De son enfance défavorisée à Jinjiang, l’un des villages les plus pauvres de Chine, à l’élite de la finance mondiale et aux lambris de la République, Mingpo Cai a connu une ascension irrésistible. A la tête de Cathay Capital, puissant fonds d’investissement sino-français qu’il a fondé, le Chinois est incontournable dans l’écosystème business des deux pays. Rencontre.
C’est avec le même enthousiasme qu’il profite de balades champêtres en famille à Orléans – sa ville de cœur – qu’il sabre le champagne lors de dîners d’Etat à l’Elysée ou qu’il coopte un ancien collègue dans le microcosme des affaires. Où qu’il soit, Mingpo Cai est comme un poisson dans l’eau ! Mais, surtout, en très bonne compagnie. Dans son cercle privilégié, se côtoient l’ex-directeur du Trésor Bruno Bézard, la famille Pinault, l’influent patron de Bpifrance Nicolas Dufourcq, et tout ce que la Chine compte de poids lourds politico-économiques. Mingpo Cai s’est imposé très intelligemment au sein d’un monde auquel il était loin d’appartenir.
Ce self-made man, fondateur de Cathay Capital, un fonds qui gère aujourd’hui plus de 3,6 milliards d’euros de tickets dans une centaine d’entreprises, majoritairement en France et en Chine, mais aussi aux Etats-Unis, en Israël ou à Singapour, a trouvé la recette gagnante. En répondant à « un besoin non satisfait », l’entrepreneur a capitalisé avec succès sur ce qu’il considérait comme un maillon faible de la finance : l’accompagnement des petites et moyennes entreprises dans leur développement international, notamment à l’assaut de l’Empire du milieu.
Quand ses concurrents misaient principalement sur des groupes déjà établis, des valeurs sûres dans leurs marchés domestiques, lui regardait en périphérie. Là, où il fallait oser défricher, oser écouter son flair. Un calcul impossible pour beaucoup. Au royaume des ROIstes et des actionnaires pressés : c’est maintenant ! Pas de place pour des bénéfices à moyen-terme. « Dès la création de ma société en 2009, j’ai toujours été convaincu que les meilleures entreprises de demain ne seront pas nécessairement les plus grandes, mais celles qui favoriseront la croissance positive et la transformation des économies et de la technologie, vers un monde plus ouvert et plus solidaire. Selon cette approche, nous nous sommes aussi intéressés au start-up dès 2015. Plus qu’un simple ‘fonds’, nous sommes une plateforme globale capable d’accompagner les entrepreneurs partout dans le monde par le levier du capital-investissement. », expose-t-il.
Mingpo Cai : « Mon parcours montre qu’il est possible d’entreprendre en France même quand on n’y est pas né. »
A l’entendre, la finance n’est pas une fin en soi, juste un outil pour faciliter et accélérer le développement opérationnel d’une entité. Dans son business-model, il se pose comme « le lien de confiance » au sein d’un écosystème qui couvre quatre continents. Objectif : connecter les talents de différentes industries, secteurs et pays pour les aider à émerger jusqu’à changer d’échelle. Un partenariat win-win se devant d’être aussi bien profitable à la PME implantée dans le Cantal qu’à l’artisan chinois désireux de pénétrer le marché français ou allemand.
Sa méthode, il l’éprouve d’abord avec un fleuron français, l’électroménager SEB, qui, malgré sa force de frappe, ne parvenait pas se consolider en Chine. Début 2000, le PDG de la marque, Thierry de la Tour d’Artaise, lorgne un concurrent, l’entreprise Supor, sans toutefois faire tomber le groupe dans son escarcelle. Mingpo Cai, ex-collaborateur de SEB, parviendra à débloquer le dossier en rapprochant les points de vue, tout en levant au passage les freins culturels. Un coup de maître qui lui vaudra carte de visite. Le patron français sera l’un des premiers à lui ouvrir son carnet d’adresses quand le Chinois cherchera à lancer Cathay.
Une enfance, comme un combat
Parti de rien, cet enfant de l’immigration a toujours vu la France comme la Terre promise. A l’aube de sa vie, l’homme originaire d’un petit village chinois de la province de Fujian (sud-est) a connu la précarité, la promiscuité au côté de ses sept frères et sœurs. La fratrie a grandi à la dure dans une maison sans électricité, mais avec la solidarité chevillée au corps. Le destin lui permet d’échapper à sa condition à la faveur d’études à Pékin. L’homme, très doué, se fait vite repérer par un professeur qui l’initie à un autre monde : les MBA, l’élite académique de la planète, les salaires à six chiffres. Pour commencer.
A 20 ans, il débarque à Orléans, s’inscrit en fac de sciences éco, sans même parler un mot de français ! Il apprend à déchiffrer la langue de Molière en enregistrant les cours magistraux sur son dictaphone. Le soir venu, il passe en revue ses enseignements pendant qu’il fait la plonge pour remplir le frigo. Et puis, il se distingue à nouveau : des enseignants l’invitent à postuler à l’EM Lyon pour rejoindre l’un des MBA de la prestigieuse école. Un établissement qui a vu passer Patrick Collard, l’ancien DG du journal Le Monde, Jean-Pascal Tricoire, président du directoire de Schneider Electric ou encore l’acteur Brice Fournier du feuilleton à succès Kaamelott. Mingpo Cai devient alors le premier étudiant asiatique de l’EM Lyon.
Elève studieux, il est approché par un cadre dirigeant de SEB. Cette fois, c’est en business class qu’il repart en Chine, en tant que stagiaire très bien payé pour piloter une filiale à Pékin. Alors qu’une carrière confortable se dessine devant lui, le bon élève veut se challenger en se lançant dans l’entrepreneuriat. L’homme s’intéresse au marché des pierres tombales et crée Stonest, une entreprise devenue leader de son marché. Il décide ainsi de disrupter un secteur pas franchement glamour mais qui sera toujours incontournable, peu importe la conjoncture.
Observateur, méthodique, acharné, il dépoussière ce petit monde en injectant la notion de services : « J’ai entrepris un véritable tour de France à la rencontre des marbriers pour offrir une autre vision de ce métier. Stonest pouvait répondre à des demandes pointues de particuliers ou de collectivités en quête de sur-mesure pour leurs pierres tombales, monuments et autre cérémonial. Au début, personne ne voulait me recevoir, je devais me battre pour décrocher la moindre entrevue ! », raconte-t-il. Mingpo Cai est regardé comme un extraterrestre lorsqu’il parle de végétaliser les tombes, apposer des motifs personnalisés ou d’offrir un accompagnement pour chaque rite qu’il soit musulman, israélite ou asiatique. Mais à force de dire ce qu’il fait et de faire ce qu’il dit, de respecter chaque délai et projet, il finit par gagner une solide réputation.
Au début, personne ne voulait me recevoir, je devais me battre pour décrocher la moindre entrevue !
Durant ce premier tour de chauffe, ce trublion découvre que la confiance et la sincérité sont le ciment de toute relation d’affaires. Le Chinois prend aussi conscience de la grande richesse du tissu entrepreneurial français : « Il existe en France énormément de savoir-faire, de créativité, de très belles marques et une éducation de qualité. », souligne-t-il. Un constat dont il servira bientôt à bon escient. Ce terreau idéal lui inspire un projet d’une toute autre envergure, le lancement de Cathay Capital qu’il va fonder avec un associé rencontré à Shanghai, Edouard Moinet. Derrière ce fonds, une matrice nouvelle, perçue elle aussi comme un « ovni ». Dans le détail, il est question d’un fonds biculturel (sino-français) taillé sur-mesure pour les PME des deux pays. Nous sommes en 2006, la guerre commerciale USA-Europe vs Chine n’est pas encore à son paroxysme et les déclarations politiques demeurent encore au stade de la courtoisie.
Mingpo Cai a la conviction qu’aller en Chine n’est plus une option, mais que c’est une nécessité pour toute entreprise souhaitant accélérer. Pour lui, beaucoup font l’erreur de réduire ce marché immense à un centre de production. « Au contraire, prêche-t-il autour de lui : c’est également un territoire qui innove dans de très nombreux secteurs – automobile, énergies renouvelable, commerce… ». Il ne fait aucun doute pour lui, que le pays le plus peuplé du monde est en voie de s’imposer comme le premier marché de consommation à l’échelon mondial, avec des perspectives de croissance très importantes, et une nouvelle génération de consommateurs. Compte tenu de sa taille, de son dynamisme et de ses perspectives, le marché chinois est plus une opportunité qu’une menace pour qui sait se positionner précocement. Dans son argumentaire, point de macroéconomie, ni de géopolitique, seule la langue (universelle) du business prévaut.
L’homme pressé et « sans complexes », comme il dit, se rappelle aux bons souvenirs de rencontres savamment entretenues à l’instar de Xavier Fontanet qui préside le géant de l’équipement optique, Essilor. L’homme, très bien introduit, joue des coudes pour que le Fonds stratégique d’investissement (FSI), lancé par Nicolas Sarkozy investisse dans Cathay. Thierry de La Tour d’Artaise, encore lui, a l’occasion de lui exprimer sa gratitude. Le capitaine d’industrie sollicite ses amis énarques, patrons du CAC40 et grandes fortunes pour qu’ils placent des billes. Des coups de pouce que Mingpo Cai convertit avec succès. Il faut dire que l’Orléanais d’adoption a beaucoup de charisme. De surcroît, l’intello sait aussi être très sympathique. Nicolas Dufourcq, le patron de Bpifrance loue ce côté séducteur qui lui a permis d’embarquer dans l’aventure la Caisse des dépôts, la China Development Bank ou la Banque publique d’investissement (Bpifrance).
« La sincérité est un langage universel »
Des institutionnels qui vont lui permettre de décoller très vite. L’entrepreneur touche-à-tout s’intéresse à des secteurs très divers : le coiffeur Jacques Dessange, les doudounes Moncler, le joaillier Mauboussin, mais aussi à des start-up de la MedTech, de l’e-commerce et des PME bien sûr. Sa stratégie ? « Se concentrer sur les sociétés qui présentent un fort potentiel de développement et de valorisation notamment via l’expansion à l’international, dans des secteurs prometteurs tels que les biens de consommation, les services digitaux aux entreprises, la santé et l’industrie. », développe-t-il. Et de poursuive : « une mondialisation sans racines locales est impossible et les individus qui mènent la transformation ne peuvent pas le faire seul. Ils ont besoin d’être entourés, accompagnés. Car, si la technologie et le capital sont essentiels, ils ne suffisent pas toujours. L’entreprise lucrative est celle qui sait aussi créer un impact positif, être utile. »
Un bon exemple parmi les sociétés soutenues, le cas de KaiOS, entreprise créée à Hong Kong par le Français Sébastien Codeville après un début de carrière aux Etats-Unis. KaiOS est devenue en quelques années, le troisième système d’exploitation mobile mondial derrière Android (Google) et iOS (Apple). En connectant au Web des smartphones abordables, KaiOS a déjà permis à des centaines de millions d’utilisateurs de pays émergents d’accéder à internet pour la première fois ! Ou comment concilier rentabilité et progrès.
Quinze ans après, les présidents de la République passent, et Mingpo Cai est toujours aussi indéboulonnable. Cathay Capital poursuit son insolente trajectoire sans ressentir les soubresauts de la crise, guidé par la double obsession d’être utiles et sincères.
Pour aller plus loin :
#Cathay Capital, en chiffres
- 9 bureaux (Paris, Shanghai, Tel Aviv, New York…) couvrant quatre continents
- 3,6 milliards d’euros sous gestion
- Plus de 190 investissements réalisés depuis la création de Cathay Capital
- 130 collaborateurs
- 8 licornes accompagnées par Cathay Innovation en 6 ans d’existence
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