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Tesla Model 3 ou Le Remake de « En Attendant Godot »

Tesla Model 3
Mark Brake/Getty Images

Il y a bientôt deux ans, des dizaines de milliers de fans de Tesla ont versé des arrhes afin de réserver ce qu’Elon Musk présentait comme la première voiture électrique de marché de masse abordable : la Tesla Model 3 à 35 000 $ (28 000 €). Les acheteurs étaient prêts à l’attendre, mais pas aussi longtemps.

Ce mois-ci, Tesla a prévenu la plupart des presque 500 000 futurs propriétaires que la livraison de la Model 3 sera repoussée de nouveau à cause des problèmes rencontrés sur les lignes de production, et plus particulièrement pour la version de base. La Model 3 « standard », celle vendue au prix d’appel, entrera en production à la fin de l’année plutôt qu’en début, a déclaré la marque de Palo Alto après avoir posté ses résultats au début du mois. Quelques chanceux pourront peut-être obtenir leur voiture tant désirée avant la fin de l’année, soit deux ans et demi après l’ouverture des précommandes. Mais la majorité des clients devraient tabler sur une livraison en 2019 ou 2020.

L’an dernier, avant de lancer la production de la Model 3, Elon Musk prévoyait de sortir 10 000 véhicules par semaine pour fin 2018. En 2017, Tesla en a construit moins de 2 700 et a réussi à en sortir 1 000 par semaine, tout en essayant d’atteindre un rythme de production de 5 000 unités hebdomadaires avant la fin de 2017, en vain. Dorénavant, l’entreprise espère atteindre ce rendement avant le mois de juillet, mais n’a pas annoncé quand elle comptait atteindre les 10 000 par semaine, pour réussir à remplir son objectif initial de 500 000 véhicules par an.

Elon Musk a créé un nouveau genre de constructeur, avec ses propres magasins et ses propres garages, son réseau de bornes de recharge, une production intégrée verticalement et la possibilité de modifier ses modèles à la dernière minute. Mais lorsqu’il s’agit de vendre des voitures à 35 000 $, la stratégie de la marque peut paraître bien conventionnelle. Tesla ne veut pas dévoiler le nombre de réservations enregistrées pour sa voiture entrée de gamme. Pour le moment, l’entreprise se concentre sur les versions premium, dotées d’une autonomie plus longue, démarrant à 49 000 $ (40 000 €) et pouvant atteindre 60 000 $ (49 000 €). Et avant de commencer la production du modèle le moins cher, elle compte lancer celle d’une version bi-moteur et d’une version quatre roues motrices, qui seront également plus onéreuses.

Les objectifs de prix de la marque ne sont pas clairs depuis le début.

En 2009, lorsque l’entreprise était sur le point de s’effondrer financièrement et avait du mal à construire sa première voiture de course, Elon Musk avait expliqué à ses 400 premiers clients que Tesla ne pourrait finalement pas livrer la voiture au prix prévu de 92 000 $ (75 000 €) (déjà plus élevé que l’objectif de 89 000 $ défini en 2006). Le prix a grimpé jusqu’à 98 000 $ (80 000 €). En 2013, tout en savourant le lancement réussi de la berline Model S, Tesla a finalement proposé un modèle d’entrée de gamme de 49 900 $ (40 500 €) (ou 57 400 $ (46 500 €) sans tenir compte du crédit d’impôt fédéral de 7 500$ (6 000 €)).  Alors que les délais de livraison s’allongent pour la Model 3 à 35 000 $, certains clients s’impatientent à en croire les témoignages du forum Tesla officiel pour les clients et les fans de la marque. 

« À cause de ce nouveau retard, je me rends compte que cela ne servait à rien de me lever tôt le 31 mars 2016. Aucun intérêt de faire plus de 70 km pour me rendre au point de réservation Tesla le plus près de chez moi. Pas non plus la peine d’avoir changé mon emploi du temps pour pouvoir me présenter à 6 h 30 du matin », selon « la bonne blague », une publication du forum qui a eu beaucoup de réponses : « Les personnes ayant commandé des modèles plus chers, avec des bi-moteurs ou d’autres options, obtiendront toujours leur véhicule avant moi qui suis sur liste d’attente ».

Tesla ne veut pas dire si certains des acheteurs ont demandé à ce que leurs arrhes leur soient remboursées. Lorsque l’entreprise a présenté ses résultats le 7 février dernier, elle a dévoilé un total hallucinant d’acomptes de 858 millions de dollars (697 millions d’euros), soit une augmentation par rapport aux 663 millions de dollars (539 millions d’euros) de l’an passé. Sans aucun doute, la majeure partie de ces fonds proviennent des précommandes de la Model 3, bien qu’ils comprennent également celles du semi-remorque et du roadster nouvelle génération. Malgré la production ralentie de la Model 3, Elon Musk a commencé à vendre son camion de classe 8 futuriste et une voiture de sport. Ces modèles demandent des arrhes respectives de 20 000 $ (16 200 €) et 50 000 $ (40 600 €). Rebecca Lindland, analyste spécialisée dans l’industrie automobile pour KBB.com, qui a elle-même précommandé une Model 3 quatre roues motrices, ne pense pas que la stratégie de Tesla de promouvoir la Model 3 à 35 000 $ soit fourbe. « En principe, il est possible de la commander », précise-t-elle.

« Si vous jetez un œil aux personnes qui ont précommandé des véhicules, vous verrez qu’il y a beaucoup de fans de la marque et d’adoptants précoces, des personnes qui veulent avoir cette nouvelle voiture avant tout le monde, donc c’est un peu différent, explique Rebecca Lindland. Mais je commence vraiment à penser que ça devient ridicule, il y a un moment où vous vous sentez pris au piège. »

Lors de la présentation de la voiture en mars 2016, Elon Musk expliquait que le lancement de la Model 3 était le point d’orgue d’une idée qu’il avait commencé à élaborer en 2006. « À partir de la S et de la X, nous sommes finalement arrivés à l’étape finale de notre plan, la voiture de marché de masse abordable, avait-il dit à son public. En termes de prix, elle sera commercialisée à 35 000 $. Même si vous ne prenez pas d’options, se sera une voiture incroyable. Vous ne trouverez pas de voiture ce meilleure qualité pour ce prix, même sans options. C’est une très bonne voiture, même sans options. » Cette version disposera d’une autonomie estimée à 350 km, contre 500 km pour la version longue portée, actuellement en cours de production. Et pour 35 000 $, la Model 3 a des sièges en tissu, et n’est pas dotée de fonctionnalités avancées comme la conduite automatique. Si vous souhaitez ajouter ces options, le prix total du véhicule peut largement dépasser les 40 000 $ (32 500 €).

Cependant, les acheteurs peuvent retirer 7 500 $ (6 000 €) de crédit d’impôts, et en Californie, les plus gros marché de Tesla, l’État offre un rabais supplémentaire de 2 500 $ (2 000 €). Le problème est que Tesla risque d’atteindre le seuil maximal de 200 000 unités pouvant bénéficier du crédit d’impôt avant la fin de l’année et donc avant que de nombreux acheteurs de Model 3 puissent obtenir leur voiture, ils ne pourront donc pas bénéficier de ces rabais. 
Un sondage mené par le site d’information automobile Autolist auprès des acheteurs a permis de révéler qu’une large majorité d’entre eux ne supporteraient pas que Tesla repousse la livraison de ses véhicules de six mois supplémentaires. « Plus précisément, 72 % des acheteurs disent que s’il versent des arrhes aujourd’hui pour une Model 3 (modèle dont la construction peut durer actuellement de 12 à 18 mois), ils annuleront leur précommande si la voiture n’est pas livrée dans les six mois suivant la date de livraison prévue », détaille Autolist. Certains ont apparemment déjà jeté l’éponge, surtout ceux qui espéraient bénéficier des crédits d’impôt. Reuters rapporte que les acheteurs découragés par les retards de Tesla se rabattent sur la voiture électrique Bolt de Chevrolet, commercialisée à partir de 37 495 $ pour une autonomie de 380 km. Nissan vient également de sortir la seconde génération de sa Leaf d’une autonomie de 240 km à partir de 29 000 $ (23 500 €). Bien qu’elles ne bénéficient pas de l’aura de Tesla, elles ont toutes les deux l’avantage d’être abordables et disponibles. 

Même lorsque Tesla en aura fini avec ce qu’Elon Musk appelle « l’enfer de la production », l’entreprise devra trouver le moyen de faire des bénéfices avec son modèle à 35 000 $ sachant qu’elle n’arrive déjà pas à en faire avec ses versions débutant à 50 000 $. « Nous sommes toujours inquiets pour la rentabilité et les marges de la Model 3 », explique Toni Sacconaghi, analyste financier pour AB Bernstein, dans un rapport le mois dernier. « Après avoir déclaré que la marge brute de la Model 3 permettra d’équilibrer les comptes au quatrième trimestre, l’entreprise s’attend à être dans le rouge au premier trimestre 2018, malgré la prévision de volumes plus importants. »

Brian Johnson, analyste financier pour Barclays, pense que l’objectif de marge de 25 % pour la Model 3 est irréalisable pour le moment. « Nous prédisons une marge brute de 7 % pour la Model 3 pour 2018, avec une marge de 11 % pour le dernier trimestre », a-t-il précisé dans une note de recherche. Tesla devra donc faire un choix difficile dans les mois à venir. Si l’entreprise construit en priorité des voitures à 35 000 $ pour enfin livrer ses clients, les prix et les marges plus faibles repousseront les espoirs de rentabilité. Mais si elle décide de continuer à produire les modèles les plus chers et plus rentables, elle va finir par se mettre à dos ses fans disposant d’un budget plus réduit. 

Ils patientent depuis deux ans mais pourront-ils attendre davantage, sachant que les marques concurrentes commencent à inonder le marché de véhicules électriques similaires ?

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