En cette période de pénurie de gaz et de tension sur le réseau électrique sans précédent, il est demandé aux organisations de faire plus d’efforts sur leur consommation d’énergie. Thierry Chambon, CEO d’Energisme, nous rappelle dans cet entretien à quel point l’optimisation n’est pas suffisante pour lutter efficacement contre le gaspillage énergétique.
D’où venez-vous et comment en êtes-vous arrivé à prendre la tête d’Energisme ?
Je suis arrivé chez Energisme le 29 décembre 2014. Avant cela, j’étais juriste fiscaliste en charge de gros portefeuilles immobiliers mais le sujet du financement des énergies renouvelables faisait aussi partie de mes intérêts. Je trouvais ça étonnant que le financement d’un panneau solaire soit très tangible mais qu’il n’y ait par contre pas de capacité, par manque d’information, à financer des économies d’énergie potentielles.
Dans le cadre de mes anciens postes, j’avais du mal à trouver des solutions simples et pertinentes pour s’assurer que les chiffres d’économie d’énergie étaient bons. J’ai donc rencontré Energisme en ce sens fin 2014. C’était à l’époque une boîte de trois salariés qui faisait essentiellement de la télérelève mais qui avait de grandes ambitions d’investissement, notamment sur la partie technologique de son activité.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la mission d’Energisme ?
Energisme est un acteur français historique qui propose depuis plus de 20 ans une plateforme logicielle d’optimisation énergétique. La dernière solution que nous avons développée s’appelle « N’Gage » et elle permet depuis 5 ans de gérer l’efficience énergétique multi-flux. Autrement dit, une aide au suivi des consommations d’énergie afin de les réduire et atteindre, à terme, la sobriété énergétique.
Nous sommes à ce jour partenaires avec de nombreux acteurs du secteur du service à l’énergie comme des distributeurs d’énergie, des bureaux d’étude et des experts de l’exploitation-maintenance. Aujourd’hui, Energisme est de plus en plus sollicité et acquiert de nouveaux clients comme la foncière de Carrefour (Carmila) et la foncière Cristal Habitat.
Quelle est la garantie d’une bonne mesure de la consommation énergétique ?
Il faut comparer ce qui est comparable et nous nous appuyons notamment sur des protocoles d’institutions internationales comme l’IPMVP pour mieux mesurer une économie d’énergie. Il y a plusieurs données de base à avoir : évidemment celles relatives aux consommations en électricité et en gaz mais aussi ce qui concerne les facteurs d’influence externes comme les conditions météorologiques ou encore les inducteurs de consommation (nombre de personnes dans l’immeuble, horaires d’ouverture, etc…).
Tout l’enjeu est de parvenir à mieux définir le taux de rendement énergétique en bout de course. C’est d’ailleurs amusant d’entendre une entreprise ou une collectivité locale annoncer une économie d’énergie sans savoir le coût engendré pour y arriver. Il y a une règle de base en économie d’énergie : les premiers euros investis sont les plus rentables. Autrement dit, il vaut mieux investir au plus tôt quelques milliers d’euros pour obtenir un retour sur investissement sur le temps court plutôt que des millions qui s’inscrivent sur des décennies.
Généralement, il faut commencer par la rénovation des matériaux dans les bâtiments, c’est plus avantageux que de lancer des travaux de grande envergure.
Les sujets énergétiques ont pris de l’ampleur ces dernières années au regard d’une urgence climatique de plus en plus pressante et des tensions géopolitiques qui pointent nos dépendances… Cela a contribué à donner de la visibilité à Energisme, vous ne croyez pas ?
Quand nous nous sommes lancés, nous prêchions seuls dans le désert avec l’inconvénient d’avoir une énergie trop peu chère en France. À cette époque, tout le monde se fichait de faire 5 ou 10% d’économie d’énergie et nous avions affaire à des interlocuteurs dont les priorités n’incluaient pas ces enjeux. La libéralisation du marché de l’énergie a renforcé ce sentiment car le prix de la molécule d’énergie avait baissé de plus de 30%.
Selon moi, il fallait se rappeler cette citation de Winston Churchill : « Quand un problème survient, soit on le prend par le bras, soit il vous prend par la gorge ». Et il faut dire que récemment le problème nous prend plutôt par la gorge : le prix de l’énergie a presque quadruplé en dès septembre 2021.
À ce moment, tout le monde pensait encore que c’était momentané, une sorte de dictature du court-terme ambiante s’imposait malgré le fait que plusieurs analystes prévoyaient déjà cette hausse. Ce sont des lois physiques connues et évidentes : on sait que la production de gaz va commencer à décroître en 2030 et celle du pétrole en 2050. Ce n’est pas si lointain et la décarbonation de l’énergie sera de facto à marche forcée – si ce n’est pas subie.
Les pouvoirs publics ont un rôle à jouer et ils le font aujourd’hui assez bien. Il faut aussi veiller à rassurer pour éviter la panique générale. C’est essentiel car il n’y aura pas de nouveau gisement – même si Poutine redevient gentil.
Quelle place pour la sobriété dans cette optimisation énergétique souvent abordée sous l’angle de la technique ?
La technique pourra bien sûr améliorer notre production d’hydrogène vert, de biogaz par méthanisation ou encore d’électricité par le biais d’ENR mais cela ne suffira pas. Je ne crois pas à « LA » solution qui viendra tout arranger mais plutôt à une combinaison entre elles.
Et l’une des meilleures solutions pour économiser de l’énergie reste la sobriété. Aujourd’hui, quand nous accompagnons un client, nous expliquons par politesse que nous allons optimiser leur consommation. Mais en réalité, c’est bien une lutte contre le gaspillage énergétique dont il s’agit.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre plateforme N’Gage ?
Le principe de base de cette plateforme est de parvenir à une vue « macro » de la consommation énergétique. Elle est par exemple très adaptée pour les gestionnaires de parcs d’immeubles. Concrètement, nous commençons par récupérer (API) des données de compteurs primaires – comme les Linky par exemple – et nous réalisons une cartographie complète de la consommation énergétique du patrimoine.
Il faut ensuite ajouter plusieurs caractéristiques liées à ce patrimoine : les conditions ne sont pas les mêmes s’il s’agit d’une école, d’une piscine ou d’un cimetière. Ces analyses au cas par cas nous permettent de créer des clusters « type ».
Pour donner un exemple : le cas d’une école peut très bien s’appliquer à toutes celles qui dépendent de la même académie. Ainsi, en ajoutant quelques données plus précises comme le nombre de salles de classe, nous pouvons déterminer un ratio permettant de définir combien l’établissement consomme. Et dans le même temps, il est facile de prouver pourquoi une école consomme moins qu’une autre.
Une donnée toute seule ne parle pas mais la comparer à la fois avec une donnée normative, une donnée dans le temps est assez efficace.
Cela s’applique à tous les secteurs ?
Cela s’applique effectivement à tous les secteurs du moment où il existe un parc de plusieurs infrastructures similaires. Il peut s’agir de divers types de bâtiments, de parcs informatiques, de chaînes de production d’usines, etc.
C’est très facile pour nous de nous déployer. Pour preuve : N’Gage a par exemple permis à un parc d’établissements scolaires du Rhône d’atteindre 40% d’économies d’énergie, le tout en s’équipant de notre solution en seulement 48 heures.
Le risque avec l’optimisation énergétique, c’est de voir des entreprises se contenter de piloter sans réduire ou adopter une réelle stratégie de sobriété… Vous ne croyez pas ?
Oui je suis tout à fait d’accord et la lutte contre le gaspillage énergétique ne coûte pas si cher à mettre en place. Il est d’ailleurs toujours amusant d’expliquer à un client que son immeuble devrait consommer tant, tout en indiquant que leur bilan pèse le triple par rapport aux autres.
L’intelligence artificielle n’est pas une baguette magique et il n’y a pas d’économies d’énergie sans débuter par une lutte contre le gaspillage. Le potentiel des données et des algorithmes est prometteur mais nous en sommes encore loin ; d’autant plus que bien souvent une simple règle de trois suffit. Il est assez simple aujourd’hui d’installer un capteur mais le problème reste la catégorisation des données pour parvenir à réellement les mettre en valeur.
Quels objectifs et ambitions pour 2023 ?
Nous avons une position assez originale sur le marché car nous sommes un pur éditeur de logiciels : cela signifie que nous n’avons rien d’autre à vendre, ni matériel, ni consulting. Nous rendons interopérable les automates, capteurs et compteurs entre eux, ce qui nous ouvre un marché énorme.. Un marché que nous adressons avec une quarantaine de partenaires (dont Suez, Vinci, Schneider, Legrand, SPIE, …). Ceci a soutenu notre croissance en 2022 avec plus de 2000 nouveaux clients indirects. La confiance de nos partenaires clés et de nos clients va nous permettre d’accélérer notre croissance en 2023.
L’objectif est d’atteindre la rentabilité d’ici la fin du premier trimestre 2023 et augmenter le chiffre d’affaires par mois de 60% pour la société d’ici le mois de décembre de cette nouvelle année 2023. Pour ce faire, la société a renforcé son équipe commerciale et son management en recrutant un ancien de Rothschild & Co afin de piloter la croissance, trouver de nouvelles sources de financement et renforcer la communication avec nos investisseurs qui nous font confiance. Notre ambition est de devenir la référence en termes d’EDM (Energy Data Management), une sorte de CRM de l’énergie à l’image de Salesforce dans son domaine ou ERP de l’énergie à l’image de SAP dans son domaine.
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