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Thierry Jadot (Dentsu Aegis) : « Les Entreprises Ont Entamé Leur Révolution Créative »

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Présidant aux destinées de Dentsu Aegis Network France depuis juin 2012, Thierry Jadot passe en revue, pour Forbes France, les évolutions de l’industrie de la publicité et de la communication. Un « nouveau monde » et de « nouveaux enjeux » pour des entreprises qui, si elles n’ont jamais cessé d’intéresser leurs clients, doivent néanmoins apprendre à leur parler différemment et adapter leur discours pour renouer le fil de la « conversation ». 

Pouvez-vous nous présenter, dans les grandes lignes, la structure Dentsu et ce qui constitue le cœur de son activité ? 

Dentsu est un groupe qui a vu le jour il y a plus d’un siècle et qui, dans ce laps de temps, s’est forgé une solide réputation sur sa terre d’origine, en l’occurrence le Japon, où il détient aujourd’hui, peu ou prou, 30% du marché de la communication. Mais pas seulement. Dentsu est également l’un des principaux négociants de droits sportifs dans le monde et principal partenaire des Jeux Olympiques de Tokyo en 2020. Notre société a également fait son entrée dans le négoce de commercialisation de formats audiovisuels. En France, nous avons, par exemple, commercialisé pour TF1, le jeu « Ninja Warrior » dont la deuxième saison vient de s’achever avec un certain succès d’audience à la clé. Autre format, vendu à NRJ12, le programme baptisé « Game of Clones », une télé-réalité où un(e) candidat(e) dresse son profil d’homme ou de femme idéal(e).  

Concernant le volet « droits sportifs », Dentsu a été le maître d’œuvre de la seconde partie de cérémonie de clôture de Rio en 2016 et la passation avec Tokyo, théâtre des prochaines olympiades 2020 avec l’apparition remarquée du Premier ministre japonais Shinzo Abe, en Super Mario…

Effectivement. Dentsu a été à la manœuvre pour le passage de relais entre Rio et Tokyo. Souvenez-vous à ce titre de la mise en scène lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Londres, en 2012, mise en scène par Danny Boyle où l’on voit la Reine d’Angleterre, accompagnée du plus célèbre de ses espions, James Bond (interprété par Daniel Craig) atterrir sur le stade de Stratford en parachute. Du coup, les Japonais se sont inspirés de cela et ont voulu « mettre à l’honneur » leur Premier ministre en Super Mario, le célèbre plombier étant l’égérie des JO de Tokyo. 

Peut-on imaginer une mise en scène similaire en 2020 avec Emmanuel Macron, par exemple, pour l’avènement des Jeux Olympiques de 2024 à Paris ? 

Comme il est dans la disruption, tout est possible (rires) En tout cas, le Premier ministre japonais, pourtant de nature discrète, s’est volontiers prêté au jeu. Dentsu est d’ailleurs très impliqué dans le domaine du marketing sportif puisque j’ai œuvré, pas plus tard que l’année dernière, au rachat de Keneo, agence leader de l’industrie du sport français et qui a été l’un des partenaires majeurs de la candidature de Paris 2024. Nous avons également organisé la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) au Gabon en début d’année, ou, dans un registre différent, participé au lancement du championnat du monde de lutte. Nous sommes très impliqués sur ces métiers car j’ai la conviction que dans une société aux inégalités grandissantes, le sport est un formidable levier d’inclusion. 

La révolution numérique, à l’instar de ce qui passe dans la presse, a complètement bouleversé le paradigme de « l’industrie » de la publicité…

(Il coupe) Mais en même temps, nous ne cesserons jamais de faire de la publicité. Nous allons simplement en faire avec des formats différents car il y a, en effet, une réceptivité moindre au format publicitaire traditionnel. Cela ne veut absolument pas dire que les marques cessent d’intéresser les consommateurs. Il faut simplement leur parler différemment. Nous avons énormément d’interactions, en une journée via notre smartphone, avec des marques qui ont également fait évoluer leurs discours. Le temps du spot de 30 secondes avec un jingle sur un écran 16/9 est révolu. Le consommateur est bien moins sensible à ce type de communication, ce qui ne signifie pas, et j’insiste là-dessus, que les consommateurs s’en désintéressent. Derrière la marque, il y a l’entreprise et l’un des principaux enjeux est également de parvenir à relier ces deux « acteurs », chose pas si aisée qu’elle en a l’air de prime abord. Pour résumer, nous sommes au démarrage d’une révolution sur la créativité du discours des marques qui s’appuie sur l’existence d’une multitude de formats nouveaux et de grammaires nouvelles. 

Fort de ces éléments, comment réussir à « créer une conversation » ou « capter l’attention » de nouveau ? 

Grâce à des contenus, des expériences qui font rêver, qui nous distraient, qui approfondissent ce que nous savons par ailleurs. Cela obligerait les publicitaires, mais aussi les journalistes ainsi qu’un certain nombre d’experts, à réinventer leur métier ou devrais-je même dire à encore « mieux faire » leur métier. Un métier qui a changé. 

Quelles marques – au sens large – ont vraiment émergé, à vos yeux, grâce au numérique ? 

Ce sont les marques politiques qui en ont le plus profité : Emmanuel Macron bien sûr, mais aussi dans un autre registre, Donald Trump  ou encore Marine Le Pen. J’ajouterai Jean-Luc Mélenchon avec son ‘hologramme’ et ses cinq meetings simultanés. Certes, il s’agit d’une technologie largement maîtrisée mais il a eu le courage ‘d’y aller’ et a réussi à avoir son image sur cinq scènes différentes. Une prouesse qu’il convient de saluer. Concernant maintenant les marques de grande consommation, RedBull est l’exemple le plus emblématique, la marque ne procédant quasiment plus, par exemple, à l’achat d’espaces publicitaires. RedBull a développé un écosystème de réseaux sociaux et produit une nouvelle forme de contenu. La marque a réussi ainsi à écrire de nouvelles grammaires avec son « own media » et elle fait en sorte que tout le monde partage ses contenus sur les réseaux sociaux. RedBull n’est tout simplement plus une marque qui communique de manière traditionnelle. 

Qui, pour prolonger l’exemple RedBull, a justement réussi à faire du « own media » ?

Quand une marque comme Coca-Cola se met en scène sur les terrains de football ou quand la banque Société Générale noue un partenariat avec la Fédération Française de Rugby, nous sommes au cœur d’une nouvelle forme de discours qui n’est pas empreinte de la connotation publicitaire traditionnelle. Nous pouvons également noter, dans le même ordre d’idées, l’évolution du discours des pouvoirs publics. Quand l’armée mène une campagne de recrutement, elle ne produit plus d’affiches avec la mention « venez vous engager ». Elle réalise ses propres contenus qui mettent en exergue le parcours des potentiels candidats au moment de rejoindre l’armée. Ce contenu irrigue ainsi les réseaux sociaux et attire les aspirants. Surtout, qu’à ce titre, la ‘data’ aide énormément les marques à cibler les bons profils. Toutes les marques aujourd’hui essaient de raconter des histoires avec un univers qui correspond à leurs produits. Les marques de luxe se sont notamment particulièrement bien positionnées sur ce créneau. 

Quelle place pour les agences média dans ce « nouvel univers » ?  

La force de Dentsu, qui je le rappelle n’est pas une agence média stricto sensu, mais un groupe de communication, est la diversification. En France, nous avons 1 200 clients dont 300 en agence média tandis que nous opérons avec 900 d’entre eux dans des activités « hors média ». Nos revenus numériques pèsent plus de 60% de l’activité globale. J’essaie de bâtir un groupe fondé sur la convergence entre les médias, la data et la créativité. Je pense que nous assisterons, à l’avenir, à une raréfaction des investissements en médias car un client, grâce à la data, a vocation à vouloir optimiser la façon dont il investit. Comme il va, grâce à cette manne de données, mieux connaître ses besoins, il va essuyer moins de pertes en ligne. Nous tendons vers un marketing où les marques connaissent déjà leurs clients et leur adressent ainsi le bon message au bon moment. Cette ‘data’ va nourrir la démarche stratégique et créative des agences qui imaginent du contenu et des histoires. Nous sommes tous en attente – et en demande- de liens privilégiés avec les marques pour être servis au plus près de nos besoins. 

N’assistons-nous pas, justement, à une dégradation de la créativité ? 

Auparavant, lorsque le client arrivait en magasin, il avait déjà pris sa décision, ce qui est beaucoup moins le cas aujourd’hui. Les décisions se prennent davantage en temps réel. Cela ne signifie pas pour autant que le travail de conviction, fait en amont, doit être relégué au second plan ou négligé. Dans cet environnement où les messages sont légion, les marques doivent néanmoins, à mon sens, être présentes à tous les stades de la prise de décision. La relation du « dernier mètre » s’est digitalisée. Plus nous avancerons, et plus cela sera le cas. Et nous allons bientôt – même si cela a tendance à se démocratiser- payer avec notre mobile. Ce même mobile avec lequel nous recherchons des informations sur ledit produit et celui également avec lequel nous nous confrontons à notre communauté pour savoir si nous faisons le bon choix. Le smartphone est présent tout au long du processus, à chaque étape, sans la moindre friction. Le mobile est, aujourd’hui, le premier écran de chacun. Ce qui exige de nouvelles écritures. 

Dans un tout autre registre, comment jugez-vous l’évolution de la politique de protection des données ?

Les grands pourvoyeurs de données, d’aujourd’hui et de demain, sont les plateformes numériques, principalement américaines, qui partagent notre quotidien, en l’occurrence Google et Facebook et Amazon. La véritable question est de savoir ce que ces ‘trois géants’ font de ces données qui deviennent un véritable sujet de souveraineté pour les marques. Au XXe siècle, 80% de la valeur d’une entreprise était composée d’actifs tangibles. Aujourd’hui, près de 85% de la valeur d’une société équivaut à des actifs non tangibles, au premier rang desquels la donnée. Les principales capitalisations boursières sont aujourd’hui fondées sur de l’actif immatériel. Airbnb et Uber n’ont aucun actif en dehors de la donnée. Désormais, avec la mise en place de la réglementation européenne (au printemps 2018, ndlr), vous allez autoriser ou non les pourvoyeurs de données susmentionnés à utiliser vos « ressources ». Tout ce qui touche à la donnée a une dimension culturelle. C’est ce que j’appelle la pudeur numérique. Les Américains, par exemple, sont prêts à échanger leurs données personnelles en échange de davantage de protection physique. Cette pudeur numérique est, en revanche, plus prégnante dans les sociétés européennes. 

N’est-ce pas handicapant pour la compétitivité future des entreprises européennes ? 

L’Europe, en matière de protection de données, peut devenir un modèle pour le monde. Je crois fermement à cela. Je pense même que la société américaine pourrait s’en inspirer afin d’éviter les excès. Nous ne rêvons pas, nous Européens, d’un monde bâti par Google ou Facebook quand les Américains pourraient s’y résigner assez facilement. Nous devons faire en sorte que tout le monde soit à l’aise avec ces grandes mutations. L’Europe peut incarner ce leadership de la liberté numérique. Et aller au-delà. Certes, le Vieux Continent doit protéger les citoyens contre les dérives de la numérisation du monde mais elle doit surtout aider ces derniers à garder leur libre arbitre et être autonome dans un monde numérisé. Je voudrais que la démarche des pouvoirs publics sur ses sujets soit équilibrée et non uniquement concentrée sur la réglementation. Le véritable enjeu est d’embarquer le plus grand nombre dans le train de la modernité et de faciliter l’émergence d’acteurs européens. Et nous nous devons de relever ce défi.  

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