dans les infrastructures et les secteurs stratégiques. « Cette volonté de réindustrialisation devrait permettre la création des emplois de demain mais elle s’inscrit dans le temps long », expose l’économiste de Candriam. La gauche américaine a semblé l’oublier, mais temps long et politique sont des oxymores.
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