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Vers une généralisation du bilan carbone pour les PME

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Photo de Matthias Heyde sur Unsplash

Luc Bretones est CEO de NextGen, chercheur en innovation managériale à l’ESSEC et organisateur du NextGen Enterprise Summit, le grand rendez-vous mondial des organisations adaptatives à impact. Il s’est intéressé au déploiement du bilan carbone au sein des PME et à ses conséquences.


Alors qu’une minorité d’entreprises s’intéresse aujourd’hui sérieusement à son impact carbone, la donne pourrait bien changer à court terme. Comme dans le secteur de la santé, qui a vu un nouveau modèle économique de la prévention aboutir à des solutions remboursées de suivi de patients sur la base de données de tension et de poids remontées par des objets connectés avant qu’il ne soit trop tard, la mesure de nos impacts environnementaux s’outille à grande vitesse.

Une économie de la prévention innervée par une donnée générée automatiquement va permettre de répondre à la « tragédie des horizons”, en référence à des risques collectifs catastrophiques et susceptibles de se manifester bien au-delà de l’horizon des décideurs économiques et politiques actuels.

 

La France, tête de file de la mesure carbone

Alexis Normand revenait à Boston, au bureau de Withings, en 2018 et constatait étonné le retard des Américains sur le sujet : “à l’époque, personne ne s’en préoccupait au contraire de la France ; pourtant Boston est le berceau de l’environnementalisme”. La technologie qui permettrait de faire remonter la donnée carbone, comme celles des objets connectés dans les tableaux de bord de Withings, n’existait pas.
Mais les entrepreneurs existent parce que des frustrations se font jour.
A l’été 2019, Alexis lance avec quelques collègues Greenly, un Withings de l’empreinte carbone, avec pour objectif de le connecter aux API de l‘Open Banking. Ils créent un référentiel d’analyse de tous les paiements de particuliers capable de les convertir en émission carbone. L’application compte rapidement cinquante mille utilisateurs et se synchronise avec la plupart des comptes bancaires. L’étape suivante est franchie dans la foulée avec l’intégration de la technologie dans l’application Hellobank de BNP Paribas et ses 3 millions de clients. Trois autres banques emboîtent le pas. Le calculateur d’empreinte carbone permet des simulations individuelles ou familiales mais la convention citoyenne pour le climat amène l’équipe à considérer le marché prometteur et quasi vierge des PME.
Dans le monde, seulement 20% des émissions mondiales font l’objet d’un suivi et d’un plan de réduction. Or il faut réduire les émissions mondiales de 50% d’ici 2030 ! Clairement, l’objectif est hors de portée si l’on ne passe pas rapidement de 20 à 80% voire 90% de suivi des émissions (individus et entreprises).

 

Un enjeu entreprise immense

Les grandes entreprises suivent pour la plupart déjà leurs émissions mais c’est loin d’être le cas pour beaucoup de leurs fournisseurs. Les consultants sur le sujet apportent de la précision, mais à quel prix ? Pour les PME, il devient nécessaire de proposer une automatisation.

L’ADEME explique comment appliquer des facteurs d’émissions à la comptabilité des entreprises et suivre les émissions de leurs achats de biens et services. Ces éléments ne représentent pour autant qu’une partie des émissions. L’autre partie nécessite un comptage physique, comme par exemple le nombre de litres de fioul ou de gaz plutôt que la somme dépensée en fioul et gaz. Le comptage des postes importants et des données physiques amène la précision nécessaire. Le zoom sur certains postes clés passe par l’intégration de données d’ERP ou d’inventaire. 

L’exemple des scale-up françaises et européennes de la tech montre que 30% de leurs émissions proviennent de leurs usages de datacenters. Les données de ces entreprises font massivement tourner leurs serveurs sur du charbon, en Irlande ! Elles peuvent donc diviser par deux la consommation carbone de leurs serveurs en les positionnant dans des pays où l’énergie est moins carbonée. Il reste donc nécessaire pour l’analyse, de rentrer dans le détail physique, ici de la consommation des processeurs. L’intégration des données de facturation de tous ces fournisseurs devient alors automatisable, ainsi qu’une analyse physique du nombre de kilowattheures consommés, de leurs pays d’origine et du mix énergétique mis en œuvre.

 

L’urgence de qualifier les fournisseurs

Mais comment calculer le bilan d’un distributeur dont les références sont multiples si chaque fournisseur ne communique pas le facteur d’émission de chacun de ses produits et services? A date, les postulats restent nécessaires. 

Lorsqu’une entreprise souhaite réduire de 30% son empreinte carbone, elle doit emmener ses fournisseurs dans ce plan d’action et évaluer leurs progrès. Elle peut alors traduire son bilan en une politique d’achat responsable puis formaliser son plan d’action et enfin impliquer les différentes parties prenantes de son activité pour préciser l’ensemble. Les PME se trouvent donc progressivement sous la pression des grands comptes et autres donneurs d’ordre qui se fixent des objectifs comme par exemple que deux tiers des émissions de leur chaîne logistique fasse l’objet d’un suivi et d’un pilotage. Les fournisseurs sont ainsi priorisés et progressivement tous sollicités.
La réalisation de leur bilan – qui deviendra probablement réglementaire pour tous – par une majorité de fournisseurs permettra leur connexion via des plateformes électroniques et l’économie d’une analyse fastidieuse des comptabilités d’entreprise. Chaque analyse identifiera son niveau d’imprécision et cherchera par itérations à le réduire.

 

Des plans d’action structurants et ambitieux

Qu’il s’agisse d‘isoler ses bâtiments, de relocaliser ses données ou de s’équiper d’équipements et d’infrastructures vertes, la transformation requiert des changements structurants. La société OCTO Technology, filiale d’Accenture, a par exemple rejoint le mouvement de la CEC, la Convention des Entreprises pour le Climat et décidé de revisiter l’ensemble de ses offres. OCTO souhaite réaliser ses missions en éco-conception “by design” – par défaut – comme elle pratique déjà l’agile by design ou le craftsmanship by design.

La formation et la montée en compétence concerneront également les équipes de business développement au-delà des premières victoires enregistrées.

Des travaux avec l’Inria orientent la R&D sur ces nouveaux domaines. Les processus achats sont révisés, la réflexion intègre les locaux, les déplacements en avion, et bien d’autres sujets encore. “Nous avons ciblé nos quatre postes les plus importants en matière d’empreinte carbone pour focaliser et trouver des solutions”, précise Dominique Buinier, Chief Operations Officer & Chief Sustainability Officer. 

 

L’expertise comptable carbone, comme son pendant financier, entre dans chaque projet de l’entreprise. Il devient nécessaire de concevoir une trajectoire de réduction pluriannuelle, engageant les fournisseurs et intégrant la formation des salariés dans le cadre du plan d’action défini. Le déclencheur de la décision pour beaucoup d’entreprises reste bien la nécessité de faire un reporting carbone.  

 

Vers une digitalisation du bilan carbone

Greenly, la startup lancée par Alexis Normand, importe notamment le fichier des écritures comptables – un standard de l’OCDE – produit par tout commissaire au compte ou expert comptable. Ces intégrations avec les logiciels comptables permettent un calcul en temps réel auquel des accès aux principaux ERP du marché viennent ajouter des informations physiques sur les stocks, les produits.

Les agrégateurs d’API de données de facturation – comme celles de la consommation électrique dont le nombre de fournisseurs reste limité ou celles des voyagistes – se multiplient.

Un autre grand enjeu pour l’obtention d’un bon bilan carbone réside dans le poste achat et revente de produits manufacturés. L’intégration à des logiciels d’inventaire et de stock tels Shopify ou Miracle – qui standardisent à grande vitesse les bases de données de produits – devrait, par exemple, permettre à Greenly d’automatiser l’analyse physique des émissions des différentes références de chaussures d’un distributeur de sneakers comme “Courir”. L’empreinte carbone, calculée sur chaque modèle et multipliée par le nombre de modèles produits ou achetés, facilitera une évaluation précise. Un calcul bien plus fin que de savoir quelle somme d’achats a été réalisée chez Le Coq Sportif et quel montant représentent les reventes.
Reste pour Cdiscount ou bol.com par exemple à disposer de l’empreinte carbone des millions de références en stock. En attendant, la modélisation est nécessaire.

On le voit, dans les secteurs industriels et de la distribution, la collecte de données physiques reste encore souvent manuelle, mais le gain de productivité amené par les solutions logicielles SaaS et les intégrations en cours va disrupter une activité aujourd’hui réservée à des experts. Les différentes catégories d’émissions (Scope 1, 2 et 3) sont encore peu connues des entrepreneurs, ce qui nécessite un effort pédagogique, mais d’ici 5 ans, ces notions seront devenues courantes. Les comptabilités financière et carbone s’apprêtent à fusionner et la seconde à entrer dans les responsabilités du CFO et plus seulement du responsable ESG – responsabilité Environnementale, Sociale et de Gouvernance. Ce mouvement nécessite l’engagement de toute la chaîne logistique, de tous les fournisseurs. L’informatisation et l’automatisation du bilan carbone est en marche. Il produira à court terme des effets systémiques sur nos impacts et plus globalement sur la planète.

 

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