Insaisissable est probablement le seul qualificatif que l’on pourrait spontanément associer à la politique économique proposée par la nouvelle administration Trump.
Si les observateurs se sont concentrés sur les déclarations parfois incohérentes du candidat, il faut dépasser la rhétorique de campagne pour étudier le discours et les idées des personnes-clefs de cette nouvelle Administration, sur lesquelles Trump va largement s’appuyer, comme le manager qu’il a toujours été : Steve Mnuchin, le Secretaire d’Etat au Trésor, Wilbur Ross, le Secrétaire d’Etat au Commerce, Rick Perry, le Secrétaire d’Etat à l’Energie, et Richard Lightizer, le chef de l’USTR (l’officiel qui représentera les Etats-Unis dans les négociations commerciales internationales). Tel un repoussoir, nombre d’économistes ou de journalistes ont utilisé à satiété le terme de protectionnisme.
En réalité, l’administration Trump n’est pas près de renoncer à la guerre commerciale : si le nouveau Président entend favoriser les productions locales et taxer certaines importations en provenance de Chine, il n’a pas donné d’indices d’un quelconque repli isolationniste de l’industrie américaine ; il parait plutôt, en bon homme d’affaires, défendre ses positions de marché domestiques tout en encourageant l’impérialisme économique et les exportations des grandes firmes américaines de par le monde. Il convient ici de rappeler que les Etats-Unis ont été les principaux bénéficiaires de la mondialisation, dans la mesure où les innovations et produits américains ont envahi tous les marchés développés et émergents sur le moyen/haut de gamme. En réalité, le livre de chevet de Lightizer par exemple (qui était déjà dans l’administration Reagan) ou de Peter Navarro, l’économiste anti-chinois favori de Trump, est un ouvrage de l’Ecole de Chicago de 1948, « Etude sur la théorie du commerce international », par Jacob Viner. Dans ce livre, Viner remet au gout du jour deux théories économiques perdues au fond des librairies de la pensée économique : le mercantilisme et le bullionisme.
Dans le mercantilisme, l’Etat, sans être vraiment interventionniste, se trouve investi de la mission de favoriser la richesse nationale, en protégeant ses productions locales de la concurrence extérieure, tout en favorisant agressivement les exportations et l’industrialisation. Pour ce courant de pensée dominant aux 16-17e siècles, la richesse naît de l’excèdent commercial, de l’afflux de capitaux, plus que du libre-échange multilatéral ; Viner centre son analyse sur une forme historique extrême du mercantilisme, appelée bullionisme : en vertu de cette théorie, la couronne espagnole a cherché à accumuler un maximum de métaux précieux comme source de la richesse nationale.
L’administration Trump est clairement néo-mercantiliste et ne renierait pas le caméralisme allemand ou même notre Colbert national. Elle ne craint pas par exemple un contexte inflationniste, avec une plus forte croissance, qui ferait remonter les taux d’intérêts. Un différentiel important de taux d’intérêt (et donc de rendements des actifs financiers) entre les Etats-Unis et l’Europe entrainerait en effet un exode massif de capitaux vers les Etats-Unis, en quête de meilleurs rendements. Cet excès d’épargne et de capitaux finançant l’économie locale favorisera aussi la hausse de la monnaie du pays, donc du dollar. Trump en est parfaitement conscient, et comme une monnaie forte obère les chances à l’exportation de certaines industries, il protège leur marché domestique de toute concurrence exacerbée et pousse à la relocalisation des industries.
Ainsi, au-delà des effets d’annonce en apparence contradictoires, les Trumponomics paraissent claires : une baisse massive des impôts et un démantèlement des régulations couplées à des investissements dans les infrastructures entraîneront des déficits importants sur les prochaines années (c’est même la principale limite des Trumponomics pour lesquels le moindre ralentissement économique serait fatal). La remontée concomitante des taux d’intérêts entrainera un excédent de capitaux aux Etats-Unis et aidera à résorber les déficits commerciaux (encore 465 milliards de dollars l’an dernier) malgré un dollar fort, du fait d’une croissance importante sur fonds de dérégulation (énergie, finance, construction) et de tarifs douaniers relevés.
Qu’est ce qui pourrait enrayer cette belle mécanique (sur le papier) ?
Tous les économistes savent que les prophéties auto-réalisatrices en économie se heurtent au mur du réel. L’équipe Trump évacue la question des déficits (attendus, si toutes les mesures du programme étaient mises en œuvre, en 2019, à… 9% du PIB !) au nom de la théorie du « dynamic scoring ». Cette théorie signifie que les réductions d’impôts créeront rapidement de la croissance, des revenus fiscaux, et donc ne nécessiteront pas des réductions de dépenses publiques pour maintenir un ratio dette/PIB acceptable. Par ailleurs, comme on a pu le remarquer durant la période de transition, nombre de ces effets reposent sur la diplomatie du « jawboning », ou effet « coup de menton », avec un Président très volontaire soumettant par un Tweet une grande entreprise à sa volonté jupitérienne, la forçant à maintenir une usine aux Etats-Unis, ou à réduire les coûts de son intervention pour l’Etat américain. Si sa popularité flanche rapidement, il n’est pas certain que le Président américain puisse poursuivre longtemps cette pratique. Enfin, les partenaires commerciaux des Etats-Unis ne resteront pas les bras ballants et devraient eux aussi, notamment la Chine, protéger leurs positions.
La guerre économique mondiale aura un prix pour les Etats-Unis, et il y aura des perdants, notamment le capitalisme californien numérique.
L’erreur serait de croire, notamment en Europe, que le nouveau leadership américain serait chaotique et incohérent en matière économique. Il n’en est rien. Au-delà de la truculente et anecdotique politique du « jawboning », il y a une réelle cohérence qui parcourt les discours de Navarro, Lightizer, Mnuchin, Tillerson et Trump en campagne lui-même : un néomercantilisme agressif, volontaire, inhabituel chez la première puissance mondiale, et qui ressemble furieusement à ce qui fut théorisé par la couronne espagnole au… 16e siècle !
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