Dans son programme, Emmanuel Macron, prévoit « un investissement pour construire des métavers européens et proposer des expériences en réalité virtuelle ». Par Pascal de Lima, économiste
Le concept de metavers est important pour comprendre la transformation économique et numérique. Lorsque vous faites du sport dans un club, lorsque vous allez faire vos courses, lorsque vous vous rencontrez, lorsque vous allez dans un musée, ou faire du shopping, et même lorsque vous allez au cinéma ou réalisez une expérience scientifique en antarctique, il y a un déplacement physique, une action sociale concrète. Le metavers réalise les mêmes usages, sauf que vous êtes assis dans un fauteuil avec un casque virtuel. Vous faites du sport avec un jeu, PS4 par exemple, vous faites vos courses dans un showroom à 360°, vous visitez un musée virtuel et faites du shopping à 360° en pleine virtualité. Vous pouvez désormais vous installer dans votre salle de cinéma, c’est-à-dire chez vous avec, pourquoi pas, une vision 3D.
Dans ce metavers, il y a en gros deux options :
(1) Un metavers ouvert, commun, démocratique. Vous et moi pouvons développer un univers metavers à partir de l’addition de briques technologiques : l’intelligence artificielle qui va vous aider à vous orienter, une monnaie électronique pour payer ( les cryptoactifs dont font partie les tokens, ces fameux jetons de paiement). On pourrait ajouter d’autres outils qui participent de ce monde : la visioconférence à domicile, les modèles 3D, les lunettes 3D, les réseaux sociaux pour communiquer et se rencontrer, les plateformes collaboratives et la blockchain. Quant aux imprimantes 3D absolument essentielles dans le système avec l’IA, elles permettraient de construire à peu près tout ce que vous voulez lorsque vous naviguez de chez vous.
(2) La seconde option est le metavers fermé. Il est autorisé uniquement pour certains acteurs de secteurs public ou privé (la Défense par exemple, les jeux pour enfants, etc…). Pour construire ce monde virtuel privé, un certain nombre d’acteurs existe déjà comme Epic Games, Roblox, mais ils sont américains. Par addition des briques technologiques, ils peuvent s’adapter à un système plus ouvert dans le monde de demain.
Emmanuel Macron propose un metavers européen qui puisse concurrencer les Américains et les Chinois qui ont déjà une avance sur nous.
Marc Zukenberg et Facebook ont par ailleurs annoncé plusieurs milliards d’investissement dans le metavers. L’Europe est déjà à la traine sur la question de l’intelligence artificielle, la 5G et, désormais, le metavers.
Sur le metavers à proprement parler, comme le chinois Tik-Tok semble prendre le dessus, en partie, sur l’américain Facebook, il y a l’idée qu’un metavers chinois pourrait prendre de vitesse celui des Américains. C’est bien dans ce cadre qu’Emmanuel Macron propose de soutenir le développement de certaines briques technologiques clés, comme les moteurs 3D. L’idée serait de créer des concurrents européens à l’Unreal Engine d’Epic Games et à Unity et son moteur éponyme pour prendre deux exemples.
L’idée d’Emmanuel Macron peut sembler alléchante à première vue.
Ce metavers européen permettrait, en plus de rattraper son retard, d’avoir des retombées économiques importantes. Il faciliterait les partenariats technologiques en Europe en permettant la constitution de monopoles. Tous les acteurs européens de la tech se rassembleraient autour d’un projet commun, que le système soit ouvert ou fermé d’ailleurs. Surtout, le metavers est un monde puissant pour valoriser autre chose que l’argent, notamment en adressant technologiquement les questions de l’environnement et du social, c’est à dire les critères ESG des entreprises membres du metavers. Dans la mesure où ces entreprises resteront bien réelles mais dotées d’un monde metaverisé en format 360° virtualisé, le respect de toute une série de règlementations, en particulier via l’IA, sera rendu plus aisé. Les outils collaboratifs viendront renforcer le partage de valeurs collectives. L’innovation devenant le moteur, l’économie se rapprochera de celle des studios, comme au cinéma, et voici comment en Europe, on pourra enfin miser un demi-milliard sur un metavers industriel : l’industrie 4.0 européen.
Mais attention, Emmanuel Macron semble surfer sur une vague.
Ce projet de metavers européen fait face à de nombreux écueils : passons sur le mimétisme de la société américaine loin d’être exemplaire (le développement d’un monde visionnaire dangereux et de la cybercriminalité), isoler l’Europe sur ce sujet apparaît assez peu réaliste, au même titre que les efforts de la Chine ou de la Russie pour isoler leurs citoyens du reste de l’Internet. Pourquoi ne pas parler du monde de demain au travers de projets inclusifs et sociétaux et coordonnés au niveau européen comme à l’époque d’Airbus ? Si l’on devait absolument parler du monde de demain, il aurait fallu d’abord maîtriser ce qui se passe aujourd’hui. Et aujourd’hui, l’enjeu de l’économie, c’est le pouvoir d’achat et l’emploi. Que vient faire un metavers européen dans ces domaines, sans vision et perspectives sur ce que deviendra le marché du travail avec des humains cloitrés chez eux ? Comment seront-ils rémunérés ? Via des tokens ? Des droits de propriété multidimensionnels ? Pour quels métiers ? Quels sont les métiers qui vont disparaître, ceux qui vont apparaître avec le metavers ? Qui va accaparer la rente ?
Si l’on veut un projet aussi global qu’un metavers européen, il faut forcément y inclure le marché du travail et lui donner une vision, puisque de plus, emploi et pouvoir d’achat forment les deux principaux enjeux pour les Français. Il faudra aussi démontrer que les européens seront à l’unisson. Or, rien n’est moins sûr comme on l’a bien compris désormais avec l’exemple de la Covid et de la guerre en Ukraine.
En conclusion, cette proposition apparaît opportuniste : Il faudrait illustrer comment le metavers pourrait servir un projet européen en le reliant au moteur de l’innovation, l’IA et la data, le pétrole de la connaissance, sans oublier la finalité sociale et environnementale, et surtout le pouvoir d’achat et l’emploi. Emmanuel Macron propose donc un Métavers européen mais sans véritablement l’associer à une vision du monde du travail de demain, avec ses nouveaux métiers et dans le cadre d’un projet qui engage la société dans son ensemble de manière inclusive sans le séparer une nouvelle fois des Français (pour faire plaisir à Bpi France et à la French Tech de Las Vegas). Il semble que la proposition d’Emmanuel Macron soit nettement en deçà des enjeux du monde de demain car ne s’insérant pas dans un cycle économique et technologique d’offre avec une crise du pouvoir d’achat sur fonds de revendications sociales.
Plus loin encore, ce projet ne prévient pas des risques d’un loupé conduisant la société à une impasse et ils sont nombreux car le metavers n’est pas uniquement une représentation de la réalité augmentée, elle est aussi en décalage avec la réalité : la disparition par le virtuel du marché du travail réel, la fin du travail dans le monde des avatars et du chez soi. Et que dire des risques en termes de cohésion sociale d’un tel projet : une déconnection totale de la réalité, un homme ultraconnecté mais déconnecté du réel, dans une société où l’ultramoralisation fantasmagorique de la société derrière ses écrans et le transhumanisme peuvent être de mise, où les alertes individuelles arrivent à la maison car le capitalisme s’installe dans les familles. La gestion des avatars et la société du télétravail (et surtout du téléloisir) et les intelligences artificielles qui pensent à la place de l’homme vont façonner un monde irréaliste d’alertes permanentes et de déshumanisation de la société civile. Il faudrait donc d’abord apporter des réponses précises à ces questions pour savoir si le jeu en vaut la chandelle.
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