Il y a trois ans, Travis Scott figurait parmi les lauréats 30 Under 30, grâce à son talent musical. Aujourd’hui, il aide les grandes entreprises à repenser leurs stratégies, révolutionnant l’interaction entre les célébrités et les entreprises.
L’après-midi suivant le jour des élections, il suivait les résultats des votes comme tout le reste de l’Amérique. En arrivant dans son studio d’enregistrement, le rappeur cherche à se vider l’esprit avant de se mettre au travail. Il saisit un ballon de basket pour aller mettre quelques paniers sur le parking et finit par sortir une bouteille de bière en verre remplie d’un liquide transparent.
Il s’agit d’un lot préliminaire de Cacti, un futur – et jusqu’à présent, top secret – hard seltzer sur lequel il travaille avec AB InBev, le plus grand brasseur au monde. Celle-ci est prétendument à la fraise, elle a un goût frais et fruité. « Nous avons d’autres saveurs, comme le citron vert par exemple », dit-il.
À 28 ans, Travis Scott est sans doute le rappeur le plus important au monde. Depuis qu’il a fait partie du classement Forbes, 30 Under 30, il y a trois ans, il a gagné plus de 100 millions de dollars grâce à ses singles, dont « Sicko Mode », un album multiplatine Astroworld et la tournée rap la plus lucrative de 2019. Ce dernier point est essentiel : Travis Scott est un MC célèbre et rauque.
Ce qui est bien plus intéressant, c’est sa façon d’éclairer le monde des affaires. Depuis des décennies, de nombreuses célébrités de la musique puisent de l’inspiration dans leur musique pour conseiller les entreprises. Travis Scott, pour réussir, a poursuivi un modèle hybride dans lequel il travaille avec et au sein de grandes marques, en les guidant et en leur donnant des conseils. « Ces partenariats nous permettent de plonger dans notre monde et de laisser libre cours à notre imagination », dit-il.
Sa liste des partenaires est impressionnante, allant de marques qui se réjouissent de leur attrait pour les jeunes (PlayStation, Epic Games) à de vieilles marques qui ont besoin d’un petit coup de pouce (General Mills, McDonald’s). Quoi qu’il en soit, il ne s’intéresse pas uniquement aux publicités télévisées à grand déploiement. Pour Epic Games, il a conçu un nouveau type de performance artistique, en jouant un concert en direct dans Fortnite qui a attiré 12 millions de spectateurs. Pour McDonald’s, il a créé un menu à son nom, si populaire que le géant de la restauration a été victime d’une pénurie d’approvisionnement. « Travis est une icône culturelle », déclare Jennifer Healan, vice-présidente du marketing américain de McDonald’s.
« En réalité, les marques ont toujours guidé les célébrités dans leur management. Et maintenant, c’est l’inverse qui se produit. Travis Scott et son équipe ont réussi à faire comprendre à ces marques qu’elles ont une esthétique, un message et une stratégie très clairs », déclare Blake Robbins, associé de Ludlow Ventures, une société de capital-risque de Detroit qui se concentre sur le chevauchement des biens de consommation, des médias et des jeux.
Travis Scott, de son vrai nom Jacques Webster II, se faisait généralement appeler « Jack » ou « Junior ». Il a grandi près de l’une des villes les plus dynamiques d’Amérique – Missouri City, au Texas – mais a passé la majeure partie de son enfance à essayer de s’échapper vers les lumières de Los Angeles. Pour y parvenir, il a décidé qu’il devait « utiliser son imagination au maximum ». Son père, un musicien amateur, lui a appris à jouer de la batterie. Son oncle Travis, un musicien, lui a servi d’inspiration pour son nom de scène. Le rappeur américain a commencé à mettre ces leçons en pratique au lycée, en jouant dans des groupes de rap avec des amis. Tandis que son père essayait de se consacrer à la musique à temps plein, sa mère travaillait en tant que vendeuse chez AT&T. L’intelligence de Travis Scott lui a permis d’aller à l’Université du Texas à San Antonio, mais son ambition, au grand dam de sa mère, l’a poussé à abandonner ses études. L.A. allait enfin devenir son foyer.
La grande découverte du chanteur s’est faite par le biais d’un e-mail adressé au manager de musique Anthony Kilhoffer. « Je peux généralement reconnaître un artiste à sa seule façon d’écrire », confie Anthony Kilhoffer. « Scott a un niveau d’intelligence très élevé. » Après avoir écouté quelques-uns de ses samples, il a organisé un concert de production pour le rappeur au G.O.O.D. Music de Kanye West. Il a alors beaucoup appris en travaillant sur l’album Yeezus de Kanye West et l’album Magna Carta Holy Grail de Jay-Z, tout en se concentrant sur une chose : sa carrière solo.
En 2015, il a sorti son premier disque, Rodeo, qui a atteint la deuxième place du classement des meilleurs albums du Billboard et a finalement été certifié disque de platine. À l’époque, Travis Scott n’avait pas le pouvoir de sortir Rodeo comme il l’avait imaginé : dans le rayon jouets, sur une clé USB, avec une figurine de lui-même. Un an plus tard, il sort un autre disque, Birds in the Trap Sing McKnight. Il est lui aussi monté au sommet du hit-parade des ventes de disques et est devenu disque de platine.
Lors de la tournée de promotion de ses albums, ses performances étaient accompagnées de pogos, une atmosphère endiablée que le rappeur aimer entretenir sur scène. Un soir, lors d’un spectacle en Arkansas, cela lui a valu l’attention des policiers, qui l’ont arrêté et accusé d’incitation à l’émeute. Il a plaidé coupable de trouble à l’ordre public. Ses frasques l’ont fait entrer dans l’univers des Kardashian, où la gloire et l’argent sont presque à portée de main.
Selon le magazine Rolling Stone, la performance du chanteur à Coachella en 2017 a attiré l’attention de Kylie Jenner, qui à l’époque a tiré profit de sa célébrité pour créer un empire cosmétique. Elle et Travis Scott avaient déjà de nombreux liens, notamment le fait que la soeur de Kylie Jenner, Kim Kardashian, avait épousé le mentor de Travis Scott, Kayne West, trois ans plus tôt. Le mois de février suivant leur première rencontre, leur fille, Stormi, est née. Et la puissance de Travis Scott a augmenté de façon exponentielle avec son passage sous le chapiteau des Kardashian.
La gloire des Kardashian lui avait donné assez d’élan pour lui permettre de mettre en œuvre sa vision créative. En 2018, cela lui a permis de vendre un grand nombre de billets de concert, des produits et un nouvel album. Astroworld est devenu le numéro un dès ses débuts, et la stratégie marketing du rappeur a fait tourner les têtes. Son succès lui a donné de la confiance, en ce qui concerne les partenariats d’entreprise, pour continuer de développer sa marque.
Kanye West était en bonne voie pour atteindre un milliard de dollars, non pas grâce à la musique mais à sa collaboration avec Adidas pour les baskets Yeezy. Travis Scott, à son tour, a commencé à travailler avec Nike. Comme son mentor, Travis Scott fait une grande partie du travail de conception lui-même.
Les chaussures de Travis Scott sont rapidement devenues des incontournables. Sur StockX, un site de revente de vêtements de luxe, ses chaussures surpassent même les Yeezys maintenant. Une paire de Nike x Travis Scott y circule régulièrement pour 400 % du prix de vente au détail, alors que les Yeezys atteignent généralement 60 % de marge. Récemment, la Bourse a annoncé la mise en vente d’une paire de Travis Scott x Air Jordan 4 Retros pour 10 000 dollars. Une autre paire en coûtait 22 500. « Son influence sur la prochaine génération de consommateurs est énorme », déclare Scott Cutler, PDG de StockX. « Il a énormément progressé dans la stratosphère en seulement quelques années. »
Selon les estimations, Travis Scott gagne environ 10 millions de dollars par an grâce à son contrat avec Nike, mais ce chiffre est en deçà de sa véritable valeur. La popularité de ses chaussures lui a permis de conclure plus d’accords et, surtout, de modifier les règles entre entreprises et célébrités.
Par exemple, son partenariat avec Epic Games. Dans l’expérience immersive en ligne, les joueurs de Fortnite personnalisent leur apparence et s’affrontent sur une île. Encouragé par son succès en tant qu’acteur, Travis Scott a fait pression pour un partenariat dans lequel il se produirait dans le monde virtuel d‘Epic Games.
Le studio américain et lui ont passé des mois à travailler sur le projet. Rien n’était fait sans l’accord de Travis Scott. À la fin, ils avaient élaboré un set de quatre chansons de neuf minutes. Dans la mise en scène : un avatar de Travis Scott numérique, 1 000 fois plus grand que les joueurs du jeu, torse nu, modelé selon ses propres spécifications rigoureuses. « C’était l’occasion de tenter l’impossible, de créer un monde qui ne nous serait pas permis autrement », déclare Travis Scott. « De s’amuser sans limite. »
Sa présence sur Fortnite est rapidement devenue une évidence. Pour Epic Games, cela a prouvé que la société était en bonne voie pour devenir plus qu’un simple fabricant de jeux vidéo. Pour Travis Scott et, en fait, pour toute l’industrie de la musique, cela a ouvert la voie à une nouvelle source de revenus. Il a prouvé qu’une performance virtuelle pouvait être aussi artistique qu’un spectacle traditionnel. De plus, il a fait ressortir les avantages d’une relation plus étroite entre la marque et la célébrité. « Le paysage change », déclare Phil Rampulla, le directeur de la marque de jeux vidéo. « Votre idée doit être géniale. Sinon, c’est juste une publicité et ça passera inaperçu. »
Avec des ventes en baisse dans le contexte de la pandémie, le géant McDonald’s est arrivé à une conclusion similaire ce printemps, réalisant qu’il lui fallait quelque chose de spécial pour susciter l’intérêt. Lorsque les dirigeants de l’entreprise ont repéré un message du rappeur sur Instagram à propos d’un voyage dans les Arches d’or, ils ont décidé de se mettre en contact avec lui. Plus important encore, il répondait aux exigences de l’entreprise en matière de partenariat avec des célébrités : un grand nombre d’adeptes culturels et un amour pour McDonald’s.
Le géant de la restauration rapide a fait appel au rappeur pour la création d’un nouveau menu. La star du hip-hop a donc proposé un menu basé sur ce qu’il avait l’habitude de commander chez McDonald’s depuis tout petit. Il a ensuite travaillé sur la publicité télévisée, dessinant l’animation à la main et écrivant une partie du script, y compris la phrase désormais populaire « Tell them Cactus Jack sent you ». Il a également négocié l’ensemble des droits et développé une gamme de produits comprenant une couverture, des boxers, des t-shirts et des sweats à capuche. Il y avait aussi un coussin en forme de McNugget. Le rappeur et son équipe de Cactus Jack ont même conçu des vêtements pour l’équipe de McDonald’s. Il admet que le géant du fast-food a mis un peu de temps à concrétiser sa vision. « Après un certain temps, ils m’ont donné leur accord », dit-il.
Ça a marché. C’est une preuve irréfutable que Travis Scott colporte quelque chose qui fait vendre. McDonald’s a lancé le repas en septembre, et ses ventes dans les mêmes restaurants aux États-Unis, un indicateur clé de la santé d’une entreprise de restauration, sont passées d’une baisse de 8,7 % au deuxième trimestre, au plus fort de la période de confinement, à un gain de 4,6 % au troisième, dû au moins en partie au repas pensé par Travis Scott. Forbes estime que les gains du rappeur s’élèvent au moins à 5 millions de dollars grâce à la partie traditionnelle de l’accord et 15 millions de dollars supplémentaires grâce à la vente de marchandises, en percevant sur l’accord les droits commerciaux qu’il a élaborés pour lui-même. « Nous sommes ravis de la demande que ce partenariat a créée », déclare Jennifer Healan.
Un mois après la sortie du menu, Travis Scott a dévoilé un nouveau partenariat, avec PlayStation, une autre affaire dont il a tiré au moins un million de dollars. Comme pour toute chose, le chanteur aime garder un air mystérieux – pour mieux alimenter la discussion sur ce qu’il vend – de sorte que les détails sur son travail avec le fabricant de consoles de jeu restent secrets. Un communiqué de presse de PlayStation annonçait seulement que Travis Scott avait rejoint la société en tant que « partenaire créatif stratégique, pour réaliser des projets novateurs qui, nous l’espérons, feront plaisir au plus grand nombre ».
« Tout va se dérouler dans les deux prochaines semaines », promet le rappeur. Une autre source affirme plus tard qu’il s’agit d’un accord pluriannuel qui pourrait impliquer une console co-brandée et peut-être même un jeu conçu par Travis Scott. Gains escomptés : 20 millions de dollars (16 560 millions d’euros) ou plus.
« Je ne pense pas que l’utopie soit une question d’argent uniquement », dit-il. « Je pense que c’est une question de bonheur simple. La société dans laquelle nous vivons en ce moment est super déprimante avec tout ce qui se passe dans le monde. »
Le rappeur a beaucoup réfléchi ces derniers temps à cette « utopie ». Pourquoi l’Amérique ne ressemble en rien à l’image qu’il a en tête. L’utopie doit porter « sur moins de haine de soi », déclare-t-il. Il ajoute : « C’est une question d’opportunité. » Pourquoi y pense-t-il ? Son prochain album est provisoirement intitulé Utopia, et il semble déterminé à développer ce sujet. L’album devrait sortir l’année prochaine, bien que la date de sortie ne soit pas encore décidée, étant donné la stratégie marketing du rappeur et l’incertitude quant au moment où les gros concerts pourraient reprendre. Pour Travis Scott, la prochaine étape vers l’opportunité signifie plus d’appropriation.
Selon certaines sources, le rappeur serait en voie de réaliser plus de 100 millions de dollars (83 millions d’euros) de bénéfices cette année grâce à des partenariats d’entreprises créatives, dont une grande partie est fournie par des produits de marque. Cela le place dans le peloton de tête des lanceurs, tant en termes de revenus que d’impact créatif. Sans propriété, cependant, il n’est pas riche, juste très bien payé.
Ce qui nous ramène à la mystérieuse boisson dans la bouteille en verre, la boisson Cacti aromatisée à la fraise. Les hard seltzer sont une catégorie populaire dans le secteur des alcools, en particulier chez les jeunes qui apprécient également Travis Scott et sa musique. Beaucoup de ses pairs du hip-hop se sont enrichis grâce à l’alcool : Jay-Z avec le cognac D’ussé. Idem pour Ditto Diddy avec de la vodka Cîroc.
« En ce moment, bien que les opportunités soient réduites, les ambitions sont à leur paroxysme », confie le rappeur, d’un air vague.
Article traduit de Forbes US – Auteur : Abram Brown
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