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Tesla : Pourquoi Les Cadres Dirigeants Quittent-Ils Le Navire ?

Tesla
Alberto E. Rodriguez/Getty Images

L’avalanche de démissions de cadres de Telsa s’est poursuivie ce weekend, alors que vendredi soir, nous apprenions que le vice-président du département d’ingénierie, Doug Field, avait annoncé « faire une pause » ; le Wall Street Journal  rapportait que l’ancien directeur de l’ingénierie de performance, Matthew Schawell, était parti pour Waymo, le fabricant de voitures autonomes d’Alphabet, la semaine dernière. Le départ, même momentané, de Doug Field sonne comme un échec aux oreilles de Tesla, car il était le seul expert en automobile de l’équipe dirigeante, si l’on considère qu’une expérience d’ingénieur de six ans chez Ford, il y a de ça 25 ans, peut faire de vous un expert dans le domaine. Cela traduit parfaitement la faible expérience des dirigeants de Tesla dans le secteur de la production automobile.

Le lancement très difficile de la Model 3 est certainement la raison pour laquelle ces talents ont claqué la porte. Le mois dernier, Elon Musk décidait de retirer à Doug Field la casquette de directeur de la production pour se l’offrir à lui-même, ce qui a certainement égratigné quelques ego. Mais ce n’est pas la première fois qu’un tel scénario se produit à Fremont en Californie. Ces départs, ainsi que celui de Jim Keller, l’architecte en chef de l’Autopilot et des processeurs et qui est dorénavant chez Intel, ont fait grand bruit. Mais les plus perturbants sont encore ceux de Susan Repo et Eric Branderiz, respectivement vice-présidente des finances et directeur des services comptables.

Une lecture attentive des résultats de l’entreprise au premier trimestre 2018 montre que Tesla a pris des décisions plutôt agressives d’un point de vue comptable, mais elle montre avant tout des signes avant-coureurs d’une importante détresse financière. Ce document explique que Tesla a créé une entité ad hoc (SPE), en plus d’avoir hypothéqué sa principale usine d’assemblage. Nous supposons donc que les deux anciens responsables financiers avaient pris connaissance de ces deux décisions avant de démissionner :

  1. Tesla a créé une entité spéciale (SPE) pour accueillir les 546 millions de dollars de billets adossés à des actifs (asset backed securities ou ABS) automobiles que l’entreprise a émis en février,
  2. Tesla a ajouté son usine de Fremont aux garanties de son contrat de crédit revolving.

Les entreprises se portant bien financièrement n’ont pas besoin de prendre de décisions aussi drastiques, ce qui nous ramène à la réalité de l’état actuel de Tesla. Ces derniers mois, de nombreuses personnes ont comparé Tesla à Enron. Or, Tesla produit à perte et est largement surestimée, mais elle n’est pas le produit de malversations financières comme Enron. La mise en place d’une SPE pour les ABS automobiles fait toute la différence. Oui, il s’agit de sa première SPE, alors qu’Enron, au plus fort de la crise, comptait pas moins de 3 000 différentes SPE. Mais il n’y a pas de raisons pour que les revenus de leasings automobiles ne se retrouvent pas du même côté du bilan comptable que les actifs générés par ces autos.

Tout repose là-dessus. Dans le monde de Tesla, il y a « recours » et « sans recours », et ces mots sont utilisés de la même manière que « stratégique » et « non stratégique » peuvent être utilisés par d’autres. La dette sans recours est présentée séparément, et avant 2018, il s’agissait surtout de pertes de SolarCity, donc cela ne fait pas entièrement partie de l’histoire de Tesla. Vendre des voitures via un système de leasing, en revanche, fait partie intégrante des activités principales de Tesla. Alors même si les ABS de Tesla sont techniquement pris en compte, ils n’apportent aucun recours à l’entreprise. Ils figurent donc sur cette partie du bilan que les gestionnaires ont tendance à oublier.

De plus, Tesla fait remarquer que le jour même de la fin de la transaction des ABS, l’entreprise a remboursé 453 millions de dollars selon son accord d’entreposage. Les accords de crédit d’entreposage sont généralement utilisés par des prêteurs hypothécaires et sont monnaie courante chez les fournisseurs de panneaux solaires. Seuls 93 millions de dollars de revenus subsistent après que les ABS ont été utilisés pour rembourser les recettes des crédits d’entreposage de SolarCity, qui sont également sans recours. Une fois de plus, les fonds des activités les plus lucratives de Tesla ont été utilisés afin de renflouer les dettes accumulées par des années de déficit de SolarCity. Davantage de dettes sans recours ont été contractées durant ce processus.

De son côté, l’hypothèque de l’usine de Fremont était très bien cachée dans la déclaration de résultats. Elle est spécifiée au neuvième amendement du contrat de crédit, daté du 3 mai 2018. Seuls les vrais geeks ont le courage de lire les déclarations financières de constructeurs automobiles aussi loin.

Manifestement, Tesla souhaite emprunter davantage que son crédit le permet. À la fin du premier trimestre, Tesla ne disposait que de 543 millions de dollars sur la base d’emprunt maximale fixée à 1 829 milliards de dollars par le contrat. Cela laisse peu de marge à l’entreprise, surtout depuis qu’elle a remarqué le 3 avril dernier que : « Tesla ne nécessite pas d’augmentation de fonds propres ou de relever le plafond de sa dette cette année, tout du moins pas en dehors de son accord de crédit ».

La somme de 543 millions de dollars ne permettra jamais à Tesla de tenir jusqu’à la fin du second trimestre, et encore moins jusqu’à la fin de l’année. Il ne faut pas oublier que les dettes de l’entreprise sont quatre fois plus importantes que ses créances et que ses activités n’étaient toujours pas rentables lors du premier trimestre de l’année. L’hypothèque de l’usine de Fremont montre bien à quel point l’entreprise a besoin de liquidités.

Cela pourrait-il expliquer les défections des responsables des départements financiers et comptables de Tesla ? Nous ne le saurons pas. Tout comme nous ne saurons pas pourquoi Jim Keller est parti, ou encore, pourquoi après cinq années de bons et loyaux services, Doug Field a décidé qu’il s’agissait du bon moment pour faire une pause.

En créant un SPE et en déplaçant les dettes vers la section non stratégique du bilan comptable, Tesla a fait un choix agressif d’un point de vue financier. De plus, faire hypothéquer son plus gros atout est extrêmement risqué. Les défenseurs de Tesla et d’Elon Musk ne souhaitent pas voir la détresse financière à court terme de l’entreprise. Or, en finance, l’ignorance n’est jamais un bien.

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