Bousculant les codes de l’hôtellerie traditionnelle, Mama Shelter a su s’imposer, en moins d’une dizaine d’années, comme un acteur incontournable et incontesté du secteur. Retour sur un parcours jalonné de succès et de prises de risques.
« Les emmerdes quotidiennes c’est pour lui et les poses de première pierre c’est pour moi ! », narre un Serge Trigano, hilare, quand il s’agit d’évoquer la répartition des tâches avec son fils Jérémie, CEO de Mama Shelter. A l’instar du Club Méditerranée fondé par son père Gilbert, Mama Shelter est une affaire de famille. Outre le patriarche qui, dans cette configuration, apporte ses conseils et son expérience « à la jeune génération » en matière de développement ou gère les relations avec les investisseurs, le fils, Jérémie, est davantage chargé, comme expliqué plus trivialement en préambule, de la gestion des affaires courantes. Son frère, Benjamin, installé à Los Angeles, s’occupe plus spécifiquement du marketing et de l’image de marque.
Justement, quels sont les « préceptes » et les codes du Mama Shelter, idée qui a germé dans l’esprit de ses fondateurs il y a environ 10 ans ? « Notre intuition, car nous fonctionnons davantage par intuition que par analyse, nous poussait à aller explorer un territoire au fort potentiel, à savoir celui des villes, qui était pour nous un territoire vierge », se souvient Serge Trigano. Une fois ce postulat posé, en quoi « l’abri de maman » se démarque-t-il d’un hôtel stricto sensu ? « On a essayé d’imaginer ce que pourrait être un nouveau type d’hôtellerie qui soit davantage un lieu de vie, un lieu de rencontre qu’un hôtel au sens classique du terme. Les gens viendraient diner, prendre un verre, écouter des concerts et « accessoirement » dormir », développe-t-il.
Populaire et accessible
Accompagnés par le designer vedette Philippe Starck, les Trigano peaufinent et cisellent leur concept avec, en toile de fond, une subtile symbiose de chic et d’accessibilité. « L’idée était, pour les clients, d’avoir accès à une large gamme de prix avec une chambre qui démarrait à 79 euros mais aussi de disposer, dans le même établissement, d’une suite à 299 euros », détaille Jérémie Trigano. La volonté de demeurer « accessible pour tous » fut, en effet, un préalable non négociable.
Le premier Mama Shelter ouvre alors ses portes, à la fin de l’année 2008, dans le XXe arrondissement de Paris, rue de Bagnolet. Un choix déconcertant mais qui participe de la volonté de « casser les codes » et d’être là où on ne l’attend pas. « Nous cherchions un quartier populaire et avons trouvé ce site qui était un ancien parking abandonné », abonde Serge Trigano qui, avec ces équipes et ses fils, a littéralement transformé un parking constellé de graffitis, en chantre de la « coolitude » parisienne.
« Un coup de bol »
Le succès est immédiatement au rendez-vous et les critiques dithyrambiques, même si certains sont plus sceptiques et estiment qu’il ne s’agit, ni plus ni moins que « d’un coup de bol ». Un potentiel investisseur juge « qu’il ne faut pas tirer sur la chance », se rappelle Jérémie Trigano, qui, avec, son père va s’évertuer à lui donner tort. « Comme pour le Club Med, certains pensaient qu’il serait impossible de dupliquer l’atmosphère à d’autres établissements et d’autres villes dans le monde », poursuit Jérémie. Huit ans plus tard, l’essai est très largement transformé. « Nous avons quatre établissements en France à Paris Marseille, Lyon et Bordeaux. A l’étranger, un à Los Angeles et l’autre à Rio de Janeiro tandis qu’une dizaine sont en cours de construction ». Et de souligner. « Même des municipalités viennent nous chercher », sourit, fièrement, Jérémie Trigano.
Et cela ne fait que commencer. « Nous espérons qu’une trentaine de Mama Shelter puisse sortir de terre d’ici cinq ans », abonde Serge Trigano. De quoi largement atteindre des objectifs (chiffrés) fixés à hauteur de 150 à 200 millions d’euros de chiffre d’affaires à l’horizon 2020. Aujourd’hui, les revenus de l’enseigne dépassent les 50 millions d’euros par an.
Rêver plus grand
Pour accélérer sa croissance, Mama Shelter s’est associé à un poids-lourd de l’hôtellerie traditionnelle, le Français AccorHotels qui s’est offert 35% du capital de la jeune firme. Un rapprochement « gagnant-gagnant » pour Jérémie Trigano. « Les investisseurs se retrouvent avec le meilleur des deux mondes. Ils disposent, avec nous, de la créativité et l’énergie d’une start-up et du savoir-faire d’un mastodonte du CAC 40 », poursuit le jeune homme.
Fort de cette alliance, Mama Shelter dipose ainsi d’un accès facilité aux « metasearch », comme TripAdvisor, tandis que la fraîcheur du « Mama » apporte un coup jeune et un « rafraichissement » non-négligeable au leader européen de l’hôtellerie. Une relation de couple sans le moindre nuage. « Ils nous foutent une paix royale. Le danger, lorsqu’on se rapproche d’un grand groupe est que celui-ci se montre très intrusif et dépêche des gens pour vous surveiller, ce qui n’est absolument pas le cas avec Accor et Sébastien Bazin (PDG d’AccorHotels) », abonde Serge Trigano.
Quid de la concurrence de plateformes comme Airbnb ? Un non-sujet pour le fils Trigano. « La différence se situe sur le terrain de l’humain. Quand vous arrivez au Mama, toute une équipe est là pour vous accueillir, de même que le ‘business traveller’ qui arrive le soir n’aura pas à rester seul dans sa chambre, il peut descendre au bar et s’imprégner de l’atmosphère par exemple. Airbnb a encore énormément de chemin à faire pour proposer un produit comme le nôtre. Nous avons coutume de dire que nous sommes là pour offrir un petit moment de bonheur aux gens, c’est dans notre ADN ». Près de 70 ans après la « révolution Club Med », le pari est en passe d’être gagné.
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