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Trois battantes pour Paris 2024

Jeux olympiques
PARIS, FRANCE - JUNE 22: The Olympic rings are mounted on the Eiffel Tower to welcome the upcoming Paris 2024 Summer Olympic Games on June 22, 2024 in Paris, France. (Photo by Zhang Chaodeng/VCG via Getty Images)

Militantes, ambitieuses, talentueuses… Les femmes se sont battues pour gagner leur place dans le monde du sport. Depuis les Jeux de Paris en 1900 où les premières athlètes étaient seulement autorisées à pratiquer des activités compatibles avec leur féminité, elles se sont progressivement imposées jusqu’à une parité historique aux Jeux olympiques de 2024. Rencontre avec Mélina Robert-Michon, Clarisse Agbégnénou, et Jeanne Sadran, trois femmes, trois générations qui veulent porter haut les couleurs de la France.

Un article issu du numéro 27 – été 2024, de Forbes France

 

Jeanne Sadran, la perfectionniste

Nouveau visage du jumping international, Jeanne Sadran a décroché la 2e place de la coupe du monde. Très gros espoir de l’équitation française, la jeune femme de 22 ans pourrait déjouer les pronostics aux JO.

Combien de temps représente votre entraînement pour les JO ?

JEANNE SADRAN : En général, cinq heures par jour. Et j’essaye d’avoir une hygiène de vie parfaite. Mais dans l’équitation, il faut compter aussi la prise en charge des chevaux qui doivent être également prêts pour la compétition.

Vous n’êtes pas issue du milieu équestre. Quel a été votre parcours ?

J.S. : Comme beaucoup d’enfants, j’ai découvert l’équitation dans le club local où je suis tombée amoureuse de l’animal. Je viens d’une famille de sportifs, avec un père président de club de foot en ligue 1 (Toulouse Football Club), où l’on pratique beaucoup de sports, mais c’est l’équitation qui a raflé la mise.

Quelle approche avez-vous ?

J.S. : Le fait de ne pas avoir baigné dans le monde de l’équitation m’a peut-être apporté une forme de liberté et de détermination qui dépasse cette discipline. Je m’investis à fond comme pour les autres sports que j’ai pratiqués. J’ai toujours eu besoin de beaucoup me dépenser et j’ai développé un goût certain pour la compétition.

On dit de vous que vous avez une volonté de fer. C’est comme cela que l’on devient un athlète ?

J.S. : Il n’y a rien d’inné. Je dirais que je n’ai pas peur de beaucoup travailler pour y arriver. Je me suis toujours accrochée. Quand on est sportif, on passe forcément par des hauts et des bas, surtout avec les chevaux, parce que l’on fait ce sport à deux. Mais l’envie de gagner reste chevillée au corps.

Les JO sont votre prochain objectif de médaille.

J.S. : Les JO représentent un rêve, même s’ils arrivent presque un peu trop tôt compte tenu de ma jeunesse. En face de moi, j’ai des sportifs plus aguerris pour attaquer les JO : il me manque un peu d’expérience.

Cela représente beaucoup de pression sur vos épaules…

J.S. : La pression est plutôt un moteur. Mais j’ai la chance d’avoir un entourage qui m’accompagne et qui est très à l’écoute. Grâce à eux, la pression est plus bénéfique que contre-productive.

La compétition demande beaucoup d’entraînement mais aussi une préparation mentale…

J.S. : La préparation mentale est vraiment prise au sérieux. On peut faire des séances un peu partout, même en visioconférence avec son coach mental. Il existe plein de méthodes : à chacun(e) de trouver celle qui lui convient. La fédération propose des coachs aux cavaliers pour mieux les préparer. On apprend à mieux se connaître, c’est très bénéfique pour les sportifs. On peut aborder également le sujet de la reconversion, même si cela paraît prématuré. Mais c’est important de s’emparer de ce sujet assez tôt.

Comment définiriez-vous la place des femmes dans le sport aujourd’hui ?

J.S. : L’équitation fait partie des sports qui reflètent le mieux la parité : on est dans la compétition « à armes égales ». La force ou la puissance ne sont pas forcément des avantages. Le sport peut vraiment aider à faire évoluer les mentalités là-dessus.

D’ailleurs, les Jeux paralympiques seront célébrés pour la première fois à Paris.

J.S. : Oui, c’est très bien de célébrer les performances d’athlètes confrontés au handicap. Le sport ouvre des portes en montrant toute notre diversité humaine et peut jouer un rôle très important dans l’inclusion, la parité et même la paix dans le monde.

Nombre d’athlètes exercent un métier. Comment envisagez-vous l’avenir ?

J.S. : Je suis en 4e année d’école de commerce (EM Lyon) où je bénéficie d’un aménagement d’horaires pour m’entraîner. Je souhaiterais rejoindre ensuite l’entreprise familiale de catering aéronautique. Il faudra beaucoup de souplesse de la part de l’employeur…

Il faut également trouver des ressources financières.

J.S. : J’ai plusieurs sponsors qui accompagnent ma carrière sportive. Il y a ceux du matériel équestre et les partenaires financiers. J’ai par exemple un sponsor automobile qui me prête une voiture pour mes déplacements. Il faut pouvoir budgéter et financer ses besoins qui sont souvent coûteux dans le sport, en particulier l’équitation avec l’entretien des chevaux. En ce qui me concerne, je monte les chevaux de mes parents, mais d’autres athlètes montent des chevaux de propriétaire.

Comment apprend-on à chercher des sponsors ?

J.S. : Les écoles de commerce nous apprennent à gérer un budget, mais aussi à développer le marketing, et surtout la gestion de notre image, ce qui est essentiel. Savoir trouver et gérer des financements fait partie de la carrière d’un sportif. La gestion de l’image passe également par les réseaux sociaux. J’ai un compte Instagram personnel et il y a celui des écuries (Écurie Chev’el). On y montre les coulisses des compétitions, nos entraînements, toutes ces informations « backstage » dont raffolent les réseaux sociaux, et qui nous permettent d’avoir une communauté derrière nous. On y consacre beaucoup de temps.

Qu’est-ce que l’on peut vous souhaiter ?

J.S. : De continuer à progresser et d’aller chercher une médaille pour la France.

 

 

Mélina Robert-Michon, l’inoxydable

À 44 ans et 26 années de compétition de lancer de disque, Mélina Robert-Michon médaillée d’argent à Rio, fait partie des espoirs raisonnables de médaille aux JO de Paris. Rencontre avec une athlète qui remet en question de nombreux diktats dans le sport.

On dit que vous avez grandement contribué à sortir de l’anonymat le « lancer de disque » que l’on appelle aussi le discobole ?

MÉLINA ROBERT-MICHON : Ce n’est pas la discipline la plus connue de l’athlétisme, et même jusqu’à récemment, les sports de lancer n’intéressaient pas énormément de gens en France. Cela avait tendance à me contrarier parce que je ne voyais aucune raison à cela, si ce n’est un manque de visibilité. Les dernières médailles ont contribué à faire découvrir ce sport, ce qui est vraiment bien pour que le public commence à l’apprécier.

Quelle est la plus grande difficulté pour les athlètes qui veulent participer à des compétitions de haut niveau comme les JO ?

M.R.M. : La plus grande difficulté est de devoir s’entraîner pratiquement comme des professionnels, sans en avoir ni le statut, ni les revenus. Avec des aides de la fédération, des ministères et des clubs, les athlètes essaient de se bouger et de récupérer de l’argent là où ils peuvent. Mais ce qui reste compliqué, c’est de décrocher des sponsors quand vous n’avez pas encore fait vos preuves et que vous avez besoin de vous entraîner à 100 %. Les partenaires privés arrivent presque trop tard, quand vous êtes déjà un peu connu. Néanmoins, avec Paris 2024, il y a un certain nombre d’entreprises qui se sont engagées pour les sportifs et j’espère que cela va perdurer.

Certaines disciplines, majoritairement masculines, sont relayées dans les médias. Comment voyez-vous l’évolution de la place des femmes dans le sport?

M.R.M. : Quand j’ai démarré ma carrière, le sport féminin n’était pas du tout mis en valeur. Depuis, cela a beaucoup évolué. Par exemple, les championnats de foot féminin sont désormais retransmis à la télévision. Cela permet de montrer que les femmes sont légitimes dans ce sport et elles peuvent donner envie aux petites filles d’essayer. Pour changer les mentalités, les images sont parfois plus fortes que les mots ou que toutes les campagnes de sensibilisation. Je crois beaucoup au pouvoir du role model.

Le discobole est un sport particulièrement masculin dans l’inconscient collectif. Avez- vous l’impression de casser les codes ?

M.R.M. : On assiste à une vraie évolution pour ces sports dits masculins. Pour la jeune fille de 13 ans que j’étais, du haut de mon mètre 77 avec des épaules bien carrées, ce n’était pas évident de me fondre dans la norme des mannequins, grandes et fines en couverture des magazines. Le sport m’a donné cette chance de pouvoir m’exprimer dans mon corps. En cela, l’athlétisme est parfait parce qu’il correspond à de nombreux gabarits. Qu’il soit petit, grand, un peu enrobé ou pas, un « jeune » trouvera forcément une discipline dans laquelle il pourra s’épanouir.

Vous avez deux enfants : comment trouver l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle dans la compétition de haut niveau ?

M.R.M. : Cela reste compliqué d’avoir des enfants dans une carrière, il faut adapter sans cesse l’entraînement. J’ai eu la chance d’avoir des entraîneurs qui accompagnent. Beaucoup d’athlètes n’ont pas cette chance.

Votre carrière est également exceptionnelle par sa longévité, cela fait de vous un exemple…

M.R.M. : Vous m’auriez prédit une telle carrière lorsque j’avais 20 ans, je ne vous aurais pas crue. J’étais conditionnée pour penser qu’à 30 ans, la compétition est terminée. Mais au fur et à mesure de mon parcours, je me suis rendu compte que je pouvais continuer. Finalement, on peut également faire voler en éclats ces diktats de l’âge, où l’on est « périmé » dans le sport à 30 ans. Et c’est vrai partout : en entreprise, par exemple, on n’est pas obsolète à 50 ans !

Quel regard portez-vous sur votre parcours ?

M.R.M. : Je suis fière de moi, parce que j’ai un parcours atypique. J’ai mis beaucoup de temps avant d’avoir une médaille olympique, puisque c’est aux JO de Rio, lors de ma cinquième participation, que j’ai obtenu l’argent. C’est important de rappeler qu’il n’y a pas de parcours idéal. Il faut croire en soi et continuer. Cela peut ne pas marcher, mais on peut persévérer et au moins, on n’a pas de regrets. J’ai construit ma carrière comme cela. Cela reste du sport.

 

 

Clarisse Agbégnénou, l’ultra combative

Avec six titres de championne du monde, Clarisse Agbégnénou, 31 ans, détient le palmarès le plus impressionnant du judo féminin français. Très attendue aux JO de Paris, la judokate adjudante de gendarmerie, née grande et prématurée, très engagée dans les combats féminins, est sur le tatami comme dans la vie : une battante.

L’objectif d’une médaille d’or aux JO pèse sur vos épaules. Comment vit-on cette pression quand on est une athlète reconnue ?

CLARISSE AGBÉGNÉNOU : Bien sûr, j’ai de la pression, mais parallèlement, je reçois beaucoup de messages de parents, et même d’enfants qui me disent à quel point j’incarne un modèle de réussite pour eux. Cela fait extrêmement plaisir et, surtout, cela donne du sens à ce que je fais, puisque rien ne me rend plus heureuse que pouvoir aider des enfants à trouver leur voie, à se projeter dans la réussite par le sport. C’est très gratifiant.

Vous êtes un modèle de résilience également, quand on sait que vous êtes née prématurée.

C.A. : C’est vrai que mon histoire personnelle a démarré de manière particulière. Je suis née prématurée : j’étais dans le coma avant de revenir à la vie. Je me suis battue dès mon premier souffle et cela a forgé cette envie de continuer ce combat pour toutes les choses qui me tiennent à cœur. C’est plus fort que moi : je me bats continuellement en me fixant des objectifs.

Le mot « invincible » revient souvent dans les médias pour vous décrire. Comment travaillez- vous ?

C.A. : Au fur et à mesure de ma carrière, j’ai appris à me connaître parfaitement. Je suis très à l’écoute de moi-même pour essayer de progresser, en particulier dans les moments difficiles. Je me pose toujours la question de savoir ce qu’il m’a manqué quand je perds un combat. Par exemple, contre ma grande adversaire Tina Trstenjak. Je me suis demandé pourquoi je n’arrivais pas à la battre alors que je savais que je pouvais y arriver. Elle avait cette capacité à me faire systématiquement perdre mon sang-froid. Pour rester zen jusqu’à la fin des combats, j’ai décidé de me mettre au yoga. J’ai appris à me contrôler, à méditer. Ce n’était pas trop dans ma nature d’être calme (Rires).

Pourquoi le mental est-il aussi important dans la compétition ?

C.A. : La part du mental fait 70 % de la réussite : si on n’est pas bien, on n’arrive pas à s’entraîner correctement. Sans oublier la compétition qui est une source de stress. Pour me préparer mentalement, j’ai travaillé avec le yoga, mais chacun a ses besoins et doit trouver sa méthode. Avant d’arriver au yoga, j’avais testé la psychologie, le coaching mental, mais sans succès. Je pratique aussi « la mobilité » pour travailler mon endurance musculaire et la longévité. Avec tout ce que l’on doit faire au quotidien, c’est indispensable pour conserver un corps solide. Il faut également faire des activités sportives très différentes pour s’entraîner, en évitant de se blesser. Et bien sûr avoir une hygiène de vie impeccable.

Vous êtes très engagée sur la question de la maternité dans le sport de haut niveau. Est-ce encore un frein à la réussite ?

C.A. : Je ne dirais pas que c’est un frein, bien au contraire. On se sent forte. En revanche, cela repose beaucoup sur son entourage, tant psychologiquement que financièrement, avec des sponsors qui vous accompagnent. Qu’il s’agisse d’un mode de garde ou de permettre d’avoir son enfant près de nous lors des entraînements, il faut une aide financière qui couvre tout.

Les JO se félicitent d’avoir 50 % de femmes parmi les athlètes, mais encore faut-il la même égalité avec les sponsors ?

C.A. : Pour évoquer le cas de Clarisse Crémer qui a été abandonnée par certains de ses sponsors à cause de sa maternité, il y a parfois une incompréhension de la part de certaines marques qui ne voient pas que vous arriverez à votre meilleur niveau en étant soutenue. On change de carrière en devenant sportive et maman. J’ai aujourd’hui un corps totalement différent, mais mentalement, je ne lâcherai rien. L’égalité, c’est aussi se poser la question, pour les femmes qui font les Jeux, de savoir dans quelles conditions ? Qu’elles puissent s’exprimer davantage sur leurs besoins. C’est vrai dans le sport, mais aussi dans la société avec les entreprises. Prenez un exemple : on pourrait avoir des salles spéciales pour que les mamans puissent tirer leur lait.

Vous avez d’ailleurs demandé à Emmanuel Macron de pouvoir avoir votre petite fille avec vous au village des athlètes des JO.

C.A. : C’est vrai que depuis la naissance de ma fille il y a deux ans, j’ai repris la compétition très rapidement, mais sans me séparer d’elle puisqu’elle me suit partout. C’est en cours d’organisation. C’est une question d’équilibre pour moi. Nous devrions toutes avoir cette possibilité si on le souhaite.

Vous exercez un métier parallèlement dans la gendarmerie nationale, comment arrivez-vous à aménager votre temps ?

C.A. : En France, beaucoup de sportifs, en particulier dans les disciplines comme la lutte, la boxe ou l’escrime, doivent continuer à exercer un métier tout en essayant de trouver du temps pour s’entraîner. J’ai l’immense chance d’avoir un contrat avec la gendarmerie dans le bataillon de Joinville, une CIP [convention d’immersion professionnelle], qui me permet d’être détachée pour faire mon sport. C’est idéal. Mais en France, nous avons encore du retard par rapport à l’éducation au sport. Les horaires scolaires ne permettent pas comme dans les pays anglo-saxons de pratiquer un sport assidûment l’après-midi. On devrait mieux aménager le temps des enfants pour pratiquer un sport en profondeur. J’aurais aimé avoir cette chance. On me dit souvent que, finalement, cela ne m’a pas empêché de réussir, mais j’aurais pu y arriver autrement sans sacrifier mon enfance.

Pourquoi cela a-t-il été si dur ?

C.A. : J’étais mauvaise à l’école et on me le faisait sentir. C’est comme cela que j’ai commencé le judo. En réalité, j’avais besoin de bouger et je ne pouvais rester assise jusqu’à 18 heures : je ne me sentais pas à ma place. Je pense qu’il faut être davantage à l’écoute de chaque individu.

Vous êtes ambassadrice du sport féminin pour le Coq sportif qui est votre partenaire et équipementier. En quoi cela consiste-t-il ?

C.A. : Pour les JO, cela a consisté à travailler ensemble pour concevoir des vêtements plus inclusifs. Chez les sportifs, il y a des gabarits très différents, et il faut pouvoir habiller toute une délégation. Ce n’était pas évident, mais ils ont réussi ce pari. Sans oublier qu’une grande majorité des équipements ont été fabriqués en France dans l’usine de Romilly. C’est important de le préciser, car c’est aussi cela les JO : montrer le savoir-faire français.

Quelle petite phrase trottera dans votre tête pendant les JO ?

C.A. : « Fais toi plaisir. » Parce que c’est un moteur pour aller loin en compétition. Je suis contente de me dire que je travaille pour pouvoir gagner. Je me fais plaisir en tant que sportive, en tant que maman, en tant que passionnée.


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