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Transport Aérien Africain : Le Retour Des États-Stratèges ?

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En dépit de prévisions alarmantes, le ciel africain reste plus que jamais l’objet de toutes les convoitises de la part des compagnies aériennes du continent. Presque toutes bénéficient d’un soutien appuyé de leurs autorités de tutelles. Cet appui marqué des autorités explique pourquoi, malgré des prévisions moroses en 2020, les transporteurs africains demeurent promis à un bel avenir. 

Le ciel africain est en plein paradoxe : sur le continent, le transport aérien fait du surplace, l’année qui vient de débuter s’annonçant sous de peu encourageants auspices. Comme en 2019, les transporteurs africains devraient ainsi enregistrer en 2020 une perte collective de 200 millions de dollars, selon les dernières projections de l’Association internationale du transport aérien (IATA), rendues publiques le 11 décembre dernier. Les raisons de cette atonie sont connues ; elles tiennent tant du faible taux de remplissage que des coûts d’exploitation deux fois plus élevés que la moyenne de l’industrie aérienne mondiale, sans oublier l’extrême fragmentation des marchés africains, le peu d’efficacité des dessertes et l’absence, de plus en plus criante, d’un marché unique du transport aérien sur le continent.

 

Ethiopian Airlines, le mastodonte 100% contrôlé par l’État

Or, comme je le faisais remarquer dans mon livre “L’Heure de l’Afrique : Pour un développement durable et inclusif”, si les ports s’autonomisent et bénéficient d’investissements massifs, le potentiel de croissance du continent dépend en grande partie des liaisons routières, ferroviaires et aériennes internes – des liaisons qui, à ce jour, peinent à se développer.

En dépit de ces faiblesses structurelles, l’Afrique fait pourtant toujours figure d’eldorado du transport aérien. Une attraction qui s’explique en majeure partie par la montée en puissance de compagnies aériennes africaines, elles-mêmes soutenues, la plupart du temps, par leur État de tutelle. Les pays du continent veulent, en effet, à tout prix s’imposer comme « la » patrie du futur champion du ciel africain. A l’image d’Ethiopian Airlines, le fleuron 100% public d’Addis-Abeba, qui demeure la compagnie la plus rentable d’Afrique et affiche une insolente croissance, comprise, en termes de revenus ou de nombre d’avions dans sa flotte, entre 20% et 25% par an. Profitant à plein de l’effondrement de ses concurrentes historiques (Kenya Airways, Egyptian, etc.), Ethiopian est ainsi devenue, en quelques années seulement, le leader africain absolu.

Un succès qu’il convient en partie d’attribuer à son plan stratégique 2010-2025, dont la plupart des objectifs a été atteinte dès 2016, ainsi qu’à la gestion très professionnelle de l’entreprise. Ce succès s’explique aussi par des “subventions” de la part du gouvernement éthiopien, qui ne réclame aucun dividende, ce qui permet, par ses politiques publiques, de maintenir un très bas coût du travail ; et qui autorise sa compagnie nationale à réinvestir tous ses profits, tout en empruntant sur les marchés à des taux extrêmement favorables, grâce à son statut d’entreprise intégralement publique. « Nous ne pouvons simplement pas rivaliser », concède auprès de Jeune Afrique le président d’une compagnie concurrente.

 

Royal Air Maroc, la première de la classe

Face au transporteur éthiopien, se démarque sa rivale Royal Air Maroc (RAM) qui a récemment annoncé des ouvertures de ligne à destination de la Chine ou des États-Unis. À l’inverse de sa concurrente éthiopienne, Royal Air Maroc a fait le choix d’un modèle inspiré du privé, avec une politique affirmée de cost-killing et de performance économiques. Bientôt intégrée à l’alliance OneWorld (en mars prochain) et récemment récompensée par l’AFRAA (Association des compagnies aériennes africaines), RAM chérit son identité « semi-publique » (44% de l’actionnariat vient du privé) et semblerait avoir les atouts pour damer le pion à sa rivale Ethiopian. Sur le papier, du moins : en effet, si RAM a réalisé l’année dernière un joli chiffre d’affaires de 16,3 milliards de dirhams, en hausse de 23% sur la période 2015-2018, et qu’elle a transporté quelque 7,3 millions de passagers en 2018, contre 6,7 millions l’année précédente, la compagnie porte-drapeau marocaine ne dispose pas des largesses concédées à ses concurrents.

D’où l’importance, cruciale, de la signature du « contrat-programme » entre RAM et l’État marocain, attendue en début d’année selon les dernières déclarations de Nadia Fettah Alaoui. Cet accord, supposé donner à la compagnie les moyens de ses – grandes – ambitions, se fait encore attendre. Une signature pourtant « urgente et nécessaire », selon les propres dires des autorités marocaines, et sans laquelle RAM ne pourra prétendre rivaliser avec ses concurrentes. « Aujourd’hui, les compagnies souveraines qui survivent dans un domaine concurrentiel sont celles qui bénéficient d’abord d’un fort soutien de l’Etat », tranche dans les pages d’Entreprendre un haut dirigeant marocain.

 

Air Algérie, Air Sénégal, de jeunes et ambitieux challengers

Cette analyse, loin d’être cantonnée à la seule situation marocaine, fait particulièrement sens quand on se penche sur le cas des nouveaux challengers que sont Air Algérie ou encore Air Sénégal.

La première a ainsi reçu, en début d’année dernière, pas moins de 2,5 milliards de dollars des caisses d’Alger : une subvention faramineuse, qui permet à Air Algérie de conforter ses ambitions cde hub régional en faisant, notamment, passer sa flotte de 60 à 100 appareils d’ici à 2025, ou encore en profitant d’une aérogare flambant neuve. Quant à Air Sénégal, arrivée très tardivement dans la course et ne jouant de toute évidence pas dans la même catégorie que ses concurrentes – la compagnie ne dispose en effet que de deux appareils –, elle bénéficie du soutien appuyé du président sénégalais, Macky Sall. Celui-ci a annoncé le 5 décembre 2019 l’arrivée de huit nouveaux Airbus A 220-300 Néo. Bref, si la bataille du ciel africain est bien déclarée, celle-ci ne pourra être gagnée qu’avec l’appui des États-stratèges du continent et d’une vision stratégique dont les décideurs ne pourront faire l’économie. A bon entendeur…

Tribune par Khaled Igué, fondateur et président du think tank Club 2030 Afrique, et auteur de l’ouvrage “L’Heure de l’Afrique : Pour un développement durable et inclusif” (éditions Hermann)

 

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