Le 12 mars, j’étais invité, aux côtés d’autres universitaires et de professionnels issus de grandes entreprises (Enedis, PWC, Groupe STEF et BNP Paribas), à débattre de l’actualité de cette notion vieille de dix-sept ans. Cette rencontre était organisée par la FNEGE (Fondation Nationale pour l’Enseignement en Gestion des Entreprises). J’ai pu partager, mais aussi entendre, ce qui suit. Petit résumé, donc, de mes convictions et de convictions partagées sur la symétrie des attentions en 2024. Cet article a été précédé d’une première partie publiée le 13 avril dernier.
Vers une symétrie des attentions « augmentée »
J’entends par là un élargissement de la logique du care à l’ensemble de l’écosystème de l’entreprise : clients et collaborateurs (et managers !), bien sûr, mais aussi partenaires, fournisseurs, etc. Les femmes de ménage de l’entreprise, et cela se pratique chez StartWay, l’un des grands acteurs du coworking en France, méritent notre attention : prendre soin de nos équipes, en ne nous souciant pas des conditions de travail de celles et ceux qui assurent la vivabilité de nos environnements de travail, n’a guère de sens.
Dans un tout autre registre, le pionnier du bio, SATORIZ, en apporte une preuve éclairante, dans la gestion vertueuse et gagnante-gagnante de ses relations avec ses fournisseurs. L’entreprise familiale a fêté ses 40 ans et compte une quarantaine de points de vente en France. Elle favorise une relation de long terme, et elle n’hésite pas à soutenir un fournisseur qui traverse une période difficile. Parce que nous sommes, encore une fois, interdépendants.
Front-office, back-office : bonnet blanc et blanc bonnet
La symétrie des attentions concerne 100% des personnels qui composent une entreprise, dirigeants et services de back-office compris. Même la « dame de l’accueil » (pardon pour cet exemple odieusement genré, mais il correspond à une réalité, et, de surcroît, à une réalité qui elle-même n’est pas source de « care ») doit sentir qu’elle est importante, qu’elle jouit de la considération de chacun. Elle est le premier contact avec l’extérieur, celle qui, à son tour, va donner le ton d’une manière d’être et de considérer l’Autre – un candidat stressé qui se présente.
Rappelons que les fonctions support furent parfois même les premières à s’engager dans ce type de démarches, comme ce fut le cas chez BNP Paribas Cardif dans les années 2010 à l’initiative de Stanislas Chevalet. Si celles et ceux qui servent les clients au quotidien ne se sentent pas épaulés par les fonctions support, il sera difficile d’exiger toujours plus de leur part. Et si les back-offices ne se sentent pas suffisamment reconnus par leurs collègues du front-office, les engager eux aussi sera plus compliqué.
Cela passe notamment par des « vis ma vie », qui permettent de mieux mesurer les réalités de l’Autre, et par des temps de « connexion » avec les clients – comme le monde HLM le déploie depuis une dizaine d’années au travers de « Grandes Conversations » (événements durant lesquels des binômes de professionnels vont, sur une journée ou une demi-journée, à la rencontre des locataires). Il est indispensable d’incarner les choses, de rencontrer de « vrais » clients, et des tableurs excel n’y suffisent pas.
L’ère du salarié quasi-client
Septième point, la symétrie des attentions s’inscrit dans un vaste mouvement de clientélisation des salariés : en transposant des concepts et des métriques issus du monde de l’expérience CLIENT (NPS versus eNPS) vers la sphère RH, on transforme les collaborateurs en quasi-clients… On parle de MARQUE employeur, de MARKETING RH, d’expérience collaborateur, d’attraction et de rétention des talents…
Tout cela finit par créer une culture de la consommation du travail, comme l’a évoqué avec justesse Fanny Pujol, professeure des Universités : comme un consommateur, je jauge, je benchmarke, je mets en concurrence, je considère mon employeur comme une possibilité parmi d’autres sur le marché du travail.
C’est une réalité créée par les entreprises, même si elles s’y soumettent avec réticence. Qui plus est, à l’ère du « tout égo », le puissant marketing RH qui s’est mis en branle depuis quelques années vient renforcer une tendance longue au narcissisme qui n’est pas étrangère à la littérature abondante sur le thème des « générations connectées »… Miroir, miroir RH, dis-moi que je suis le plus beau, le plus important pour toi !
2025, l’âge de la majorité ?
Enfin, il m’a semblé important de rappeler que si la symétrie des attentions avait encore des choses intéressantes à nous dire, dix-sept ans après sa naissance sous ma plume et celle de Charles Ditandy (Du management au marketing des Services, éditions Dunod), elle ne peut à celle seule prétendre à résoudre tous les maux de l’entreprise ! Elle a sa part, dans les démarches de transformation managériale (chez Groupe STEF ou chez Michelin, cela s’appelle le « People Care »), comme dans les stratégies de culture client / expérience client.
Mais elle demeure, avant tout, une formidable opportunité pour challenger une culture managériale, pour se reposer des questions essentielles sur qui nous sommes, comment nous voulons travailler ensemble, comment nous voulons traiter les acteurs de notre écosystème, etc.
En 2025, donc, j’espère que nous pourrons fêter une majorité bienvenue, avec les nuances que j’ai tenté de synthétiser ici. Joyeux anniversaire, donc, chère symétrie des attentions.
À lire également : La symétrie des attentions : 17 ans après, où en sommes-nous ?
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