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Travail et organisations hybrides en 2022 : Retour sur un baromètre et ce qu’il nous apprend

Travail hybride
Télétravail et développement de carrière ne sont pas antinomiques. Voici quatre conseils pour faire évoluer over carrière tout en travaillant à distance. | Source : Getty Images

Le baromètre « Travail & organisation hybrides » 2022 de Malakoff Humanis  mérite d’être commenté. On y apprend que, pour les dirigeants interrogés, le travail hybride peut aider à renouveler les pratiques managériales. Il est intéressant de noter que les managers interrogés sont plus réservés quant aux bénéfices du travail hybride : alors que 54 % d’entre eux y étaient favorables en 2019, ils n’étaient plus que 48 % fin 2021. 43 % estiment en effet que le travail à distance a rendu plus complexe leur posture. Seuls 36 % déclarent avoir revu leurs pratiques managériales.

Les collaborateurs, comme leurs dirigeants, plébiscitent donc globalement le travail hybride. Les managers sont donc la population cible si l’on veut créer les conditions d’un travail hybride réussi. J’exprime ici mes convictions sur ces conditions, qui tiennent en trois mots : confiance, autonomie et care.

Pourquoi de tels résultats ? Parce que les managers constituent la « tranche de jambon » à qui beaucoup est demandé, sans avoir toujours, ni la culture, ni les codes, ni l’accompagnement requis pour se sentir eux-mêmes à l’aise avec un mode de management orienté vers plus de confiance et d’autonomie. La confiance, c’est précisément cet élément clé du « contrat psychologique » (concept apparu dans les années 60), en grande partie informel, conclu entre le collaborateur et son manager. Or le télétravail implique un renouvellement de ce contrat : plus que jamais, le climat de confiance devient le marqueur d’une relation managériale, comme d’une relation à l’entreprise, réussies.

Climat, cela veut dire réciprocité : je te fais confiance, moi manager, mais j’ai besoin en retour de ressentir la confiance que tu me portes et de mesurer, de façon tangible, que la confiance accordée n’est pas imméritée. Pour prendre leur part dans l’instauration de ce climat, les collaborateurs doivent donc pouvoir fournir des éléments de réassurance. Cela passe bien sûr, et d’abord, par ce qu’ils délivrent, en qualité et en temps. Cette réciprocité est surtout le gage d’une performance accrue, dans la mesure où je me sens redevable de la confiance donnée, comme du confort généré par le télétravail. Elle est aussi le vecteur d’une reconnaissance plus forte : le travail hybride est perçu en effet comme un marqueur de considération, du fait de la confiance qu’il convoque.

Citons Caroline DIARD et Virginie HACHARD (https://www.annales.org/gc/2021/resumes/juin/04-gc-resum-FR-AN-juin-2021.html), toutes deux professeures en Ecole de Management : « La culture managériale repose sur une supervision directe et une visibilité de ce que font les collaborateurs sur le lieu de travail ». Car c’est bien, in fine, ce culte du présentéisme, si trompeusement rassurant, que le travail hybride vient percuter

Pour n’avoir que trop rarement grandi dans une culture managériale fondée, à l’inverse, sur la confiance et l’autonomie, pour ne pas être globalement préparés au management par la confiance, les managers doivent plus que jamais se réinventer. Le culte de la Règle, d’une régulation réinstallant un semblant de contrôle, devient alors le paravent de la réassurance dont ils ont besoin : des journées non autorisées en télétravail (les lundis et/ou les vendredis !), par exemple, ou du néo-reporting (« merci de m’envoyer comme convenu ton PPT Bilan hebdo vendredi avant midi, je t’appelle en Teams si besoin avant le week-end ! »), etc.

Certes, nos activités et nos profils sont différents ; certes, nos collaborateurs n’ont pas tous les mêmes comportements, habilités et besoins. Mais il me semble que cette foire au néo-contrôle, si elle minimise la consommation d’antidépresseurs, ne constitue pas précisément un marqueur de confiance. Or celle-ci constitue un acte de foi, elle ne se mérite pas, elle est une donnée d’entrée : « C’est faire le pari de l’autre », dit fort justement Marc GRASSIN, professeur à l’Institut Catholique de Paris et à l’ESSEC.

En revanche, elle peut s’évaporer si les résultats ne sont pas au rendez-vous, si elle est trahie par un comportement inapproprié. Les reportings inutiles, sur-consommateurs de temps, ne servent alors qu’à légitimer le rôle des managers inquiets (après tout, il faut bien en prendre connaissance, et donner un « feedback » au collaborateur, ce qui requiert du temps !). Des manager qui, souvent, ne savent pas assumer une prise de risque vis-à-vis de leurs propres mandants. Or, s’il on admet que le télétravailleur se soumet déjà à une forme d’autocontrôle, alors c’est à la double peine du contrôle qu’on les soumet !

Si nous assistons, malgré les difficultés évoquées, à une évolution du management, davantage centré sur les résultats et moins sur les moyens, une question majeure émerge si l’on interroge la phrase qui suit : « Remets-moi ce que tu dois délivrer en temps et en heure, je ne te demanderai pas comment tu t’y es pris, ni où tu l’as réalisé ».

En effet, sommes-nous tous égaux ? Non, bien sûr. De façon sous-jacente, se dévoile en effet la question de l’efficience individuelle et collective dont on parle trop peu. Si un collaborateur boucle pour le jeudi soir un livrable majeur, et profite de son vendredi en famille, que peut-on lui reprocher ? http://www.bingo-game.org/ Mais si un autre doit s’excuser parce qu’il va devoir le remettre le lundi en ayant sacrifié, pour ce faire, une partie de son week-end, nous avons un double souci.

Il n’y aura donc pas de management en mode hybride tant qu’il n’y aura pas une double réflexion sur le temps : celui de la gestion des agendas et des temps (domicile vs bureau, en fonction des tâches et des besoins du collectif et de l’individu), et celui de la productivité comme matrice d’un mieux-être et d’une performance autant individuelle que collective.

Apprendre à faire aussi bien en consommant moins de temps, pouvoir s’investir de ce fait dans d’autres tâches utiles à l’entreprise et/ou créatrices d’un meilleur équilibre de vie pro/perso, c’est bien tout un pan un peu aveugle du travail hybride qu’il va nous falloir explorer. Du moins s’il on veut créer plus de care, plus d’attention à l’autre, dans les entreprises.

Comment ? En cultivant le questionnement qui suit : comment puis-je aider un collègue, mon manager ou mon collaborateur, à progresser dans la réalisation de telle ou telle tâche ? Comment puis-je être aidé, et donc oser demander de l’aide ? Dans un monde où il est encore si difficile de solliciter une forme d’entraide, de reconnaître que l’on ne sait pas (ou insuffisamment), la notion de care en entreprise implique, au même titre qu’une quête d’efficience, le fait d’oser (vraiment) l’entraide.

En somme, la question du travail hybride est d’abord celle du travail : une formidable opportunité pour s’interroger individuellement et collectivement sur nos pratiques, pour apprendre à gagner du temps. Pour mieux s’épauler, aussi.

Enfin, le baromètre précise que les dirigeants se disent prêts à réorganiser les espaces de travail (80%), ce qui constitue une bonne nouvelle pour les acteurs de l’immobilier d’entreprise. Mais cela exprime, surtout, l’enjeu de la transformation des espaces de travail pour qu’ils soient davantage mis au service des intentions managériales de l’organisation. Et, en amont, que ces dernières soient définies, ce qui est loin d’être toujours le cas.

De plus, créer les conditions de l’efficience individuelle et collective dont j’ai parlé implique d’adapter les environnements de travail. Ils doivent pouvoir répondre au mieux aux nouveaux marqueurs de l’hybridation : coopération, co construction, ouverture sur le monde, convivialité… L’autre grande révolution du travail hybride, après le travail lui-même, c’est l’espace.

Dans le monde dont je rêve, il existe des espaces care qui prennent la forme de « Salons d’Entraide », où chacun peut poster un sujet et recevoir des propositions d’accompagnement. Ce sont des Genius (in Progress) Bar où je sais pouvoir trouver de l’aide, de façon décomplexée, en retour de l’aide que j’apporterai moi-même à quelqu’un d’autre dans l’entreprise. Etymologiquement, le verbe confier (du latin confidere : cum, « avec » et fidere, « fier »), d’où nous vient la confiance, signifie que l’on remet quelque chose de précieux à quelqu’un, en se fiant à lui et en s’abandonnant ainsi à sa bienveillance et à sa bonne foi. C’est le pari dont il a été question plus haut.

Si l’ignorance fait précisément partie de ces choses que nous peinons à confier aux autres, quel plus bel acte de foi que celui qui consiste à oser solliciter de l’aide ? Quelle plus juste incarnation de cet enjeu qu’une sorte de Help Room où je vais pouvoir « faire mon marché » de l’entraide ? Incarner le care dans les murs, c’est aider à graver davantage de confiance dans les esprits et les pratiques. Incarner le care dans les espaces, c’est favoriser le pouvoir d’agir (ou l’autonomie), qui dépend notamment de notre capacité à mieux nous aider les uns les autres.

Refermons cet article par cette citation de Georges PEREC que j’affectionne (in Espèces d’Espaces, 1974) : « Vivre, c’est passer d’un espace à un autre, en essayant de ne pas se cogner ». Ne pas se cogner, avec le travail hybride, dans les espaces de travail qui l’accompagne, c’est garder en tête ces trois conditions de réussite : la confiance, le pouvoir d’agir et le care.

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